16 janvier 2006

La République 5.1 de Sarko 

Koz reproche à juste titre aux adversaires de Sarko de n'examiner son programme institutionnel que par le petit bout de la lorgnette du renforcement de la place du Président de la République, en oubliant les autres mesures, et l'économie générale des propositions. La réforme institutionnelle proposée le nouvel ami des blogueurs qui comptent présente en effet une certaine cohérence. Ou plutôt, pour être exact, deux certaines cohérences.

D'abord, et même si l'intéressé s'en défendait hier soir chez Elkabbach, plusieurs mesures sont directement empruntées au système institutionnel américain. C'est principalement le cas de la limitation à deux mandats présidentiels (22e amendement), de la possibilité -ou de l'obligation?- pour le président de venir expliquer sa politique devant le parlement (discours sur l'état de l'Union) de l'examen par les parlementaires des nominations de hauts fonctionnaires (le rôle "d'Advice and Consent" du Sénat américain) et de la possibilité donnée au parlement de voter des résolutions à valeur non-législative. Le fait que ces propositions s'inspirent fortement de ce qui se pratique aux Etats-Unis n'est évidemment pas un argument disqualifiant. Mais on a un peu l'impression que le mot d'ordre a été de chercher à importer ce qui marche outre-Atlantique (ou plutôt, ce qui semble marcher), sans trop se soucier de la cohérence de la réforme.

L'autre ligne directrice du programme institutionnel est qu'il est une machine de guerre contre Chirac. Pourquoi la limitation à deux mandats du président? Parce que la proposition a été conçue à un moment où il était encore concevable que le président actuel se représentât, et que la défense d'une telle réforme institutionnelle permettait d'insister lourdement sur le côté "vieilli, usée et fatigué" de Chirac. Pourquoi la possibilité donnée au président de venir rendre des comptes devant le parlement? Pour insister sur l'irresponsabilité de Chirac et sur son silence pendant la crise des banlieues.

On atteint le summum avec la proposition de réviser l'article 21 de la Constitution, dont la lettre donne au Premier ministre un rôle sans commune mesure avec ce que la pratique institutionnelle a déterminé. Le président de l'UMP veut lever l'hypocrisie actuelle, ce qui est louable. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est que la proposition poserait, ainsi que l'ont souligné les constitutionnalistes, un immense problème au cas peu probable mais pas impossible d'une nouvelle cohabitation. Sauf que Sarko a une réponse toute prête : dans ce cas, le Président devrait évidemment démissionner. Suivez son regard, direction 1997. C'est à se demander si cette proposition décidemment très mal ficelée n'a pas été conçue uniquement pour pouvoir exposer ce (faible) contre-argument.

Et cetera. Là encore, le fait que les propositions soient un moyen de taper sur Chirac n'est pas, en soi, dirimant. Mais, là encore, la cohérence institutionnelle est sacrifiée sur l'autel de l'opportunité politique.

Paradoxalement, la seule proposition qui m'enthousiasme réellement est celle qui ne nécessiterait aucune révision constitutionnelle et qui semble au premier abord la moins conséquente. Il s'agit de l'inscription, dans une loi organique, la répartition des compétences entre départements ministériels, comme cela se fait déjà aux Etats-Unis, mais aussi au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Espagne. L'instabilité du champ des ministères est l'un des travers les plus dommageables de l'organisation politico-administrative française. Qu'on y ajoute l'interdiction du cumul des mandats pour les députés (proposition que notre ministre cumulard se garde bien de reprendre à son compte), ce qui peut aussi faire avec une simple loi organique, et la vie politique française s'en trouverait profondément changée. Dans le bon sens.

NB : sur le sujet, voir aussi Paxa et François du blog Droit Administratif.
... et aussi Versac, qui n'est pas tendre lui non plus, même avec la proposition de stabiliser les structures ministérielles. Ce en quoi il a évidemment tort.