06 octobre 2004

Grosse frayeur 

A la fin du premier quart d'heure du débat en Dick Cheney et John Edwards, mes notes disaient ceci : "Cheney is doing right everything Bush had done wrong in the first debate; Edwards is merely repeating Kerry generalities, but with less specifics".

Après quelques minutes de préchauffage, Cheney avait commencé à aligner méthodiquement les coups (bas), reprenant la propagande des Républicains sur les votes passés de Kerry et adoptant un ton doctoral pour corriger les "erreurs" d'Edwards. Celui-ci gardait le sourire, mais ses répliques étaient peu convaincantes et son manque de maîtrise des questions de politique étrangère devenait de plus en plus criant. Tout cela commençait à sentir très mauvais, et un coup d'oeil sur les réactions d'Ezra Klein de Pandagon n'avait rien pour me rassurer :
Cheney is DECAPITATING Edwards. Where Cheney is attacking votes, Edwards is defending with values. Where Cheney is using examples, Edwards is offering generalities. Where Cheney is using words like "lie", Edwards is darting around with "distortion". Where Cheney is drawing the clearest contrast between death with Kerry and life with Bush, Edwards is talking in tangents right before ignoring criticisms to level soft attacks. Now Cheney is saying Edwards and Kerry caved to Dean and will certainly cave to Osama. There's no getting around it and no reason to lie: thus far, Edwards is getting his ass handed to him.
C'est ce moment-là qu'a choisi mon portable pour me lâcher en rase campagne présidentielle. Incident salutaire. Un redémarrage plus tard, la dynamique du débat avait déjà commencé à changer. Sans que la cause soit très claire, d'ailleurs. Bien sûr, Edwards a bénéficié de questions qui ne portaient plus sur la guerre d'Irak au sens strict. Et il s'est essayé avec un certain succès à la contre-attaque buldozer contre Cheney, en abusant des références à Halliburton et en renvoyant à Cheney ses votes (contre une motion appelant à la libération de Mandela! contre l'instauration d'une fête nationale en l'honneur de Martin Luther King! contre les vieux! contre les jeunes! contre les noirs!) du temps où il était représentant au Congrès.

Mais la vraie surprise a été l'essoufflement progressif du vice-président. Qui a refusé de reprendre la parole après certaines attaques violentes d'Edwards. Qui n'a quasiment rien dit sur Israël après une tirade d'Edwards sur le mode "plus-Likudnik que moi tu meurs". Qui a semblé très peu combatif sur la dernière demi-heure, laissant des boulevards à son adversaire sur la question du système de santé et sur celle du mariage homo. Comme si son coeur -fragile, il est vrai- n'y était plus vraiment. Edwards n'a certes pas été grandiose. Mais, sur des sujets qu'il maîtrise, il peut parfois être très bon. Sa double réponse sur l'impact des procès contre les médecins sur le coût des soins aux Etats-Unis a été un modèle du genre : 1. Reconnaître le problème 2. Montrer qu'il est surestimé 3. Proposer des solutions concrètes pour le régler (et pas juste dire "we have a plan") 4. Prendre le parti des enfants victimes contre les méchantes compagnies d'assurance 5. Terminer sur l'incurie de l'administration Bush en ce domaine.

Conclusion personnelle : courte victoire de Cheney (je rappelle que j'ai tendance à surestimer l'efficacité de la propagande républicaine) et soulagement de pouvoir dire qu'Edwards ne s'en sort pas si mal. On pouvait certes légitimement estimer qu'il y avait match nul ou victoire au finish d'Edwards, mais il me semblait au moins évident au vu du débat que : la bonne performance de Cheney est plutôt embarrassante pour Bush, dans la mesure où elle étaye les soupçons qui font du président la marionnette du vice-président; la performance mitigée d'Edwards prouve a contrario que Kerry est en haut du ticket démocrate pour de bonnes raisons (comme le répète justement Matthew Yglesias).

Las. Le bushiste en cure de désintox' Andrew Sullivan affirme qu'Edwards a écrasé Cheney. Et le républicain modéré (mais désintoxiqué depuis longtemps) William Saletan ouvre son article du jour dans Slate en demandant aux démocrates : "Now are you sorry you didn't nominate this guy for president?". C'est à n'y plus rien comprendre.