29 juin 2005

De pire en pire 

Certains de mes fidèles lecteurs se sont inquiétés, pendant mon absence et en commentaires, d'une tendance récente à la trivialisation du contenu de Ceteris Paribus. Comme j'aime bien tomber dans la provocation facile, je renoue le fil interrompu de ce blog en parlant de la remise annuelle du prix de l'humour politique par le toujours tellement proche du peuple Press Club de France.

Prix qui, autant le dire tout de suite, va de mal en pis. On avait déjà constaté, dans ces pages, la médiocrité du lauréat de l'année dernière. On avait aussi redouté qu'il en soit de même cette année, au vu de la faible qualité des nominés. Et le jury ne nous a pas déçu :
Nicolas Sarkozy s'est vu décerner mardi le prix "Press club, humour et politique", qui couronne chaque année la meilleure petite phrase politique, volontairement ou involontairement drôle, pour avoir déclaré: "je ne suis candidat à rien".
Comme dit plus haut, ce choix est assez pitoyable. Parce que la remarque est absolument banale : tous les hommes politiques sont extrêmement ambitieux, sinon ils ne feraient pas de politique; tous essayent généralement de cacher un minimum leurs ambitions, à la fois au nom d'une certaine discipline de groupe (certes d'habitude très relâchée chez Sarko) et pour ne pas passer pour un rigolo en cas d'échec cuisant.

De surcroît, la phrase de Sarkozy est encore plus vénielle au vu du contexte : la remarque ne concernait en effet que le lendemain du référendum et son éventuel retour au gouvernement. L'une des lois non-écrites de la Ve République est que jamais personne ne fait officiellement acte de candidature pour un poste ministériel (et encore moins primo-ministériel). Et avec raison : comme c'est toujours, ultimement, le Président qui choisit, il serait non seulement inconvenant mais aussi dangereusement contre-productif de paraître vouloir lui forcer la main.

La petite phrase de Sarko n'a donc absolument rien d'original. Et pas grand chose de drôle non plus. C'est à se demander si le jury ne cherchait pas uniquement à s'engouffrer dans la sarkomania ambiante, au mépris de la crédibilité déjà bien entamée du prix.

Une telle répétition de choix désastreux ne peut en effet que conduire l'observateur à s'interroger sur l'utilité même d'une telle récompense, ou au moins sur le fait de lui accoler le terme de plus en plus usurpé d'"humour" politique. Un problème général, comme je le soutenais déjà l'année dernière, est la préférence accordée à l'humour involontaire, bourde ou tautologie lâchée au cours d'une interview ou lors d'un moment d'improvisation à la tribune, sur l'humour volontaire, petite phrase assassine généralement préparée par l'auteur ou soufflée par un conseiller. Le Maire de Champignac l'a emporté sur l'Abbé de Villecourt et je ne suis pas sûr, à titre personnel, que l'on y ait gagné au change.

Il est quand même intéressant de constater qu'il n'en a pas toujours été ainsi, comme le montre les bribes de palmarès ci-dessous, que j'ai laborieusement sous-tirées à une base de données payante et concurrente de Lexis-Nexis (le sujet est tellement futile que Google n'est ici d'aucune aide). Je précise qu'il y a en fait deux séries de prix.

De 1998 à 1997, le "prix de l'humour politique" était décerné par le bien nommé Club de l'humour politique, fondé par la conseillère de Paris (chiraquienne, membre du parti radical valoisien et mise en cause par la suite dans les affaires de la Mairie de Paris) Jacqueline Nebout. Le Club ne reculant ni devant le ridicule, ni devant l'incohérence manifeste, le lauréat qui osait venir à la cérémonie de remise des prix en ressortait avec l'Obélix d'or (sic) symbolisant sa victoire. Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin tragique. L'arrivée de Jospin au pouvoir allait en effet plonger la France sous une chape d'austérité. Autant dire que l'heure n'était plus à l'humour, et encore moins à l'humour politique (je frémis en repensant à cette période).

Heureusement, l'austère Premier ministre fut chassé et les langues se délièrent à nouveau après les présidentielles de 2002 : il était temps de relancer le prix, ce que fit l'ancien Président de l'AFP Jean Miot en le plaçant sous l'égide du pas moins élitiste que tout à l'heure Press Club de France. Les impératifs marketing étant ce qu'ils sont (encore plus implacables que l'austérité jospinienne), la récompense fut rebaptisé "prix Press club, humour politique".

Mais revenons au palmarès (je suis preneur, évidemment, de toute information qui permettrait de compléter cette liste) :

