20 janvier 2008

La vérité n'est pas le contraire du mensonge 

Wikipedia relate un épisode fascinant à propos de la négociatrice du Medef, Cathy Kopp (qui est ce soir chez Mame Chrissine pour discuter droit du travail, raison pour laquelle je suis allé consulter sa biographie) :
Elle fut [...] surnommé « Madame moins sept-sept » en interne chez IBM pour avoir demandé à tous les salariés d'IBM France d'accepter de diminuer leur salaire de 7,7%, le groupe informatique connaissant alors des difficultés.

Cette opération réputée impossible réussit grâce à une tactique ingénieuse :

  • L'opération -7,7% est facultative. On précise même que ceux « qui la refusent ne seront pas licenciés ».
  • Ceux qui l'acceptent touchent en revanche immédiatement une prime de deux mois de salaire
  • Pour accepter, il suffit de ne rien faire. Pour refuser, il faut envoyer une lettre recommandée
  • Le "treizième mois" qui était versé en décembre est réparti sur les douze mois de l'année, donnant l'impression qu'il n'y a pas vraiment eu de diminution.
  • Une clause étrange précise que ceux qui n'ont pas demandé à participer à cette opération et changent d'avis plus tard pourront avoir eux aussi cette diminution de salaire, mais ne recevront pas de prime, ce qui laisse entendre, sans menace directe, qu'un refus pourrait être regretté par son auteur.
Le choix de "l'opt-out" par rapport à "l'opt-in" se justifie aisément : une célèbre étude sur l'épargne-retraite d'entreprise aux Etats-Unis (pdf) a montré que le simple fait de passer d'une participation facultative à un prélèvement automatique, sauf opposition, sur le bulletin de salaire augmente sensiblement la participation au programme.

La clause permettant de changer d'avis plus tard mais à un coût élevé permet aussi d'aligner les incitations en faveur de la proposition de la direction : se passer de la prime de deux mois ne devient rentable qu'à partir de deux ans de salaire au niveau précédent - et même davantage si l'on prend en compte l'actualisation. Pendant cette période, le salarié réfractaire devra subir non seulement la crainte de mesures négatives de la part du management (la direction s'engage formellement à ne pas licencier en cas de refus, mais apparemment pas à ne pas placardiser ou refuser une promotion) mais aussi, peut-être surtout, la réprobation de ses collègues qui ont accepté, eux, la diminution de salaire.

J'ai un peu de mal à voir en quoi la présentation "13e mois versé par douxième tous les mois contre baisse de 7,7% du salaire" est supérieure à la présentation "suppression du 13e mois" (est-ce que le salarié en place, ou le nouvel entrant, est myope au point de préférer une rémunération avec 13e mois, à niveau égal de rémunération?) mais le paquet global est incontestablement très ingénieux. Quoi qu'on pense par ailleurs de son bien-fondé.