06 août 2006

Incorsiqué 

Les clichés sont comme les illusions : il est très difficile de les retrouver une fois qu'ont les a perdus (Proust a quelques pages lumineuses sur le sujet au début du Côté de Guermantes).

Pour peu que je m'en souvienne, donc, la Corse n'était, avant mon départ, qu'un assemblage péniblement fabriqué à partir des éléments suivants : les grèves de la SNCM, une eau bleutée au pied de falaises à pic, la placide hostilité des locaux à l'égard des pinzuti, Bastia au nord-ouest et Ajaccio au sud-est, des plastiquages tellement fréquents qu'ils en deviennent banals, une mauvaise bière payée trop cher dans un bar parisien, le Monte Cinto, une vie politique qu'il vaut mieux pour sa santé mentale ne pas chercher à comprendre, l'accent prétentieux des journalistes de Radio France Frequenza Mora, Les Randonneurs, Furiani et l'invasion annuelle de continentaux généralement friqués et encore plus généralement m'as-tu-vu.

En dehors de la géographie, tout cela n'est pas nécessairement faux - quoique l'hostilité des Corses est plus que surestimée et la Pietra largement buvable à condition de la boire bien fraîche. Mais cela n'a de toute façon plus beaucoup d'importance.

Parce que l'essentiel était ailleurs. Dans les ballades en montagne qui nous ont donnés la folle envie d'entreprendre, un jour, l'aventure du GR 20. Dans la réjouissante gastronomie corse, qui s'offre à ceux qui acceptent de s'éloigner des sentiers trop fréquentés - ce n'est pas un hasard si les meilleurs restaurants où nous avons mangé se situaient à Bastia et à Corte (Centuri aurait pu être l'exception qui confirme la règle, mais le degré d'invasion touristique y reste largement supportable par rapport ce qui est la règle à, par exemple, Saint-Florent). Dans la constante et néanmoins (ou parce que) changeante beauté des paysages. Dans la jubilation qu'il y à vomir l'abominable domaine Orsini après avoir fait la tournée des petits négociants de Patrimonio.

Dans cette soirée à Corte, à écouter dans un bar à tapas Belgo et ses compères prendre avec bonheur le contre-pied des scies polyphoniques locales (ainsi que des chansons ringardes, contrairement à ce que la pub annonçait). Dans l'émerveillement enfantin qu'il y a à constamment rencontrer des vaches au bord des routes, sur les chemins de randonnée, le long des torrents et à l'orée des plages. Dans ces nuits étoilées dont trop d'étés passés près des agglomérations m'avaient fait oublier l'existence. Dans le constat que je pouvais difficilement trouver meilleur endroit pour monter mon premier col à vélo - faut bien que je me la pète un peu, sinon ce blog n'aurait aucune utilité.

Et dans cette furieuse et irrépressible envie d'y retourner, dès que possible, histoire par exemple de faire un sort à tous ces clichés que je garde sur la Corse du sud.