21 avril 2012

[sondages] Stupida lex, sed lex 

Les courbes finales de premier tour pour 2012 devront attendre. Et je ne publierai pas de prévision.

La loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion, modifiée en particulier par la loi n° 2002-214 du 19 février 2002, m'en empêche. Son article 11 dispose en effet que :
La veille de chaque tour de scrutin ainsi que le jour de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l'article 1er. Cette interdiction est également applicable aux sondages ayant fait l'objet d'une publication, d'une diffusion ou d'un commentaire avant la veille de chaque tour de scrutin. Elle ne fait pas obstacle à la poursuite de la diffusion des publications parues ou des données mises en ligne avant cette date.
L'article 1 définit un "sondage" de la façon suivante :
Sont régies par les dispositions de la présente loi la publication et la diffusion de tout sondage d'opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle ou l'une des élections réglementées par le code électoral ainsi qu'avec l'élection des représentants à l'Assemblée des Communautés européennes.

Les opérations de simulation de vote réalisées à partir de sondages d'opinion sont assimilées à des sondages d'opinion pour l'application de la présente loi.
Contra Maître Eolas, je considère, sur la base de la logique élémentaire et de la claire volonté du législateur, que les sondages visés à l'article 1 sont uniquement ceux qui ont un lien direct ou indirect avec l'élection en cours. Autrement dit, le fait d'être à la veille du premier tour de la présidentielle ne m'empêche nullement de commenter des sondages ayant trait à la présidentielle 2007 et a fortiori à d'autres élections passées.

Je suppose, a contrario, qu'un sondage ayant trait aux prochains élections législatives (ou à la prochaine élection présidentielle) pourrait être considéré comme ayant un lien indirect avec l'élection en cours. La Cour de Cassation avait ainsi jugé en 1996 qu'une enquête comportant la question "êtes-vous personnellement très favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou très opposé à la construction de l'Europe?" présentait un rapport indirect avec le référendum sur le traité de Maastricht du 20 septembre 1992 et que sa publication moins d'une semaine avant le scrutin n'était en conséquence pas licite.

La loi du 19 février 2002 a ramené ce délai à une journée avant le scrutin, suite un arrêt de la Cour de Cassation du 4 septembre 2001 jugeant la législation française incompatible avec la Convention européenne des droits de l'homme. Mais elle a également étendu l'interdiction de commenter et de diffuser aux sondages déjà publiés avant la veille du scrutin. Si bien que la législation actuelle se retrouve sur ce point plus restrictive que la loi de 1977, qui avait été élaborée par des ministres dont l'amour des libertés publiques n'était pas la première caractéristique.

Les dispositions ajoutées en 2002 m'interdisent donc publier un graphique présentant de manière synthétique l'évolution du score des principaux candidats (ce qui s’apparenterait à une diffusion de sondages déjà publiés). Tandis que le texte de 1977 m'empêche de m'essayer à une prévision des résultats du premier tour (car "les opérations de simulation de vote réalisées à partir de sondages d'opinion sont assimilées à des sondages d'opinion").

Au cours du débat au Sénat en 2002 sur la modification de la loi de 1977, le toujours sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur notait fort justement :
il est probable que le nombre de personnes ayant accès aux informations diffusées soit par la presse étrangère, soit par Internet, soit par les deux, ira croissant. Monsieur le ministre, il sera par conséquent utile, à l'avenir, de réfléchir, peut-être à la faveur de l'expérience, sur l'article 2 et de nous interroger sur l'interdiction faite de commenter les sondages existant depuis six mois, depuis quatre mois, depuis huit jours, alors que pourront toujours être diffusés les commentaires et informations publiés avant le vendredi. C'est une question délicate, car il n'est pas facile de trouver le bon équilibre. Il faudra sans doute revenir sur certaines dispositions pour tâcher de les améliorer, étant entendu que ce n'est pas là chose aisée.
Cette amélioration nécessaire a failli avoir eu lieu. Une proposition de loi sur les sondages visant à mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral a été déposée le 25 octobre 2010. Elle prévoyait en particulier de "modifier le droit en vigueur en autorisant le commentaire de sondages publiés avant la veille du scrutin". Elle a été votée à l’unanimité par le Sénat le 14 février 2011. Le Gouvernement avait jugé bon de s'opposer à ce que l'Assemblée nationale lui emboîte le pas.

Il ne serait pas stupide que la nouvelle majorité à l'Assemblée nationale, quelle qu'elle soit, inscrive ce texte à l'ordre du jour et l'adopte rapidement.