03 septembre 2005

Les conséquences économiques de Katrina 

Un correspondant dont je dissimule évidemment l'identité m'écrivait il y a deux jours pour me demander d'écrire une note sur les conséquences du cyclone Katrina sur l'économie américaine : en particulier, il se demandait si l'impact négatif des destructions d'infrastructures, de la baisse temporaire de la production dans les zones touchées par le cyclone et les innondations et de la hausse du pétrole ne pourraient pas être compensées par l'impact positif des gigantesques travaux de construction qui seront nécessaires pour remettre la région sur pied.

Pour la faire courte et cynique, cela donne la question suivante (dont le lecteur, j'espère, me pardonnera la brutalité quand il saura que je ne fais que paraphraser les termes de mon correspondant) : alors, Katrina, c'est bon pour la croissance ou pas?

Paresseux que je suis, j'ai bien essayé de me défausser en revoyant à cette vieille note qui traitait de l'impact économique des accidents en s'appuyant sur la fameuse parabole de la vitre cassée d'un célèbre prophète libéral qui n'était pas corse, en dépit de son nom. Mais mon correspondant veut de la note spécifique et conteste que les conclusions de Bastiat soient valables en pratique. En conséquence, je n'ai plus aucune excuse pour ne pas écrire cette note.

Cela dit, je ne suis pas devenu moins paresseux depuis jeudi, ce qui fait que je vais commencer par externaliser une partie du travail, en compilant certains points de vue publiés ces derniers jours sur l'impact économique de Katrina :
  • Ben Bernanke, le probable sucesseur d'Alan Greenspan : Ben Bernanke, chairman of the White House Council of Economic Advisers, says that the hurricane, which U.S. officials called one of the worst if not the worst disaster in the U.S. history, will have a strong effect on economies of Louisiana, Mississippi, Alabama and Florida. But the entire economy will suffer much less, he said in several press interviews. “As long as there’s not permanent damage to our energy infrastructure, the effects on the overall economy should be fairly modest,” Bernanke said.
  • Les prévisionnistes : Making accurate projections about the Katrina’s economic impact is difficult because both the extent of the damage and the time necessary to restart major industries in the affected region are hard to assess. Private estimates of a likely reduction in U.S. growth rates range from several tenths of a percentage point to a full percentage point in the third and fourth quarter of 2005.

  • The Economist : History suggests that the hurricane will have little effect on the national economy. Despite all the pictures of sinking hotels and flooded convention centres, the overall impact of natural disasters is often close to neutral: lost output (which will be large) is then compensated for by a surge in reconstruction and public spending (also large). That may be scant comfort to individual hoteliers, residents and insurers, but on a national level the economic damage will be real but limited.
  • John Quiggin, sur Crooked Timber : I don’t think the old-style Keynesian story, in which a reconstruction effort brings unused resources into use and thereby stimulates more economic activity, is likely to be applicable. I assume any injection of funds will come primarily from the national government, which is already running massive deficits, to the point where its capacity for fiscal stimulus is pretty much exhausted. The impact of any further expenditure will almost certainly offset, in part by cuts to other areas, but even more by tighter monetary policy and upward market pressure on interest rates.
  • Kash Mansori, sur Angry Bear : I think it’s hard for localized events such as a hurricane (or even a large terrorist attack) to have effects on the US economy as a whole, simply because the US economy is so vast and so diversified. Sure, massive rebuilding after a big storm (e.g. after Hurricane Andrew) could add a couple of tenths of a percent to GDP for a quarter or two due to increased construction and replacement of damaged assets, but I would still discount that as a relatively minor impact on the US economy.
En fait, il me semble nécessaire, comme le note John Quiggin, de dissocier l'impact d'une catastrophe naturelle (ou technologique) sur le welfare de celui sur le PIB. Concernant le bien-être, il ne fait aucun doute que la catastrophe a dans l'immense majorité des cas un impact fortement négatif : les sommes dépensées pour remettre les infrastructures en l'état auraient pu être utilisées pour acheter des biens et services supplémentaires. C'est le sens de la parabole de Bastiat et la raison pour laquelle il serait idiot de détruire deux ou trois centres urbains d'un pays dans le but de relancer la croissance.

Mais la question se complique concernant le PIB, parce que, comme son nom l'indique, le PIB est un Produit Intérieur Brut, c'est-à-dire qu'il ne prend pas en compte la dépréciation du capital. Il serait évidemment préférable de calculer un Produit Intérieur Net (pdf), mais les difficultés méthodologiques sont telles que tout le monde préfère pour l'instant continuer à utiliser le bon vieux PIB.

Pour en revenir à Katrina, une augmentation de la croissance due aux dépenses de construction n'est pas, en théorie, impossible même si le consensus semble plutôt pencher en faveur d'un impact faible mais négatif. Tout dépend en fait, comme le rappelle aussi John Quiggin, des conditions de financement des dépenses de construction : si l'emprunt public se traduit par un renchérissement du coût du capital pour le secteur privé, il est possible que l'effet net de la reconstruction soit très faible. Sinon, on peut envisager un impact positif sur la croissance (rappelons qu'il faut retrancher à cet impact les conséquences négatives de la perte de production et de l'augmentation temporaire du coût des matières premières).

Un autre scénario où l'impact peut être positif est celui où l'économie est coincée dans une trappe à liquidités keynésienne. Dans ce cas un investissement public massif, même pour des dépenses complètement inutiles (c'est le fameux exemple de l'enfouissement de billets dans des mines, charge à des chômeurs d'aller ensuite les déterrer), peut contribuer à améliorer la situation.

Enfin certaines études soulignent des effets positifs plus subtils des catastrophes naturelles : en particulier, la reconstruction peut permettre d'accéler l'adoption des technologies les plus récentes, et donc d'augmenter la productivité. C'est du schumpéterisme de choc, mais l'effet peut être bien réel. On peut ainsi raisonnablement penser que ce phénomène s'est produit en Europe au lendemain de 1945. On peut aussi supposer qu'une petite partie des dépenses "gâchées" pour prévenir le bug de l'an 2000 a été utilisée pour renouveler de manière anticipée l'équipement informatique des entreprises, avec un impact positif sur la productivité.

Une étude de 2002 va même plus loin, qui trouve une corélation positive entre croissance et fréquence des catastrophes naturelles :
The cross-country empirical analysis demonstrates that higher frequencies of climatic disasters are correlated with higher rates of human capital accumulation, increases in total factor productivity, and economic growth. Though disaster risk reduces the expected rate of return to physical capital, risk also serves to increase the relative return to human capital. Thus, physical capital investment may fall, but there is also a substitution toward human capital investment. Disasters also provide the impetus to update the capital stock and adopt new technologies, leading to improvements in total factor productivity.
Evidemment, ce genre de conclusion est accueilli avec un scepticisme maximal par ceux qui poussent des hauts cris à la moindre tentative de remise en cause de la parabole bastiatienne. Mais peut-être les libertariens devraient-ils revoir leur analyse : on a en effet difficilement trouvé argument plus convaincant en faveur de l'inaction face au réchauffement climatique.