03 mai 2005

La route est droite mais la Pentecôte est forte 

Comme la polémique sur le lundi de Pentecôte travaillé n'est pas prête de s'éteindre, je rappelle, à toutes fins utiles, que j'avais commis l'année dernière une note concernant les mécanismes macroéconomiques et fiscaux par lesquelles la suppression d'un jour férié permettra d'aider les petits vieux. Je renvoie aussi, comme dans ma note initiale à une très complète analyse faite par Xavier Timbeau pour l'OFCE (pdf).

Au-delà du bien-fondé de la mesure du gouvernement, il y a un développement récent que je trouve, à première vue, assez surprenant. Je peux comprendre, évidemment, que les salariés refusent de travailler un jour de plus sans être rémunérés directement. Ce qui peut sembler absurde, par contre, est l'attitude des entreprises qui ont décidé de fermer leurs usines ou leurs bureaux ce jour-là : vu qu'elles paieront de toute façon une taxe assise sur la masse salariale, elles ont plus qu'intérêt à essayer de neutraliser ce surcoût en profitant de la journée de main d'oeuvre gratuite.

Pourquoi, alors, certaines sociétés semblent prendre des mesures qui vont contre leur intérêt économique et financier? Je vois trois explications possibles (au-delà du cas des entreprises qui imposent une journée de RTT et ne perdent donc rien dans l'affaire) :
  • Certains entreprises estiment que le "cadeau" du lundi de Pentecôte aux salariés est préférable à une insubordination généralisée et une dégradation des relations sociales.
  • Les convictions religieuses de certains dirigeants d'entreprises l'emporte sur les considérations purement financières. Est-ce une bonne façon de gérer une entreprise? La question reste ouverte.
  • Le raisonnement macroéconomique orthodoxe : le problème avec le bouclage macroéconomique de la supression d'un jour férié est que, hormis le cas du secteur "aide aux personnes âgées", l'on augmente l'offre (une journée de production supplémentaire) sans augmenter de manière correspondante la demande intérieure (pas de salaires versés). En simplifiant les hypothèses au maximum (exportations constantes, épargne constante, concurrence pure et parfaite), un surcroît de production aboutit simplement à une baisse des prix des biens et services : les salariés retrouvent leur mise (la journée de repos perdue leur est rendue sous la forme d'un panier de biens et services moins chers) et les entreprises restent perdantes (l'augmentation de la production n'a pas augmenté leurs profits et la taxe sur la masse salariale demeure).
Conclusion surprenante : il est indifférent pour les entreprises, prises dans leur ensemble, de faire travailler ou non leurs salariés le lundi de Pentecôte. Mais cela suppose que leur comportement soit uniforme. Les choses se compliquent si l'on se place dans un schéma type dilemme du prisonnier : dans ce cas, la stratégie dominante est "jour de travail", même si l'option "jour chômé" serait au moins équivalente, au mieux supérieure (à cause de la variable "relations sociales").

L'affaire devient encore plus complexe si l'on considère, comme le fait Xavier Timbeau, que la taxe supplémentaire sur la masse salariale va avoir un impact sur l'emploi : dans ce cas, les entreprises refilent le mistigri aux salariés. A moins que la perspective d'une meilleure prise en charge du risque vieillesse n'incite la population à réduire son épargne, donc à apporter la demande supplémentaire qui manque pour boucler le schéma macroéconomique...

On peut continuer longtemps comme ça : le but est justement de montrer que le changement d'une simple variable (ici, une augmentation de 0,45% du temps annuel de travail) induit des réactions en chaîne sur les autres variables, et que l'effet macroéconomique final est très délicat à estimer.