12 mars 2006

Jusqu'au-boutisme 

Dans son éditorial du 8 mars, Alexis Brézet du Figaro avait trouvé un argument massue en faveur de l'autisme gouvernemental sur le CPE :
Reculer, comme l'exigent le PS et les syndicats ? Retirer le texte, comme l'ordonnent une poignée d'agitateurs professionnels qui n'hésitent pas, dans l'indifférence quasi générale, à décréter le blocus des universités ? Soumettre au pouvoir de la rue la légitimité démocratique des Assemblées ? Dominique de Villepin s'y refuse et il a raison. A un an du rendez-vous présidentiel, ce serait concéder un avantage majeur à la gauche : on a vu, en 1986 (loi Devaquet) et 1993 (CIP) où de telles reculades ont conduit Jacques Chirac et Edouard Balladur. Ce serait surtout rendre un bien mauvais service à la jeunesse que de la renvoyer à la précarité, bien réelle celle-là, des stages et des CDD.
Pour ceux qui n'avaient pas encore bien compris, il reprenait exactement le même argument dans son éditorial du 10 mars, en prenant cette fois le soin de dater correctement le CIP de Balladur :
M. de Charette l'aurait-il oublié ? En 1986, Jacques Chirac retira la loi Devaquet ; la droite fut étrillée aux élections. En 1994, Edouard Balladur retira le CIP ; il ne s'en remit jamais vraiment. En 2005, Jean-Pierre Raffarin, qui avait tenu bon sur les retraites, abandonna la réforme du bac ; ce recul n'empêcha ni la débâcle référendaire ni sa propre chute.
Reprenons les choses calmement : depuis 25 ans, les divers gouvernements ont proposé des dizaines de réforme difficiles du calibre du CPE. Certaines ont été abandonnées, d'autres non. Depuis 25 ans, également, toutes les majorités parlementaires sortantes ont été battues aux élections législatives, et la période a compté nombre de débâcles cuisantes pour le pouvoir en place aux élections locales. Ce qui fait qu'une sélection arbitraire des exemples permet d'aboutir à la conclusion que l'on souhaite. On pourrait écrire, par exemple :
M. Brézet l'aurait-il oublié? Au cours de son passage à Matignon, Raymond Barre s'obstina, contre l'avis du microcosme, à mener une douloureuse politique d'assainissement de l'économie française ; il fut l'un des premiers ministres les plus impopulaires de la Ve République et précipita l'arrivée de la coalition sociale-communiste au pouvoir en 1981. En avril 1997, la loi Debré sur l'immigration fut promulgué en dépit de l'émoi qu'avait suscité certaines mesures en France et à l'étranger ; la droite en paya le prix aux élections de juin. En 2003, Jean-Pierre Raffarin mena à bien la réforme partielle des retraites malgré la vive opposition de la majorité des syndicats et d'une partie de l'opinion ; le fait de garder le cap n'empêcha ni la déroute des régionales, ni la débâcle des européennes en 2004.
On pourrait faire le même exercice pour le couples forcément plus rares {réforme retirée, gain politique ou électoral} ou {réforme aboutie, gain politique ou électoral}. Ainsi, il est intéressant de constater que la remarque de Brézet sur Balladur relève d'une mauvaise foi quasiment absolue. Le retrait du "Smic-jeunes" fin mars 1994 a en effet été suivie d'une petite remontée de la cote du premier ministre dans les sondages. Et les presque 50% des Français qui envisageaient, début 1995, de voter pour lui au premier tour de la présidentielle auraient sans doute été surpris d'entendre que Balladur ne s'était "jamais vraiment" remis de la péripétie du printemps précédant.

De toute façon, ce genre de corrélation n'a absolument aucun intérêt. Retirer une réforme sous la pression après l'avoir défendu ardemment a évidemment un coût politique, parce que la décision donne une impression de faiblesse et d'irrésolution. Maintenir une réforme impopulaire contre l'avis quasi-général aussi, parce qu'elle est interprétée comme un signe d'entêtement et d'autisme. Postuler que l'un des effets l'emporte généralement, en toutes circonstances, sur l'autre est absurde.