01 avril 2006

Figures de la rupture 

Non content de maltraiter la Constitution et de tordre la vérité (non, le Conseil n'a pas jugé la loi sur l'égalité des chances "en tout point conforme aux principes et aux valeurs de la République"; il n'y a pas que le CPE dans la vie), Chirac avait aussi apparemment décidé dans son discours d'hier soir de torturer la langue française :
En cas de rupture du contrat, le droit du jeune salarié à en connaître les raisons sera inscrit dans la loi.
En bonne logique, cela veut dire qu'il faudra modifier la loi à chaque fois qu'un CPE sera rompu. Voilà qui va encore faciliter le travail des parlementaires et la lisibilité du Code du travail.

Plus sérieusement, cette question de la notification du motif de la rupture au moment du licenciement est absolument essentielle. La réduction de la période de consolidation de deux ans à un an ne change pas fondamentalement la nature du contrat (même si elle en réduit l'intérêt pour les employeurs qui voulaient s'en servir comme d'un CDD supérieur à 18 mois) et devrait permettre de rentrer dans les clous de la convention 158 de l'OIT. La seule raison pour laquelle Villepin l'avait fermement refusé semble être le fait qu'il fallait repousser la période cruciale où les premiers contrats arriveront près du seuil des deux ans après la présidentielle. C'est ce qui avait été fait pour le CNE, comme le rappelait récemment Verel. Le temps que prendra l'examen de la proposition UMP sur le CPE-bis signifie que les périodes de consolidation des premiers CPE arriveront à échéance après mai 2007.

C'est donc sur les modalités de la rupture que tous le débat va porter et Chirac a eu (politiquement) raison de rester très vague sur la forme de la notification des motifs. Est-ce que l'employeur devra systématiquement préciser les motifs de licenciement ou est-ce que, à la britannique, le salarié licencié aura juste le droit de les lui demander - et l'employeur, en ce cas, celui d'obéir? Est-ce que l'employeur devra donner ses raisons oralement ou par écrit? Est-ce que le motif avancé au moment du licenciement liera l'employeur en cas de contentieux, comme c'est le cas pour les motifs portés dans la lettre de licenciement dans le cas du CDI?

Les propos de Laurence Parisot et d'Yves Jégo ce matin chez Dominique Souchier sont une bonne indication quand aux préférences des employeurs et des députés UMP : une obligation de notification des motifs, pourquoi pas, mais seulement de façon orale. L'objectif est de tenter de sauver ce qui est le seul véritable intérêt du CPE pour les employeurs : la promesse qu'il permettra de réduire les formalités du licenciement (fastidieuse parce que les motifs donnés par l'employeur seront méticuleusement contrôlés par les prud'hommes) et le contrôle du juge.

Qu'on ajoute la notification écrite, dont on voit mal pourquoi elle ne lierait pas l'employeur devant le juge (autant dire que l'employeur doit donner les motifs de la rupture, mais qu'il importe peu que ces motifs soient exacts), et le CPE se transformera en CDI-bis, qu'il est possible de rompre à plus grands frais mais à raison moindre (une cause réelle mais pas forcément sérieuse?) pendant la première année.

A ce propos, je ne partage pas entièrement les analyses de Jules et d'Eolas (au demeurant remarquables, dans des styles très différents) selon lesquelles c'est le Conseil constitutionnel qui, notamment par son fameux considérant 25, aurait rendu le CPE première manière largement inopérant.

D'une part, l'obligation de respecter la procédure disciplinaire en cas de licenciement pour faute ne faisait aucun doute, dans la mesure où le CPE (à l'instar du CNE) n'écartait pas les articles du Code du travail qui la prévoient : ce point a été mentionné à plusieurs reprises au cours des débats parlementaires, il est rappelée par la récente circulaire aux parquets sur le CNE (pdf) et il avait fait l'objet d'une longue étude de Jean Savatier dans le numéro de novembre 2005 de la revue Droit Social. Certains observateurs s'étaient même demandés, en plaisantant à moitié, si les salariés licenciés n'avaient pas un intérêt à s'accuser d'une faute, pour que le licenciement soit annulé par le juge en raison du non-respect des formes.

D'autre part, comme le relevait d'ailleurs à juste titre Eolas dans sa première note sur le CPE, le contrôle du juge sur la rupture abusive d'un CPE obligeait de toute façon -sauf à ne pas répliquer aux accusations du salarié licencié, ce qui aurait été une stratégie pour le moins dangereuse- l'employeur à préciser devant les prud'hommes le motif de la rupture. C'est, il me semble, la raison juridique pour laquelle le Conseil ne fait pas de son développement une réserve d'interprétation au sens strict (sur ce sujet, voir l'excellente analyse de zoopolitikon).

Si ces deux points sont susceptibles de poser problème en pratique, en réintroduisant le risque contentieux par la fenêtre alors qu'on avait tenté de le chasser par la porte, ce n'est pas parce que le Conseil serait venu, mezza voce, renforcer sensiblement les garanties des salariés. Mais bien parce que le CNE et le CPE étaient, dès le départ, très mal ficelés juridiquement.