17 mai 2004

Une balle dans le pied 

J'ai écrit précédemment que mon avis sur le mariage homosexuel était "loin d'être fait". Je doute que ce soit encore le cas aujourd'hui, après avoir suivi le débat qui s'est engagé depuis trois semaines. D'un côté, les arguments des anti-mariage me semblent peu convaincants :
  • Le pire est évidemment de se tromper de débat en arguant que l'adoption par des couples homosexuels est indésirable et/ou que l'union célébrée par Mamère serait illégale (ce qui reste à confirmer par le juge national et le juge européen) pour refuser le principe du mariage homo.

  • Tautologiser sur le fait que le mariage est "l'union d'un homme et d'une femme" est à peine plus honorable.

  • Plus intéressant est l'argument selon lequel le mariage est basé sur le souci de protéger la filiation, à laquelle les couples homosexuels ne sauraient évidemment accéder. Certes. Mais dans ce cas que faire des couples hétérosexuels mariés qui ne peuvent ou ne veulent pas concevoir d'enfant? Faut-il leur retirer les bénéfices sociaux et juridiques du mariage?
Au contraire, les arguments du camp opposé m'apparaissent beaucoup plus solides. Je me permets de citer longuement un vieil éditorial (1996) de The Economist qui exposait deux raisons principales en faveur du mariage homosexuel (c'est moi qui souligne) :
It is true that the single most important reason society cares about marriage is for the sake of children. But society's stake in stable, long-term partnerships hardly ends there. Marriage remains an economic bulwark. Single people (especially women) are economically vulnerable, and much more likely to fall into the arms of the welfare state. Furthermore, they call sooner upon public support when they need care—and, indeed, are likelier to fall ill (married people, the numbers show, are not only happier but considerably healthier). Not least important, marriage is a great social stabiliser of men. Homosexuals need emotional and economic stability no less than heterosexuals—and society surely benefits when they have it.

[...] To this principle of social policy, add a principle of government. Barring a compelling reason, governments should not discriminate between classes of citizens. As recently as 1967, blacks and whites in some American states could not wed. No one but a crude racist would defend such a rule now. Even granting that the case of homosexuals is more complex than the case of miscegenation, the state should presume against discriminating—especially when handing out something as important as a marriage licence.
L'argument de la stabilité répond à l'objection sur la filiation. Celui de la non-discrimination à celle du maintien du statu quo (PACS / mariage). Et le tout n'est pas loin de me convaincre définitivement.

Cela dit, ma position provisoire sur le sujet doit beaucoup à mon inclination libérale (au sens classique et politique du terme). Je peux comprendre que d'autres, et pas seulement à droite, aient sur ce sujet une position inverse, reflet de valeurs différentes. Ce qui implique que la décision éventuelle de modifier les fondements de notre conception sociale du mariage ne peut se prendre à la légère. Pour ces raisons, je suis pleinement d'accord avec l'éditorialiste anonyme du Monde du jour :
Les principaux présidentiables [du PS] se sont livrés à une course-poursuite aussi ridicule que dérisoire, le jeu consistant à revendiquer un jour d'avoir été le premier à défendre le mariage gay.

Dominique Strauss-Kahn s'est découvert partisan du mariage homosexuel et de l'adoption d'enfants par un couple homoparental. Aussitôt, Laurent Fabius s'est cru obligé de rappeler à son rival que, depuis un an, les gays désireux de se marier n'avaient pas de plus grand défenseur que l'ancien premier ministre. Bouquet final : François Hollande s'est senti à son tour obligé de forcer la cadence. Le bureau national du PS a chargé les députés socialistes d'élaborer une proposition de loi déterminant "les conditions et les règles" des mariages homosexuels.

[...] La morale de l'histoire est que la direction du PS a fait une erreur. En voulant aller trop vite pour ne pas être accusé d'être hermétique aux évolutions des mœurs, en ne se donnant pas le temps d'un débat approfondi, comme le lui conseillait Martine Aubry, le PS s'est pris les pieds dans le tapis. Il offre une image de division. Quelle que soit l'opinion que l'on peut avoir sur le mariage gay, un minimum de respect pour les défenseurs de cette revendication, parmi les associations homosexuelles, une juste mesure du sérieux de la question posée, et de ses incidences sociales et morales, auraient mérité une véritable réflexion.
J'ajoute que lier mariage et adoption, comme l'ont fait DSK et Fabius, est sûrement une bévue tactique de plus dans une histoire qui en comporte déjà beaucoup trop.