14 février 2006

La gauche et 2007 

Ma note sur les chances de la gauche en 2007 de jeudi dernier a suscité bon nombre d'objections et aussi pas mal d'incompréhensions. Contrairement à ce que certains ont pu croire (preuve que je me suis mal exprimé et/ou que le sujet est très sensible), mon propos n'était pas de transposer l'analyse de Thomas Franck au cas français et d'enjoindre le PS à se lancer à corps plus perdu qu'actuellement dans le populisme économique pour gagner les élections. Mais plutôt d'essayer de comprendre pourquoi les socialistes français ne semblent pas vraiment pressés de copier la transformation programmatique du Labour ou du SPD. Je reprends depuis le début la démonstration, histoire de bien me faire comprendre.

Pour le résumer rapidement, le discours médiatique dominant se présente à peu près comme cela :
  1. La gauche en général, et le PS en particulier, est mal partie pour revenir au pouvoir en 2007.
  2. Cela s'explique par le fait que la gauche en général, et le PS en particulier, s'est enfermé dans un combat d'arrière-garde contre l'économie de marché, alors que la droite gouvernementale s'est courageusement engagée dans la voie des douloureuses mais nécessaires réformes structurelles.
  3. Pour retrouver des chances sérieuses de l'emporter l'année prochaine, le Parti socialiste doit enfin assumer sa mue social-démocrate et présenter un projet constructif et raisonnable de régulation du capitalisme.
Cela n'était visiblement pas assez clair dans ma note initiale, mais c'est surtout le 1. que je cherche à critiquer, par le truchement d'un sondage qui montre que les chances de la gauche pour la présidentielle ne sont peut-être pas aussi faibles qu'on veut bien le dire.

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Ce sondage est évidemment critiquable. D'abord, parce qu'un souhait de victoire à 15 mois d'une élection n'est pas un indicateur fiable de ce que sera le résultat final : c'est un truisme, mais il n'est jamais inutile de le rappeler.

Ensuite, et surtout, parce qu'il est possible de considérer que le sondage présenté est fortement influencé par un facteur qui n'a pas grand chose à voir avec les chances réelles des deux camps pour 2007. La droite a en effet, à l'heure actuelle, deux candidats pouvant sérieusement prétendre au second tour (non, François B. n'en fait pas partie); la gauche en a au moins une demi-douzaine, c'est-à-dire aucun. Cette différence donne un avantage à la droite pour les sondages nominatifs, dans la mesure où Sarkozy ou Villepin apparaissent plus "présidentiables" qu'un Fabius, un DSK, un Hollande ou même une Royal qui sont encore, par la force des choses, empêtrés dans la phase de nomination du candidat du PS. A contrario, cette asymétrie aurait plutôt tendance à profiter à la gauche dans des affrontements entre candidats génériques, chaque électeur potentiel de la gauche ayant tendance à répondre à la question en ayant en tête le candidat qui serait le plus proche de ses vues.

[Par contre, l'argument selon lequel les sondages placeraient systématiquement la gauche plus haut que ses résultats électoraux réels me semble difficilement soutenable; autant que je m'en souvienne, ce n'était pas le cas en 2004, ni en 1997, ni en 1995]

Cela dit, ce que montre à l'évidence le sondage est que le candidat de la droite en 2007 est loin d'avoir, à l'heure actuelle, un soutien populaire très important. On peut y voir la conséquence de l'impopularité de la majorité gouvernementale depuis au moins l'été 2003, facteur que le discours médiatique a souvent tendance à passer par pertes et profits, surtout depuis l'arrivée de Villepin à Matignon. En tout état de cause, l'impopularité de la droite peut laisser penser à juste titre aux socialistes que leurs chances pour 2007 sont réelles, nonobstant les lamentations régulières des médias sur leur absence de programme constructif.

Une fois qu'on remet en cause la prémisse 1., l'explication 2. et la conclusion 3. tombent d'elles-mêmes. Une des raisons pour lesquelles le PS ne semble pas si pressé de parfaire sa mue idéologique est que cela ne l'a pas empêché de gagner des élections dernièrement, en partie parce que le discours de contestation de l'économie de marché garde une popularité certaine en France. En politique, la demande a tendance à influencer l'offre. Cela ne veut pas dire qu'il soit impossible de modifier la demande : l'un des rôles importants des partis et des hommes politiques est justement de convaincre l'opinion de la justesse de leurs vues. Mais cela prend du temps.

On pourrait certes soutenir, et à bon droit me semble-t-il, que le décalage entre le discours électoral du PS (modérément radical) et sa pratique gouvernementale (radicalement modérée) permet d'expliquer l'incapacité des socialistes à se maintenir au pouvoir depuis 1981 (quoique ce soit largement plus flagrant en 1986 et 2002 qu'en 1993). Voire depuis beaucoup plus longtemps, si l'on suit la thèse du récent (et paraît-il excellent) ouvrage d'Alain Bergounioux et Gérard Grunberg. Mais, là encore, la question des incitations se pose : il semble difficile, en effet, de reprocher aux partis politiques de se concentrer davantage sur les élections à venir que sur celles qui auront lieu cinq ans plus tard.