13 mars 2008

Dans le doute... 

Nombre de commentateurs s'étonnent ces jours-ci du faible taux de participation au 1er tour des élections municipales (67%, soit le taux le plus bas pour des municipales depuis 1959), alors que la participation avait été particulièrement élevée aux dernières élections présidentielles (près de 84% aux deux tours, soit le meilleur score depuis 1981).

Et d'expliquer cette baisse par une campagne particulièrement morne ou par une démobilisation anormalement élevée d'un certain électorat de droite déboussolé par les frasques pipolesques de notre bling bling de Président.

Une explication plus solide, à moin sens, est que c'est précisement l'engouement de 2007 qui explique une bonne partie du reflux de 2008.

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On se souviendra en effet que les élections présidentielles ont été précédées, en particulier dans les banlieues à partir des émeutes de novembre 2005, par une vague massive d'inscription sur les listes électorales, vague bien encouragée par une forte mobilisation associative et médiatique autour de cet enjeu. L'effet a été spectaculaire : le corps électoral est passé de 41,8 millions au référendum de mai 2005 à 44,4 millions au second tour de la présidentielle, deux ans après.

Bien sûr, une partie de cette augmentation est due à des facteurs démographiques, de nouveaux électeurs atteignant 18 ans et bénéficiant de l'inscription semi-automatique sur les listes remplaçant les électeurs qui, sauf peut-être en Corse et dans le Ve arrondissement, perdent en même temps que leur vie le droit de voter. Mais ce facteur démographique ne semble jouer que façon réduite : entre 2002 et 2005, le nombre d'inscrits sur les listes n'avait ainsi augmenté que de 600 000. Si l'on retient une expansion naturelle du corps électoral de 200 000 par an, ce sont plus de 2 millions de personnes qui se seront inscrits sur les listes en prévision de l'élection présidentielle. (sur ces questions, voir une très utile note sur le blog de la section PS de Gentilly, à qui je pique la carte ci-dessous)




On peut raisonnablement penser que ces nouveaux inscrits ont pour la plupart effectivement voté aux présidentielles en 2007 : s'ils se sont inscrits, c'était justement pour pouvoir voter à ces élections-là. Mais on peut tout aussi raisonnablement imaginer qu'ils ont été beaucoup moins nombreux, relativement aux autres électeurs, à se déplacer pour les municipales. Justement parce que ces nouveaux inscrits sont moins enclins à voter systématiquement que les autres électeurs, comme le prouve le fait qu'ils n'avaient pas jugé utile de s'inscrire sur les listes électorales avant 2006. Cette hypothèse semble confirmée par les comportements électoraux au moment des législatives de 2007, qu'analysait le professeur de sciences politiques Jean-Yves Dormagen dans une interview au Mensuel de l'université :
Une campagne législative scénarisée comme une procédure de ratification des présidentielles, jouée d’avance et sans couverture médiatique ne peut guère espérer être très mobilisatrice. Mais ce qu’il est important, me semble-t-il, de souligner, c’est combien cette démobilisation obéit à des déterminants sociaux. Ce sont, en priorité, les moins politisés, les plus jeunes, les moins diplômés, les plus précaires qui se démobilisent dès que chute l’intensité électorale. C’est ce qui explique que l’abstention, déjà considérable au niveau national, ait atteint des sommets dans les quartiers les plus populaires. Pour ne prendre que l’exemple de la cité des Cosmonautes : alors que la participation y avait été de 82 % aux présidentielles, celle-ci a chuté à 47,5 % aux législatives. Un recul de 34 points !
Paradoxalement, donc, une politique agressive en faveur de l'inscription sur les listes électorales a de grandes chances de faire augmenter le taux d'abstention, au moins pour les élections "intermédiaires".

Ce qui explique que la classe politique ait toujours considéré de façon ambivalente ce genre d'opération, ainsi que l'affirmait Gérard Courtois du Monde au cours d'une remarquable édition (pas réécoutable, hélas) de l'émission du Grain à moudre en avril 2007.

Ce qui impose, aussi, de remettre en perspective l'idée d'une abstention extrêmement élevée aux Etats-Unis, dans la mesure où le taux de participation y est traditionnellement calculé par rapport à la population en âge de voter (c'est-à-dire tous les habitants de plus de 18 ans, y compris les étrangers et les citoyens américains privés de leurs droits civiques) et pas seulement par rapport aux seuls inscrits sur les listes électorales.