14 mars 2006

Urgences 

C'est décidément une manie. Après avoir déclaré l'urgence à propos du projet de loi DADVSI, après en avoir fait de même concernant le projet de loi sur l'égalité des chances, une dépêche d'Associated Press nous apprend que le gouvernement Villepin devrait demander au Conseil constitutionnel de statuer en urgence sur la constitutionnalité du texte comprenant le CPE et adopté jeudi dernier par le Parlement :
Une fois saisi, le Conseil constitutionnel aura un mois pour se prononcer. Mais le gouvernement devrait lui demander de statuer en urgence, ce qui ramènerait le délai à huit jours.
En fait, cette affirmation n'est pas tout à fait exacte. L'article 61, aliéna 3 de la Constitution dispose que, en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité des lois organiques, des règlements des assemblées et des lois ordinaires déférées :
[L]e Conseil Constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.
Comme le notent les auteurs du GDCC, la seule interprétation logique de cette seconde phrase est celle qui laisse une certaine marge d'appréciation au Conseil constitutionnel quant à la demande gouvernementale. Pour que le délai soit ramené à huit jours, il faut ainsi que deux conditions soient remplies : que le gouvernement le demande et qu'il y ait urgence. La réalité de l'urgence est appréciée souverainement par le juge constitutionnel, qui peut très bien, en théorie, statuer dans un délai supérieur à 8 jours malgré la demande du gouvernement.

Sur le fond, on voit bien quel est intérêt du gouvernement à ce que la décision intervienne rapidement. De deux choses l'une, en effet. Soit le juge constitutionnel valide le CPE, et le gouvernement peut croire que la promulgation de la loi permettra de tourner la page, au moins partiellement. Soit le Conseil censure le coeur du dispositif CPE et, comme tout le monde le dit aujourd'hui (un commentateur ce matin chez Stéphane Soumier, l'éditorial du Monde, mon camarade communard Versac), Villepin disposerait d'une porte de sortie honorable, qui lui permettrait de se défaire d'un boulet politique sans avoir se déjuger.

Le hic, en l'espèce, est que les moyens développés par l'opposition parlementaire à l'appui de son recours apparaissent assez faibles : ni la violation alléguée des conventions internationales, ni l'atteinte supposée au principe d'égalité, ni la prétendue violation de l'article 39 de la Constitution par le dépôt d'un amendement gouvernemental conséquent ne semblent avoir de chances raisonnables de prospérer devant le juge constitutionnel. Tout cela avait été magistralement démontré il y a près de trois semaines par Guillaume Lethuillier, et complété par Somni en commentaires chez Frédéric Rolin.

Rien n'empêche certes le Conseil constitutionnel de soulever d'office des moyens plus sérieux. Rien non plus le lui interdit de remettre en cause, pour l'occasion, certaines de ses jurisprudences les mieux établies. Mais Villepin ferait mieux de ne pas trop compter sur sur ce deus ex machina pour le tirer d'affaire.

Add. (19H30) : Le Figaro annonce que le gouvernement ne demande pas l'urgence. C'est un peu surprenant. La réaction de Guy Carcassonne l'est moins, qui déclare à l'AFP que "s'il y a quelque chose d'inconstitutionnel dans cette loi, ça ne me saute pas aux yeux".

En tout état de cause, la précarité de la position de Villepin devient manifeste quand un membre de sa majorité parlementaire peut se permettre de confier, toujours à l'AFP, que :
"Finalement, il y a plusieurs scénarios possibles", analyse un élu UMP. "1/ A force de concessions, la contestation se calme et Villepin triomphe: 10% de chance. 2/ Villepin s'entête, Chirac le laisse faire. C'est le cas aujourd'hui. La crise s'aggrave. 3/ Villepin s'entête, Chirac ne le laisse pas faire. Il doit partir dans les huit jours. 4/ Ca ne marche vraiment pas et Villepin s'en va de lui-même"...
Les mauvais esprits diront que ce ne sont là que les servitudes normales de la période de consolidation à Matignon.