05 juillet 2011

Roger Federer ne gagnera plus aucun tournoi du Grand Chelem (sauf si Andy Murray se met à en gagner) 

La victoire de Novak Djokovic en finale de Wimbledon a été célébrée comme il se doit par les fans éperdus de Roger Federer (dont je suis).

D'abord, évidemment, parce que la défaite de Rafael Nadal l'a empêché de se rapprocher encore un peu plus du record de victoires dans les tournois du Grand Chelem détenu par le Suisse : Rafa reste à 10, tandis que Rodgeur en compte 16 depuis son succès à l'Open d'Australie en janvier 2010.

Mais peut-être aussi parce que la thèse selon laquelle Djokovic serait devenu la bête noire de Rafael Nadal semble redonner toutes ses chances à Federer pour les prochains tournois du Grand Chelem. Le raisonnement sous-jacent est le suivant :
  • Nadal a un avantage psychologique certain sur Federer. Les deux joueurs se sont affrontés 25 fois dans leur carrière et Nadal mène 17 à 8, dont 7 à 2 pour les matchs disputés en Grand Chelem, à chaque fois en finale qui étaient tous, sauf un (1/2 finale de Roland Garros 2005), des finales. Nadal a battu Federer sur terre battue (5 finales de Roland Garros), sur gazon (la mémorable finale de Wimbledon de 2008) et sur dur (la finale de l'Open d'Australie de 2009). Federer n'a plus vaincu Nadal en Grand Chelem depuis 2007, et les matchs disputés depuis lors ont amplement prouvé les difficultés particulières du Suisse quand il joue l'Espagnol.
  • Djokovic a pris l'ascendant mentalement sur Nadal. Ça ne se voit pas encore vraiment quand on regarde les confrontations directes (16 à 12 pour Nadal) et encore moins les matchs en Grand Chelem (5 à 1 Nadal). Mais Djokovic a battu Nadal 5 fois de suite en 2011, sur toutes les surfaces : 2 fois en finale sur dur, 2 fois en finale sur terre battue et 1 fois en finale sur gazon. Surtout, Djokovic a réussi à prendre Nadal à son propre jeu, à gagner les échanges longs et à l'asphyxier à coups de balles longues, comme personne n'avait réussi à le faire jusqu'à présent.
  • Federer serait toujours la bête noire de Djokovic. Pour le coup, c'est nettement plus discutable : certes Federer mène 14 à 9 dans leurs confrontations directes (5 à 4 dans les tournois du Grand Chelem) ; certes, il est le seul à l'avoir battu cette année. Mais Djokovic avait quand même battu Federer en 1/2 finale à l'US Open 2010 et à l'Open d'Australie 2011. Ce qui semble à peu près sûr, néanmoins, est que Federer ne fait pas de complexe face à Djokovic et l'on peut même soutenir que la demi-finale de Roland Garros, qui a brisé pour quelques jours l'aura d'invincibilité du Serbe, lui donne un léger avantage psychologique pour l'avenir.
  • Donc Nadal > Federer > Djokovic > Nadal...
  •  ... et en vertu du principe d'intransitivité et en oubliant pour l'instant de possibles trouble-fête, on se dit que les trois devraient se partager à peu près équitablement les tournois du Grand Chelem à venir. 
Sauf que. Sauf que Federer est en réalité beaucoup plus mal placé qu'il n'y paraît. Les tournois de tennis sont ainsi faits que les têtes de série 1 (Djokovic depuis hier) et 2 (Nadal) sont faites pour se retrouver en finale. Tant qu'il reste numéro 3 mondial, et à supposer toujours que les deux autres ne se fassent pas sortir avant, Federer doit donc nécessairement battre à la fois Djokovic et Nadal pour remporter un tournoi du Grand Chelem. Ce qui n'est pas envisageable tant que le complexe face à Nadal demeure. Dès lors, les deux autres vont se partager les tournois du Grand Chelem selon la règle suivante :
  • soit Federer est dans la partie de tableau de Djokovic, et c'est Nadal qui gagne le tournoi (Federer bat Djokovic en 1/2 et perd contre Nadal en finale);
  • soit Federer est dans la partie de tableau de Nadal, et c'est Djokovic qui gagne le tournoi (Federer perd contre Nadal en 1/2 et Djokovic bat Nadal en finale).
Il suffirait évidemment que Federer redevienne au moins numéro 2 mondial pour qu'il ait à nouveau une chance de gagner en Grand Chelem. Mais la situation actuelle a justement tendance à renforcer la position des deux premiers, qui se partagent les titres du Grand Chelem, et les points au classement, alors que Federer ne peut pas faire mieux que finaliste. La malédiction du numéro 3 a ainsi tendance à se perpétuer d'elle-même - Djokovic en sait d'ailleurs quelque chose, qui a vécu ça de 2007 à 2010.

Que faire? Une solution est d'emmagasiner beaucoup de points en dehors des Grands Chelems, pour retrouver une place dans les deux premiers mondiaux. Ce n'est pas impossible mais Federer semble moins bien placé à ce jeu-là que Nadal (pour qui la saison sur terre battue reste une chasse largement gardée) ou Djokovic (qui est plus jeune et sans doute davantage capable d'enchaîner beaucoup de matchs sur une saison).

Paradoxalement, la meilleure solution est que d'autres joueurs entrent dans le cercle des possibles vainqueurs réguliers des tournois du Grand Chelem. Ce serait une vraie nouveauté : depuis Roland Garros 2004 l'Open d'Australie 2005, tous les titres du Grand Chelem sauf 1 ont été remportés par Federer (13), Nadal (10) et Djokovic (3). Le spectacle aurait en tout cas tout à y gagner. Et Federer aussi, pour peu que le numéro 4 (ou 3) au classement ATP ait la bonne idée de battre de temps en temps Nadal en 1/2 finale en Grand Chelem. Ce qui permettrait au Suisse de continuer à remporter des titres majeurs, comme il l'a fait à 4 reprises depuis 2008 sans avoir à rencontrer l'Espagnol.

Il ne reste donc plus à Federer qu'à prier pour que Murray n'ait pas déjà lui aussi attrapé un méchant complexe d'infériorité face à Nadal, que le vilain raté alors qu'il menait 1 set 0, 2-1 et 15-30 en demi-finales vendredi dernier n'aurait pas franchement arrangé.

Add. (07/07) :  quelques erreurs factuelles ont été corrigées. Merci à Robin Ryder d'avoir relevé la plus embarrassante.