17 mars 2006
Il y a les jeunes qui manifestent. Il y a les jeunes qui bloquent les universités. Il y a les jeunes qui ne font ni l'un, ni l'autre, mais que Villepin entend quand même. Et il y a les jeunes qui votent avec leurs pieds, en allant chercher du travail à l'étranger.
Combien sont-ils? Yves de Kerdrel donnait comme réponse un chiffre bien rond dans sa chronique de mardi dernier pour Le Figaro :
Une recherche rapide permet de montrer que cette statistique avait été sortie, sans attribution, dans C'est la première fois, depuis des générations, que des jeunes ont la prémonition qu'ils vivront moins bien que leurs parents. D'où deux phénomènes extrêmes. D'un côté, 75% des moins de 30 ans déclarent vouloir être fonctionnaires. Ce qui est étonnant ! Et, de l'autre, un nombre record d'expatriations : 1 million de jeunes Français travaillent désormais à l'étranger.un article du Figaro Economie du 24 février dernier qui précisait que, par "jeunes", il fallait entendre "moins de 35 ans". Le chiffre a été repris par le très gauchiste François D'Orcival dans sa chronique de samedi dernier pour le Figaro Magazine. Le chroniqueur renvoyait pour les statistiques à un récent colloque sur les Français de l'étranger organisé au Sénat.
L'estimation tient-elle la route? Le plus sûr moyen de le savoir est de regarder les statistiques officielles de la Maison des français de l'étranger du Ministère des affaires étrangères.
Lire la suite qui, comme à son habitude, est plutôt technique
En 2004, dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles, le MAE recensait 1 253 229 Français immatriculés dans un pays étranger (officiellement, depuis le 1er janvier 2004, "inscrits au registre des français établis à l’étranger"). Ce chiffre est évidemment un plancher, dans la mesure où tous les expatriés n'ont pas pris la peine de s'enregistrer auprès d'une représentation consulaire. En 2002, les services officiels avaient estimé que le total des expatriés s'établissait à 1 960 323, dont 1 098 958 immatriculés (voir cette très utile carte en couleurs). En supposant que ce ratio soit resté constant, une simple règle de trois permet d'aboutir à un total de 2 235 511 expatriés pour 2004.
Les statistiques détaillées permettent de rafiner ce chiffre en prenant en compte des données socio-démographiques pour 2004. Par exemple, le ministère indique que seulement 532 165 expatriés (sur 1 253 229 immatriculés) ont un emploi (pdf). Il serait tentant de faire le même calcul pour l'ensemble de la population, ce qui nous permettrait d'aboutir au constat que moins d'un million d'expatriés (949 276, pour être exact) travaille effectivement, et donc que le chiffre d'un million de jeunes français de moins de 35 ans qui travaille à l'étranger est du bidonnage pur et simple.
Le problème est qu'il est fort possible que la population non-enregistrée soit différente de la population enregistrée (voir une étude de l'INSEE -pdf- pour un apercu des difficultés méthodologiques). On peut par exemple supputer que les couples avec enfants sont plus incités que des célibataires à s'enregistrer. Le mieux est alors de raisonner par l'absurde : supposons que l'ensemble de la population non-enregistrée ait effectivement un emploi. On aboutit alors à une population expatriée employée d'un peu plus de 1,5 million de personnes (précisément 1 514 447). Pour que la statistique répétée par Le Figaro soit valable, il faudrait alors que les deux tiers de ces individus aient moins de 35 ans.
Est-ce possible? Il ne le semble pas. Un sondage TNS-Sofres réalisé l'année dernière estimait ainsi que 48% des travailleurs français à l'étranger avait moins de 35 ans (pdf). La méthodologie de ce sondage est certes plus que douteuse (recrutement des sondés par Internet), mais si biais il y a, il serait plutôt dans une surreprésentation des individus de moins de 35 ans.
S'il fallait oser une estimation un peu informée, je pense donc que le nombre de Français de moins de 35 ans qui travaille à l'étranger doit se situer un peu au-dessus de 500 000. C'est déjà beaucoup. Mais on est loin du million évoqué dans les pages du Figaro.
Incidemment, le chiffre cher à Brice Couturier de 300 000 Français travaillant à Londres ne semble pas davantage valable. Les estimations du ministère conduisent à penser qu'il y avait seulement environ 212 000 Français résidant au Royaume-Uni en 2004. D'ailleurs, selon Wikipedia, la première communauté étrangère (individus nés à l'étranger) à Londres est la communauté irlandaise, avec 200 000 membres.
Sur ce, je m'expatrie à Bruxelles pour le week-end. A lundi.
Mis en ligne par Emmanuel à 14:46 | Lien permanent |