03 septembre 2004

L'économie pour les nuls : formation accélérée 

Voilà les deux choses qu'il faut savoir sur l'économie, d'après Glen Whitman :
1. Incentives matter.
2. There's no such thing as a free lunch
Ceux qui ont pris quelques cours d'économie dans leur vie voient tout de suite à quoi il est fait allusion. Pour les autres, je tente une explication rapide.

D'abord, "incentives matter" (les incitations comptent) : en général, il s'agit d'incitations monétaires, mais le tant décrié modèle néoclassique de l'homo oeconomicus a ceci d'utile qu'il permet aussi de prendre en compte n'importe quel type d'incitation. Exemples paradigmatique d'application : le chômeur qui refuse un poste de travail parce qu'il peut gagner plus en continuant à toucher les allocations chômage. Ce type de raisonnement passe mal en France - et c'est un euphémisme. Un argument fréquemment opposé à cette théorie du "chômage volontaire" est qu'il est illusoire de considérer le travail uniquement comme une source de revenu. Détenir un emploi apporte aussi un statut social, un réseau de contacts ou (pas toujours) le sentiment d'être utile et productif.

C'est tout à fait exact, mais l'économiste aura beau jeu de rétorquer que : d'une part, il va vous construire un joli modèle qui prenne en compte la valeur monétaire des bénéfices sociaux et psychologiques apportés par la reprise d'emploi ; d'autre part, que ces bénéfices varient selon le poste de travail et selon les individus, de sorte qu'il est probable que les seuls incitations monétaires jouent un rôle déterminant dans certains cas. Je crois surtout qu'il faut essayer d'avoir une vision mesuré de ce principe : les incitations monétaires comptent dans les choix des individus, mais il n'y a pas qu'elles qui comptent. Il serait stupide de les passer sous silence. Mais tout aussi stupide de croire qu'elles expliquent l'ensemble des comportements.

Ensuite, "there's no free lunch" (il n'y a pas de repas gratuit - contrairement à ce qu'essaye honteusement de vous faire croire le site Econoclaste) : on n'a rien sans rien, tout se paye, même ce qui apparaît à première vue comme gratuit. Un commerçant n'offre quelque chose que dans la mesure où il est sûr de récupérer la mise au final. Exemple bien connu : les clauses de remboursement de la différence "si vous trouvez moins cher ailleurs" servent à la fois à rassurer le consommateur et, accessoirement, à faire faire le travail de vérification des prix des concurrents par le client lui-même.

Si l'on considère l'économie dans son ensemble, l'adage prend un sens assez différent. L'absence de "repas gratuit" est en général utilisée pour mettre en garde contre certaines interventions de l'Etat dans la sphère économique. Comme interdire les licenciements pour régler le problème du chômage, faire marcher la planche à billet pour rembourser les dettes publiques, utiliser les bénéfices des entreprises pour régler le problème de financement des retraites ou lutter contre les délocalisations en accordant une préférence aux produits nationaux : toutes ces solutions "de bon sens" ont des coûts indirects, qui dépassent quasiment toujours les bénéfices escomptés.

[Add. : comme le fait justement remarquer Etienne en commentaires, le principe est en fait beaucoup plus général, dans la mesure où il fait référence à la notion de coût d'opportunité, concept majeur en économie. Suivre le lien ou voir les commentaires pour plus d'explications.]

Dans sa forme faible, l'adage est donc une invitation salutaire à regarder au-delà des fausses évidences. Dans sa forme forte, il devient un slogan simpliste contre toute intervention de l'Etat, et se fonde sur une représentation de l'économie complètement déconnectée de la réalité (voir cet article de Wikipedia). A noter, et j'en avais déjà parlé, que le fort niveau des dépenses sociales associé aux Etats-providence européens ne se traduit pas par un rythme de croissance moins élevé, contrairement à ce qu prévoit la théorie économique. Ce qui peut sembler être un "repas gratuit". Mais qui n'est en pas un, pour des raisons explicitées dans un article vraiment extraordinaire (pdf), qu'il ne serait pas inutile que j'essaye de synthétiser un de ces jours.

Evidemment, ces deux observations ne vous apprendront rien sur la loi de Taylor, le NAIRU ou les stabilisateurs automatiques. Ni sur l'effet Giffen, la loi du prix unique et le modèle AS-AD. Mais il n'est pas inutile de les avoir en tête pour comprendre comment un économiste pense.

NB : Le site dont est extrait "les deux choses à savoir sur l'économie" recueille une quantité de "deux choses" pour d'autres disciplines et activités. Les contributions sont malheureusement assez inégales. Mais les "deux choses" sur la médecine sont absolument géniales.