03 avril 2006

Borloo en prison? 

Je me demandais ce week-end si les déclarations de Chirac demandant au gouvernement de "prendre toutes les dispositions nécessaires pour qu'en pratique aucun contrat ne puisse être signé", la lettre de Borloo conseillant aux employeurs de ne pas recourir au CPE ou sa décision de ne pas fournir aux employeurs de contrats type n'étaient pas susceptibles de donner lieu à un intéressant recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat.

Il semble en fait que non, vraiment pas, dans la mesure où le gouvernement n'a pris aucune mesure positive et impérative pour empêcher l'application de la loi, et où la mise à disposition de contrats type ne constitue pas, au cas présent, une obligation légale pour l'administration. Ce n'est pas qu'une mesure réglementaire faisant réellement obstacle à l'application de la loi serait légale. Au contraire. Mais bien que, pour l'instant, aucune mesure de ce type n'existe, et qu'il n'y a donc rien à attaquer devant le juge de l'excès de pouvoir.

La partie n'est toutefois pas totalement perdue car Associated Press (alerté, comme Libé, par Roger-Gérard Schwartzenberg?) a trouvé un autre angle d'attaque juridique :
Le ministre de la Cohésion sociale Jean-Louis Borloo a écrit lundi aux branches professionnelles pour leur demander de ne pas signer de contrat première embauche (CPE). Mais une telle initiative le rend passible de dix ans de prison et 150.000 euros d'amende s'il était obéi, selon le Code pénal.

"Pour garantir, en pratique, la sécurité juridique des contrats de travail conclus par vos adhérents, nous vous proposons de leur recommander de ne pas signer de contrats première embauche avant l'entrée en vigueur de (la) nouvelle loi", expliquent aux présidents des fédérations professionnelles M. Borloo et le ministre délégué à l'Emploi Gérard Larcher.

Or, "le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende" selon l'article 432-1 du Code pénal relatif aux "abus d'autorité dirigés contre l'administration".

L'infraction est "punie de dix ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende si elle a été suivie d'effet", précise l'article 432-2.
Cela dit, et à supposer que la lettre de Borloo constitue bien une mesure "destinée à faire échec à l'exécution de la loi" (ce qui semble quand même discutable s'agissant d'une simple proposition de recommandation du ministre) on voit difficilement comment l'action publique pourrait ici être mise en mouvement. Il va de soi que le parquet ne va pas prendre ici l'initiative de poursuivre un ministre de la République.

Et on serait, il me semble, bien en peine de trouver un individu qui puisse faire état d'un dommage direct et personnel (au sens de l'article 2 du Code de procédure pénale) en raison de l'action du ministre de l'Emploi. Parce que la lettre de Borloo n'empêche nullement à un employeur de signer un CPE. Et qu'un particulier qui ne serait pas embauché à cause du refus d'un employeur de recourir au CPE pourrait difficilement se prévaloir d'un droit à l'embauche qui lui aurait ainsi été dénié.

Cela dit, je ne suis pas (du tout) spécialiste du droit pénal. J'attends les commentaires forcément éclairés d'Eolas et de Paxatagore pour confirmer que tout cela n'est que spéculation juridique, certes amusante, mais sans conséquences.

Add. (23H) : apparemment, je n'étais pas le seul ce week-end à m'interroger sur une éventuelle intervention du juge administratif...