08 août 2006

Les "Corses" parlent aux Corses 

La visite des grandes surfaces est toujours extrêmement instructive quand on se trouve dans une contrée inconnue. C'était aussi le cas en Corse.

Pas pour la (plus ou moins) radicale altérité des marques et des produits qu'on découvre lorsqu'on se trouve réellement à l'étranger - quoiqu'il est difficile de ne pas sentir parti dans la quatrième dimension en voyant les portraits du Che (accompagné ou pas de celui d'un "frère" nationaliste corse) sur les étiquettes de certaines bouteilles d'alcool local. Mais plutôt pour l'ambiguïté que je suppose volontaire de la communication publicitaire des grandes surfaces en Corse.

Lire la suiteIl se trouve donc que, cet été, les hypermarchés Géant Casino de l'île mettaient (surprise, surprise) les produits corses à l'honneur dans leurs linéaires. Avec 4*3 et PLV pour que le chalan ne puisse pas manquer de s'extasier devant l'originalité de cette manifestation. Je ne me rappelle plus le slogan exact mais le résultat était du genre (niaiseux) "promouvons les beaux produits de notre terre", avec jolie montagne escarpée et bergerie paumée en fond photographique. Ce que je trouve fascinant est qu'il possible de lire ce genre de message commercial de façon très différente selon que l'on suppose que le destinataire est un Corse pur jus ou un touriste continental.

Au niveau le plus superficiel, la publicité est évidemment destinée aux estivants continentaux : l'objectif est de convaincre le touriste que le meilleur endroit pour acheter du sauciflard de sanglier ou de la tome de chèvre n'est pas la petite boutique où la charcutaille pend au plafond ou la bergerie de montagne mais bien la grande surface avec parking sur trois niveaux. L'ingéniosité du message est de faire passer cette idée en faisant mine de rester dans une conversation corso-corse. La grande surface s'affiche comme étant vraiment corse, s'adresse superficiellement aux vrais Corses mais le vrai destinaire est en fait un tiers, c'est-à-dire le touriste.

Mais on pourrait tout aussi bien renverser la perspective. Parce qu'une grande surface implantée en Corse peut avoir quelques bonnes raisons de vouloir chercher à convaincre les Corses eux-mêmes de sa bonne intégration à la société insulaire. Un accident est si vite arrivé, après tout. Vu sous cet angle, la publicité classique à destination de l'estivant n'est qu'un paravent, qui sert en réalité à faire passer des messages subliminaux ("pas plastiquer, je suis dans votre camp") à certains activistes locaux. L'utilisation d'une expression comme "notre terre" (à condition que ma mémoire ne me trahisse pas), lieu commun du discours nationaliste corse, me conforte dans l'idée que ma thèse n'est pas totalement farfelue.

On peut quand même se demander si ce type d'opération peut réellement faire une différence dans l'esprit des Corses (pas de problème par contre pour l'estivant de base qui a laissé son cerveau dans le ferry). Dans le passé, en effet, la paix des hypermarchés avec les nationalistes s'achetait au prix fort. A moins que le vrai destinataire ne soit la majorité silencieuse de l'île?