15 avril 2006

Le chemin de Compiègne 

Eric Le Boucher est énervant. Même quand il paraît s'engager sur la voie d'une analyse économique moins simpliste que d'ordinaire, il parvient toujours à se rattraper en retombant dans ses travers.

Pour sa chronique du jour il a eu l'excellente idée d'aller rendre visite, près de Compiègne, à Angus Maddison, un économiste britannique dont les travaux à propos la croissance économique sur la (très) longue durée font autorité. Maddison explique au chroniqueur comment l'empire romain a pu se maintenir et s'étendre en l'absence de supériorité technologique et à quelles conditions des pays peuvent s'engager dans une phase de rattrapage économique. Il tempère aussi l'inquiétude de Le Boucher quant aux perspectives économiques de l'Europe : "on ne peut parler de "déclin" que si le PIB par tête diminue comme en Russie après la chute de l'URSS". Et le chroniqueur de résumer les enseignements de cet entretien ainsi :
1. - la désindustrialisation n'est pas la fin de l'histoire ; 2. - il faut repousser, à toute force, ce retour dans l'idéologie actuelle des idées mercantilistes anticommerce qui veulent qu'au fond les ressources soient limitées et qu'un pays ne puisse s'enrichir qu'aux dépens d'un autre. Bref, que si Chine et Inde se développent, nous y perdrons forcément. L'avenir est noir, négatif, moins de richesse, moins de social, moins de tout. Nos enfants vivront plus mal que nous, etc. Tout cela est faux !
On pourrait croire qu'un tel jugement disqualifie les métaphores martiales sur la compétition internationale. Pas du tout. Après avoir rappelé que la croissance future de l'Europe dépend de l'éducation et du travail, Le Boucher conclut ainsi :
Pour le reste, Polybe (200-118 av-J.-C.), général grec, ami des Romains, a expliqué comment les phalanges grecques - irrésistibles "de face à face" - avaient été défaites par les armées de Rome : la flexibilité.
Et voilà comment on repasse d'une analyse économique sensée au schéma de l'économie mondiale à somme nulle, où les pays ressemblent à des entreprises, et où leur succès dépend, comme dans les mauvais livres de management, de l'application simpliste de tactiques militaires au champ économique.

On ne s'étonnera plus, après (ou avant) cela, que la chronique soit intitulée, à rebours des observations de Maddison : "le déclin européen, en perspective longue". C'était bien la peine que Le Boucher se rende à Compiègne. Une fois rentré à Paris, il a déjà tout oublié.