19 janvier 2006

Surrender monkeys 

Bravo à Chirac de rappeler au monde que la France reste la patrie de l'apaisement :
La France pourrait recourir à des frappes nucléaires ciblées contre des puissances régionales qui utiliseraient contre elle des moyens terroristes ou de destructions massives, affirme Jacques Chirac.

Le président de la République, chef des armées, a annoncé cette inflexion dans la doctrine d'emploi de l'arme nucléaire par la France lors d'une visite à la base de la Force océanique stratégique (FOST), à l'Ile Longue, près de Brest.

Les dirigeants d'Etats "qui auraient recours à des moyens terroristes contre nous, tout comme ceux qui envisageraient d'utiliser, d'une manière ou d'une autre, des armes de destruction massive, doivent comprendre qu'ils s'exposeraient à une réponse ferme et adaptée de notre part", a-t-il déclaré.
Les médisants attribueront certainement ce type de déclarations au syndrôme de Buzzati* qui affecte tous les dirigeants français depuis au moins De Gaulle. Les esprits encore plus sarcastiques se demanderont si ce type de stratégie aurait pu permettre à la Nouvelle-Zélande d'opérer une frappe nucléaire ciblée contre l'Elysée en 1985, si elle avait disposé de l'arme nucléaire.

Mais il est intéressant de constater que la doctrine officielle des Etats-Unis en matière stratégique ne comprend aucune mention de la possibilité d'une riposte nucléaire en cas d'attaque terroriste.

En tout cas si j'en crois les réflexions d'un blogueur américain (tendance faucon ascendant fou furieux) qui propose justement que le gouvernement américain annonce publiquement une telle stratégie, comme moyen de dissuasion contre certains terroristes et de pression sur les populations et les Etats qui pourraient être tentés de les aider. Indice que ce n'est pas le cas à présent. Et de toute façon, je pense que j'en aurais entendu parler, grand observateur de l'actualité stratégique américaine que je suis.

Cela dit, il y a une raison évidente à cette omission, qui est que le gouvernement américain ne croit pas, lui, à l'efficacité de la dissuasion contre le terrorisme, comme le rappelait la National Security Strategy de septembre 2002 (sur le point d'être mise à jour et modérée, si l'on en croit les échos récents) :
Traditional concepts of deterrence will not work against a terrorist enemy whose avowed tactics are wanton destruction and the targeting of innocents; whose so-called soldiers seek martyrdom in death and whose most potent protection is statelessness.
Les autorités américaines en ont tiré la nécessité d'attaques préventives contre les Etats soutenant le terrorisme, ce qui doit être l'un des plus remarquables non sequitur de toute l'histoire de la pensée stratégique. Il faut dire que l'un des problèmes congénitaux de l'administration Bush (d'une bonne part de l'administration, en tout cas) est de continuer à penser le monde selon un état d'esprit pré-11 septembre, sinon pré-1989, quoi qu'en dise la NSS. Les déclarations de Chirac, qui semblent totalement exclure les groupes terroristes de son analyse, montrent que la France n'est pas sortie non plus de cette mentalité, même si elle en tire des conclusions opposées.

NB : sur le thème de la dissuasion nucléaire, voir, pour ceux qui l'auraient loupée, l'excellente note d'Alexandre Delaigue à propos des travaux de Thomas Schelling.

Lire la note de bas de note
* Expression dont je suis le fier inventeur et qui fait référence à une nouvelle de l'immense écrivain italien Dino Buzzati dans laquelle le président des Etats-Unis meurt subitement (et inexplicablement) un dimanche soir, suivi exactement une semaine après par le premier secrétaire du parti communiste soviétique. A la même heure, le troisième dimanche, c'est au tour du nouveau président américain de décéder. L'hécatombe se poursuit jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que, chaque semaine, c'est l'homme le plus puissant du monde qui meurt subitement. S'ensuivent des démissions en masse, chacun cherchant à céder les plus petites miettes de son pouvoir pour échapper à la faucheuse. Et, en quelques mois, la paix mondiale et la concorde civile sont totalement assurées.

L'un des aspects comiques de la nouvelle (et l'explication de mon expression) est que le Général de Gaulle annonce gravement, chaque dimanche soir, que le Très Haut est sur le point de le rappeler mais qu'il est fier d'avoir servi son pays et que vive la France éternelle et blablabla. Et, chaque semaine, c'est un obscur dictateur africain ou un trafiquant d'armes ouzbek qui meurt à sa place.

Quand je suis d'humeur médisante (la plupart du temps, donc), la réaction des autorités françaises aux attentats terroristes à l'étranger me fait immanquablement penser à cet épisode de fiction : l'assurance que notre beau pays sera frappé un jour est souvent trop insistante pour ne pas engendrer un certain malaise, comme si les cibles terroristes désignaient en creux le cercle des pays importants, et que la France se désolerait presque de ne point en faire partie.