20 janvier 2005

Commentaires et rectifications 

Au plus grand désarroi d'une partie de mon lectorat, ce blog s'est laissé entraîné, au cours de ces dernières semaines, à des analyses juridiques dont la longueur et l'absconsité n'avaient d'égales que l'étroitesse de la formation en droit de leur auteur.

La note qui suit ne sera pas forcément moins longue, mais elle essaye d'être plus accessible. Elle se nourrit, surtout, des commentaires de mes camarades juristes Eolas et Paxatagore ainsi que de ceux d'un éminent professeur de droit (dont je préfère préserver l'anonymat, parce que ses propos n'étaient pas, à proprement parler, publics), pour rectifier les erreurs qui j'avais commises lors des notes précédentes.

Reprenons les dossiers dans leur ordre d'apparition :

1. Le jugement de la cour d'appel de Versailles : Paxatagore avait contesté en décembre l'argumentation du Canard. Eolas a poursuivi hier le travail de démolition, en se fondant aussi sur la distinction ente les deux alinéas de l'article 132.21 du code pénal (je sais, c'est du chinois : allez lire la note d'Eolas pour une dissection complète et abordable de l'étude de cas). Et le professeur de droit confirme l'analyse, sur les mêmes bases. L'affaire n'est pas close, mais la thèse d'une boulette commise par des juges versaillais prêts à toutes les contorsions pour tirer Juppé d'affaire a sérieusement du plomb dans l'aile.

2. La révision constitutionnelle "traité constitutionnel européen" : on me confirme en haut lieu (toujours le même professeur, à qui j'ai directement posé la question) que ma longue analyse sur l'article 4 du projet de loi constitutionnel ne tient pas une seconde la route.

C'est en effet le critère de forme qui prévaut : toute disposition adoptée selon la procédure de l'article 89 est de facto constitutionnelle. Peu importe qu'elle ne modifie pas le texte de la Constitution : la Constitution n'est qu'une codification, qui peut être incomplète, des différentes lois constitutionnelles. Par analogie, m'a fait remarquer mon interlocuteur, les dispositions de droit pénal qui ne figurent pas au code pénal n'en ont pas moins une force de loi égale à celles qui y figurent. Dont acte, et mes excuses à Paxatagore qui avait fait une analyse comparable en réponse à ma note initiale.

L'article 2 du projet de loi constitutionnelle, qui prévoit un référendum automatique pour toute nouvelle adhésion à l'Union Européenne (ce que l'article 4 tempère hypocritement en excluant la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie et, comme le signale justement ma source, la Norvège [A priori non. Voir les commentaires pour plus de détails]), n'en reste pas moins une manoeuvre d'une stupidité rare. Nous y reviendrons prochainement.

3. Le dossier Chirac sénateur à vie : beaucoup de gens, moi le premier, avaient assimilé la proposition du sénateur Patrice Gélard (UMP) à une "proposition de loi constitutionnelle visant à accorder une immunité à vie aux anciens présidents de la République". Cette analyse est, en fait, très exagérée, comme le faisait remarquer Paxatagore dans une discussion offline, rejoint en cela par le professeur de droit déjà cité. De quelle immunité parle-t-on, en effet? Il faut revenir au texte de la Constitution, et plus spécifiquement à son article 26, qui a été modifié en 1995 :
Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions.

Aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du Bureau de l'assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n'est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d'un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l'assemblée dont il fait partie le requiert.

L'assemblée intéressée est réunie de plein droit pour des séances supplémentaires pour permettre, le cas échéant, l'application de l'alinéa ci-dessus.
L'article précise les deux immunités dont bénéficient les parlementaires : l'irresponsabilité (alinéa 1), qui assure aux parlementaires une entière liberté de parole et de vote dans l'exercice de leurs fonctions et l'inviolabilité (alinéa 2 et suivants), dont le but principal est d'empêcher que des poursuites abusives puissent perturber le bon fonctionnement du travail parlementaire et attenter à l'intégrité de la représentation nationale. C'est pourquoi elle restreint (sans l'interdire totalement, puisque le bureau de chaque assemblée peut décider de lever, partiellement ou totalement, l'immunité) la capacité de juges à ordonner contre les membres du Parlement des mesures privatives de liberté, c'est-à-dire :
  • L'usage de menottes
  • La garde à vue
  • Le contrôle judiciaire (et l'interdiction de quitter le territoire)
  • La détention préventive
Notons que toute ces dérogations au droit commun n'empêchent pas à un juge d'instruction de mener une enquête sur des faits concernant un parlementaire et un tribunal de le condamner. Et, bien entendu, l'interdiction générale de recourir à des mesures privatives de libertés est levée en cas de condamnation définitive à une peine d'emprisonnement.

Cela dit, je ne pense pas, et au contraire du professeur, que la proposition du sénateur Gélard (dont les propos sur le devoir de réserve des membres du Conseil Constitutionnel sont effectivement hypocrites) soit une bonne idée. Mais elle ne méritait pas, assurément, une comparaison hâtive avec le cas Pinochet.