10 juillet 2007

Barely Legal? 

Eolas me fait l'honneur d'une réponse détaillée sur son blog, en filant les métaphores morbides macabres. Je continue pour ma part à piller les titres des Hives pour poursuivre la discussion sur le CNE.

Eolas me reproche en substance de raisonner en publiciste, c'est-à-dire d'apprécier la compatibilité de l'ordonnance du 2 août 2005 avec la convention 158 de l'OIT in abstracto, alors qu'il faut ici se prononcer en privatiste, en étudiant in concreto le comportement précis de l'employeur dans l'affaire qui nous intéresse, pour déterminer s'il est compatible avec les stipulations de la convention.

Il a entièrement raison sur le second point. Sur le premier, je me dois de préciser ce que j'entendais dans la note précédente : quand j'écris que "l'affaire est plus simple qu'on ne le croit", je parle de l'affaire qui a fait l'objet de l'arrêt de la cour d'appel de Paris. En l'espèce, il semble bien, à la lecture des différents jugements, que l'employeur n'a pas offert à Melle Linda de Wee "la possibilité de se défendre contre les allégations" qui servaient de fondement à son licenciement.

En outre, il apparaît, à condition que j'interprète correctement l'article 4 de la convention de l'OIT, que les motifs invoqués pour le licenciement étaient liés à la conduite de la salariée (l'employeur lui reproche ses "absences répétées perturbant gravement l'organisation du secrétariat"). Dès lors, si le juge considère que la durée de la période de consolidation n'est pas raisonnable, il devait en conclure que l'employeur n'a pas respecté la procédure prescrite par la convention internationale et donc que le licenciement était irrégulier.

[Une objection intéressante est soulevée par tschok en commentaires. Elle se fonde sur la dernière partie de l'article 7 de la convention de l'OIT (mes italiques) :
Un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l'on ne puisse pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il lui offre cette possibilité.
Il se demande s'il est possible d'estimer qu'on ne pouvait pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il offre cette possibilité au salarié qu'il envisage de licencier, dans la mesure où le droit national l'autorise à agir ainsi. L'argument est retors, mais je pense qu'il doit être rejeté pour trois raisons. D'abord, l'employeur n'est pas censé ignorer la loi, fut-elle internationale. Ensuite, admettre un tel raisonnement ouvrirait une brèche béante dans la bonne application du droit international : comme le relève tschok, "il s'agirait d'écarter l'application du traité international à une ordonnance contraire précisément parce qu'elle lui serait... contraire". Enfin, il me semble que l'article vise implicitement des cas où l'employeur est matériellement empêché de donner au salarié l'occasion de se défendre, par exemple des cas d'abandon de poste.]

Je constate d'ailleurs que c'est l'interprétation retenue, a contrario, devant la Cour d'appel par le ministère public (pdf) :
que c'est à tort, en revanche, que le jugement déclare l'ordonnance contraire aux dispositions de la Convention, alors que les dispositions critiquées :
  • soit entrent dans les prévisions de l'article 2.2. b) de ladite Convention en ce que la durée de la période d'ancienneté requise apparaît raisonnable (s'agissant de l'exigence d'une procédure contradictoire préalable au licenciement)
A supposer donc qu'on estime que la durée n'est pas raisonnable, la rupture irrégulière du contrat justifiait-t-elle néanmoins de condamner l'employeur à verser 15 000 € d'indemnités à la salariée licenciée? On peut raisonnablement en douter, au vu des dispositions du droit du travail en ce domaine. L'article 122-14-4 du Code du travail dispose ainsi que (mes italiques) :
Si le licenciement d'un salarié survient sans observation de la procédure requise à la présente section [convocation à un entretien préalable par lettre recommandée ou remise en main propre, puis entretien préalable, puis lettre recommandé avec AR exposant le ou les motifs du licenciement], mais pour une cause réelle et sérieuse, le tribunal saisi doit imposer à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorder au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire
Là où les choses se compliquent c'est que, évidemment, l'article 122-14-4 du Code de travail fait partie de ceux dont l'application est suspendue par l'ordonnance du 2 août 2005. La liberté d'appréciation du juge en ce domaine est donc en théorie entière. En pratique, on voit mal comment il pourrait s'écarter outre mesure du droit commun.

Mais revenons aux délices du droit fiction. Peut-on imaginer des cas dans lesquels la mise en oeuvre du CNE puisse se révéler parfaitement compatible avec les stipulations de l'ordonnance 158 de l'OIT? La réponse est oui, mais il faut que l'employeur soit prudent. La procédure à suivre -sauf à prendre le risque de voir la licéité du licenciement dépendre de l'appréciation du juge sur le caractère raisonnable de la durée de la période de consolidation- dépend en fait du motif du licenciement :

1. Si le motif est économique, l'employeur peut se dispenser d'offrir à son salarié l'occasion de se défendre. Il devra néanmoins prouver devant le juge éventuellement saisi que le licenciement est bien "valable" et "fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service".

2. Si le motif est lié à la conduite ou au travail du salarié, sans être toutefois constitutif d'une faute disciplinaire, l'employeur se doit d'offrir au salarié l'occasion de se défendre. Il devra aussi, en cas de recours contentieux, démontrer au juge que le licenciement repose sur un "motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur".

3. Si le motif est constitutif d'une faute disciplinaire, l'employeur devra respecter la procédure prévue aux articles L.122-40 et L. 122-41 du code du travail, dont l'application n'est pas écartée par l'ordonnance du 2 août 2005.

Il est donc tout à fait possible de sauver le CNE de son coma profond. Mais à condition pour l'employeur d'appliquer aussi les dispositions pertinentes du droit international. Ce qui, dans la majorité des cas, comme le notait le professeur Olszack, rend le contrat nouvelles embauches moins favorable pour l'employeur qu'un contrat à durée indéterminée.