1988 : les premiers prix décernées par le Club de l'humour politique permettent d'inaugurer des mentions délicieusement surannées...
  • Prix de logique : "Quand le moment est venu, l'heure est arrivée" (Raymond Barre)
  • Prix de bonne conduite : "Même en avion, nous serons tous dans le même bateau" (Jacques Toubon)
  • Prix de sciences naturelles : "La droite et la gauche, ce n'est pas la même chose" (Pierre Mauroy)
  • Prix d'excellence : "François Mitterand est le spécialiste du piège à consensus" (Alain Juppé)
  • Prix du souvenir : "Voici que s'avance l'immobilisme et, nous ne savons pas comment l'arrêter" (Edgar Faure)
1989 :
  • André Santini décroche son premier prix. Il est possible que la phrase primée soit le très méchant : "Saint-Louis rendait la justice sous un chêne. Pierre Arpaillange la rend comme un gland".
1990 :
  • Premier prix à Philippe Séguin pour cette prédiction à moitié fausse : "En 1974, les Français voulaient un jeune : ils ont eu Giscard. En 1995, ils voudront un vieux : ils auront Giscard".
  • Deuxième prix : "Le plan sècheresse n'est pas un arrosage" (signé Henri Nallet, alors Ministre de l'Agriculture)
  • Deux troisième prix pour une bourde du Garde des sceaux Pierre Arpaillange ("en 1989, sur cinquante-deux évadés, on en a repris cinquante-trois") et une phrase assez incompréhensible de Jean-Pierre Chevènement ("Le mur de Berlin s'écroule. Un mort : Jacques Delors")
  • Prix du récidiviste à André Santini pour le classique (et pompé) : "Mgr Decourtray n'a rien compris au préservatif. La preuve, il le met à l'index"
1993 :
  • Prix accordé au chiraquien Jacques Godfrain pour le lamentable "Les socialistes aiment tellement les pauvres qu'ils en fabriquent"
1994 : pas de prix décerné parce que le cru est trop mauvais, mais un classement est néanmoins établi [oui, c'est n'importe quoi]
  • 1er : Jean-Pierre Chevènement, avec un honorable "Les assises, c'est un peu dur pour le PS, la correctionnelle aurait suffi" (à propos d'un congrès du Parti Socialiste)
  • 2e : Charles Pasqua, pour un très long et très limite "Mes détracteurs ont commencé à s'opposer aux charters. La police de l'air a négocié avec la SNCF, on parlé de train de la honte. Si on décidait d'utiliser les bâteaux, on évoquerait l'"Exodus". Il ne nous reste donc, en réalité, que l'autobus ou le vélo".
  • 3e : Phillippe Séguin
1995 :
  • Premier prix : "Avec Delors, les socialistes passent de Léon Blum à Léon XIII" (Philippe Séguin)
  • Deuxième prix : "Votre peuple a eu l'intelligence de vous élire deux fois" (de VGE à Benazir Bhutto)
  • Troisième prix : "Je ne suis pas sûr qu'on prenne de la hauteur en montant sur une table" (François Baroin, à propos d'un fameux incident de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur, qui avait aussi mangé du couscous avec les doigts pour faire proche du peuple...)
1996 :
  • Prix d'Excellence : André Santini pour "Alain Juppé voulait un gouvernement ramassé, il n'est pas loin de l'avoir" [pas mal]
  • Accessit : le même, pour "On a fait beaucoup pour les obsèques de François Mitterrand. On n'en a pas fait autant pour celles de Valéry Giscard d'Estaing en 1981" [très cruel, donc plutôt drôle]
1997 : nominations pour le premier trimestre
  • Raymond Barre : "La meilleure façon de résoudre le chômage, c'est de travailler" [La nomination est d'ailleurs injuste : la phrase est évidemment stupide au niveau individuel, mais elle est tout à fait défendable au niveau agrégé, en particulier contre tous les partisans des politiques malthusiennes de l'emploi]
  • Laurent Fabius : "Il est plus facile de céder son siège à une femme dans l'autobus qu'à l'Assemblée nationale"
  • Hervé de Charette : "Ce n'est pas parce que nous sommes un parti charnière qu'il faut nous prendre pour des gonds" [joli]
1998 : nominations pour le premier trimestre (apparemment, le prix n'a jamais été décerné)
  • Marie-Noëlle Lienemann : "Mon mari était jusqu'à présent chômeur, mais je suis en train de changer de mari" [hum?]
  • Patrick Devedjian, sur la dissolution : "On était dans un appartement avec une fuite de gaz. Chirac a craqué une allumette pour y voir clair" [c'est bon ça, coco]
  • Michel Crépeau : "J'ai été avocat pendant 28 ans et Garde des Sceaux pendant 28 jours. Si je suis le seul ministre de la Justice à ne pas avoir commis d'erreur, c'est parce que je n'ai pas le temps" [gentillet]
2003 :
  • Prix "Press club humour et politique" à Renaud Muselier pour l'excellent "Villepin fait tout, je fais le reste"
  • Parmi les nominés, d'autres bonnes petites phrases comme "Cette semaine, le gouvernement fait un sans faute; il est vrai que nous ne sommes que mardi" (le député UMP François Goulard), "Il doit bien rester un angle de tir pour la paix" (Bernard Kouchner), "Pour ce que j'avais à faire, je n'avais pas besoin de diplôme" (Christine Deviers-Joncourt) et même l'encore plus troublant "Elle est sortie de mon orbite affective" (Roland Dumas, à propos de Christine)
  • Prix spécial à JPR pour un an de raffarinades
2004
  • Pour rappel, le lauréat était Jean-Louis Debré, qui avait dit à propos de la Corse : "Je n'imagine pas un instant cette île séparée du continent"
  • Les nominés n'étaient pas fameux non plus.

Que conclure de ce rappel historique? Que les débuts n'ont pas été glorieux, que la suite a été très inégale, avec quelques rares fulgurances au cours des années 1990, et que le prix accordé à Renaud Muselier était bien l'arbre qui cachait la forêt : l'humour involontaire (mauvais de surcroît) est effectivement revenu en force depuis 2003. Mais, au final, le palmarès est très oubliable. On en trouve du même acabit, et souvent des meilleures, toutes les semaines dans le Canard enchaîné.

Peut-être serait-il temps de lancer une noix d'honneur annuelle. Mais le risque serait de voir encore Sarkozy l'emporter.

NB: je précise à toutes fins utiles que le titre ne se rapporte pas seulement au sujet de la note, comme les fidèles lecteurs cités plus haut l'avaient déjà compris.