22 mars 2005

La deuxième mort du pacte de stabilité 

Alors, cette "réforme" du pacte de stabilité, bonne nouvelle ou pas? Du côté des blogs, une moitié d'Econoclaste dit "pt'êt que oui, mais il y a des arguments contre". L'autre remarque que le rapport du conseil Ecofin (désormais disponible en français et en pdf, pour le plus grand bonheur de tous) est franchement inbitable, ce qui était peut-être le but de la manoeuvre au départ. Fistful of Euros se la joue sarcastique. Et tout le reste de la blogosphère s'en fout, ce qui n'est pas forcément une attitude déraisonnable.

La presse, elle, s'intéresse beaucoup au sujet, avec une floppé d'éditos consacrés au compromis de Bruxelles. Le Figaro, sans doute pour faire passer ses récents éclairs critiques contre le gouvernement, applaudit du bout des doigts cette grande victoire de la diplomatie française. Jean Quatremer écrit un de ces articles-éditos qui font le charme de Libération où il affirme, au mépris de la chronologie et de la hiérarchie des normes, que la réforme du pacte prouve que la constitution européenne est bien révisable. Jean-Marc Vittori, dans Les Echos, croise, selon un modèle connu, des métaphores religieuses et entomologiques pour annoncer la prise de pouvoir subreptice du "pacte, deuxième version". Je n'ai pas acheté L'Equipe aujourd'hui, mais je ne doute pas que son éditorialiste parle aussi du pacte, en se désolant que les subventions publiques pour les clubs de foot (ou l'organisation des JO) ne puissent pas être sorties du calcul du déficit.

Du côté des anglo-saxons, le Wall Street Journal Europe ne consacre pas d'éditorial à l'affaire, laissant la place à une attaque assez frontale (et, pour une fois, assez défendable, à part la propagande fiscale habituelle) de la politique monétaire américaine en arguant que la Fed est "derrière la courbe" en ce qui concerne l'inflation : coïncidence ou pas, Greenspan & co ont inséré dans le communiqué qui accompagne la décision du FOMC une petite phrase sur les "pressions inflationnistes" qui fait plonger les marchés boursiers à New York et remonter en flèche les taux d'intérêt des obligations du Trésor. Le Financial Times est, comme d'habitude, désesperant de bon sens britannique. Et The Economist essaye de mettre tout le monde d'accord en disant, que, de toute façon, le pacte n'a pas d'importance et que le vrai problème est structurel, blablabla, il faut réformer les marchés du travail, blablabla.

Rajoutons que Trichet est tellement furieux qu'il menace de remonter les taux, que le patronat européen ne cache pas sa colère, et que Gordon Brown est aussi mécontent, mais pour des raisons complètement opposées (il trouve trop rigide l'objectif d'un déficit moyen de 1% sur le cycle, encore une preuve de l'orthodoxie ultralibérale du gouvernement Blair). Ce qui fait, en bonne logique, que je vais devoir être d'accord ou avec Le Figaro, ou avec Trichet. La dissonance cognitive n'est pas très loin.

A moins de ruser. Je me jette donc, en disant que le pacte est effectivement mort en pratique mais toujours bien vivant dans sa lettre, et que le problème est justement là. Il y avait, en fait, trois voies cohérentes de réforme du pacte :
  1. Une réforme visant à restaurer la crédibilité du pacte, en le rendant plus rigide. Le raisonnement est qu'il faut que les sanctions soient certaines pour qu'elles aient un effet préventif, notamment en forçant les gouvernements à réduire significativement les déificits dans la phase haute du cycle économique. C'était grosso modo la position de la BCE (même si elle se serait contentée d'un statu quo) et d'une partie non-négligeable des économistes européens "orthodoxes", en particulier les économistes allemands. Pour une version formalisée et technique, voir cette étude de 2004 (pdf), dans laquelle les auteurs défendent la thèse selon laquelle "the major weakness of the Pact is not that it does not offer enough flexibility, but that its enforcement mechanisms are too weak."

  2. Une réforme cherchant à rendre le pacte plus intelligent, par exemple en prenant en compte le déficit structurel (corrigé des effets du cycle économique) ou en revoyant les chiffres de base (3% de déficit - 60% de dette) qui impliquent, in fine, une réduction à 0 de la dette publique (ce qui, au passage, contrarierait nombre de gestionnaires de fonds). Les économistes français sont plutôt sur cette ligne, comme le montrait un rapport récent du CAE.

  3. Un abandon du pacte dans sa forme actuelle, en renationalisant le contrôle des politiques budgétaires. C'est une position qui est brillamment défendue par l'économiste Charles Wypslosz (et qui a ma préférence : voir cette note précédente, qui était sûrement un peu trop péremptoire).
L'accord de Bruxelles essaye d'aller, un peu, dans la direction du 2, en accordant une plus grande importance à la dette, à la position budgétaire sur l'ensemble du cycle et aux passifs implicites (surtout liés aux régimes publics de retraite). Mais il le fait en accroissant tellement les exceptions et les aménagements que la vache sacrée des 3%, défendue, réaffirmée, n'a plus aucun sens dans la pratique. [le pire, d'ailleurs, est que la hiérarchie des normes empêche qu'il en soit autrement : le principe de l'alerte et des sanctions pour "déficits excessifs" est fixé dans le traité instituant la communauté européenne actuelle à l'article 104, on le retrouve à l'article III-184 du traité constitutionnel et les 3%/60% relèvent d'un protocole additionnel annexé au traité. Seuls les réglements qui précisent la procédure à suivre et les facteurs à prendre en compte sont directement modifiables par le Conseil.]

Encore une fois, la politique économique européenne combine un discours défendant des règles absurdement restrictives (les 3% du pacte, les 2% de la BCE) et une pratique beaucoup plus pragmatique/laxiste et à géométrie variable ("selon qui vous soyez Français ou Portugais..."). Ce qui est désastreux pour les relations entre les gouvernements, la BCE et la Commission et la crédibilité de l'attelage institutionnel : il vaut mieux, à résultat égal, se fixer des objectifs réalistes et les tenir, plutôt que de viser des cibles impossibles à atteindre et les manquer constamment. Quand au pacte, version 3% et sanctions, il est bel et bien enterré. Charles Wyplosz écrivait en juillet dernier (pdf) :
Toute la mécanique du pacte revient à chercher à soumettre un gouve rnement indiscipliné au jugement collectif. Mais dans une démocratie, c’est aux citoyens qu’il revient de sanctionner un gouvernement indiscipliné. En ignorant cette évidence, le pacte s’est condamné à l’impuissance. L’idée de l’appliquer avec souplesse, de faire preuve de compréhension à l’heure des sanctions, est en contradiction complète avec un principe essentiel de la démocratie. En réalité, même accommodé à la sauce Almunia [le commissaire européen aux affaires économiques], le pacte sera inapplicable. Pire même, les souplesses qui sont aujourd’hui proposées serviront à ne jamais l’appliquer. En Novembre, on l’a violé. La prochaine fois, le pacte sera consentant.
La suite lui a donné raison.