05 mars 2005

Et si Bush avait raison? (suite) 

Fred Kaplan (un membre, généralement fiable et intéressant, de la confrérerie des "liberal hawks") se penche à son tour sur la question qui hante les anti-Bush dans Slate. Etonnamment, il aboutit à des conclusions un peu plus nuancés que celles de Guy Sorman :
[W]hile it's absurd to think that Bush set the upheavals of '05 in motion, it's churlish not to grant him any credit at all. If nothing else, it's an inspiring thing to see the United States standing on the side of national self-determination. It hasn't happened very often in the past 60 years, unless anticommunism was at stake. John Kerry would be commended for it if he were president; George W. Bush should be, too.

But Bush's partisans seem not to realize that we are witnessing, for the most part, the mere beginnings of a long, uncertain process. Elections mark the first step of a fledgling democracy, not its endpoint. Rallies can sire repressions. Freedom itself is a thin reed without the security, laws, and institutions to uphold it.
Tout cela me semble frappé au coin du bon sens. Mais la vraie question, évidemment, n'est pas de savoir si les événements récents au Moyen-Orient sont encourageants (ils le sont) ou s'ils sont suffisants (non). Le débat central, même s'il est implicite, porte encore une fois sur le bien-fondé de l'intervention en Irak : la mini-vague de démocratisation actuelle aurait-elle été possible sans le renversement de Saddam Hussein et les élections irakiennes? Kaplan donne une réponse un peu molle à cette question :
Could a new type of Palestinian leadership have emerged had Saddam Hussein still been ruling Iraq and sending money to terrorists and their families? Probably not. Could it have emerged had Saddam been boxed in by U.N. weapons inspectors and surrounded by U.S. and British armed forces? Maybe, maybe not. This question may serve as the wedge for a new debate over whether the war was justified, given the absence of weapons of mass destruction, the skyrocketing costs of the war (in money and lives), and the Joint Chiefs of Staff's latest forecast that the insurgency (and, therefore, the U.S. military presence) will probably persist for another decade.
Peut-on sérieusement croire que les récompenses offertes par Saddam Hussein aux familles de kamikazes palestiniens avaient une influence décisive sur le champ politique palestinien? L'argument est étrange.

Sur la question plus générale des effets indirects de la guerre en Irak, il me semble important de se méfier du piège du "post hoc, ergo propter hoc" : ce n'est pas, comme le savent les latinistes et les amateurs de The West Wing, parce qu'un événement B suit un événement A qu'il est causé par A (Brad Plumer avait déjà évoqué cet argument, sans le latin, ici et ). Pour une critique magistrale (et hilarante) de la thèse de l'enchaînement cause-conséquence , il faut une fois de plus se tourner vers Fafblog! :
Freedom has been on the crawl of late. From the reforms of Mahmoud Abbas’s Palestine to the upheavals in Lebanon to Hosni Mubarak’s promise of a slightly less rigged election in Egypt’s near future, the Mideast is taking confident baby-steps toward a more democratic future – and mostly as a response simply to civil demonstrations and diplomatic pressure. One might draw the conclusion that it is therefore possible to nudge corrupt and tyrannical regimes in the direction of freedom and democracy without massive preventive invasions, enormous loss of life, and inaccurate, bad-faith presentations of casus belli. But one would be wrong – oh, so terribly wrong. For had the United States not bludgeoned Iraq into a quasi-democratic shape, the Muslim world would never have thought to try democracy on its own. Indeed, before the Iraq war, Arabs scarcely knew that democracy existed.
Ce n'est qu'un début : allez tous lire la suite.

Et mon avis sur la question? Je crois aussi que la récente offensive diplomatique américaine dans la région, avec les résultats positifs que l'on sait, aurait été parfaitement possible sans la guerre en Irak. Aurait-elle cependant eu lieu? C'est plus douteux, car les incitations auraient été différentes.

L'absence d'armes de destruction massive, le coût financier, diplomatique et humanitaire de la guerre en Irak ont, tout le monde le sait, très sérieusement affaibli l'argumentaire ex ante en faveur d'une intervention militaire. La seule justification qui demeure est celle de la démocratisation en Irak et du remodelage du Moyen-Orient. L'administration américaine a alors un intérêt puissant à montrer que l'intervention a produit des résultats sur ce plan, en aidant ces résultats à émerger. Donc à s'investir fortement sur la question israélo-palestienne, et à accentuer la pression sur la Syrie, l'Egypte ou l'Arabie Saoudite.

C'est-à-dire que, paradoxalement, la contribution américaine à la démocratisation de la région est moins une preuve du succès de l'intervention en Irak qu'une conséquence de son échec.

Addendum (3 heures du mat', 06/03) : voir aussi les réflexions de praktike sur le sujet (merci au passage à Nadezhda pour ses compliments - je vais les faire encadrer), celles de John Quiggin et un mail adressé à Andrew Sullivan qui résume assez bien mon état d'esprit du moment.