01 mai 2006

Le conseil de prud'hommes de Longjumeau s'acharne sur le CNE 

Après avoir condamné en février des employeurs pour usage abusif du CPE, le conseil de prud'hommes de Longjumeau est donc passé à la vitesse supérieure vendredi dernier en requalifiant un CNE en CDI.

Le meilleur résumé de l'affaire est sur le site de TF1 (même si les explications apportées par le professeur de droit social interrogé sont pour le moins étranges) :
Le conseil des prud'hommes de Longjumeau [...] a requalifié un contrat nouvelle embauche en CDI, jugeant que l'ordonnance créant le CNE était contraire au droit international [...]. Le Conseil était saisi du cas de [...] embauchée en contrat à durée déterminée le 1er juillet 2005 en tant que secrétaire par [...]. A la fin de son CDD de six mois, elle a été embauchée [...] en contrat nouvelle embauche le 1er janvier 2006, pour les mêmes fonctions et la même rémunération. Elle a été licenciée par lettre recommandée au bout d'un mois. Au-delà des conditions spécifiques du licenciement [...], que le tribunal juge "abusives", le conseil des prud'hommes estime que l'ordonnance du 2 août 2005 créant le CNE est "contraire" à la convention 156 de l'Organisation internationale du travail (OIT) ratifiée par la France et est donc "non valable" et "privée d'effet juridique". Cette convention prévoit qu'un salarié ne peut être licencié "sans qu'il existe un motif valable de licenciement" et "avant qu'on lui ait offert la possibilité de se défendre". Or, le CNE exonère l'employeur de l'obligation d'effectuer un entretien préalable au licenciement et de motiver la lettre de licenciement, rappelle le tribunal. En conséquence, le tribunal ordonne la requalification du CNE en contrat à durée indéterminée (CDI) et condamne l'employeur au versement de 16.390 euros de dommages et intérêts à la plaignante.
Ajoutons quand même, et la précision est fondamentale, que les Etats peuvent prévoir que "les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas l'ancienneté requise" ne soient pas soumis aux dispositions de la convention de l'OIT mais à condition que cette période soit d'une "durée raisonnable".

La CGT avait mis en ligne sur son site vendredi dernier ce qu'elle affirme être des attendus du jugement du conseil de prud'hommes :
Le Conseil constate que l’ordonnance du 2 août 2005 instituant le contrat nouvelles embauches est contraire à la Convention 158 de l’OIT ;

Que la Convention ayant une valeur supérieure en application de l’Article 55 de la Constitution, l’Ordonnance du 2 août 2005 est privée d’effet juridique ;

Qu’en conséquence le contrat dénommé à tort « nouvelles embauches » sur le fondement d’un texte non valable s’analyse en contrat à durée indéterminée de droit commun, soumis à toutes les dispositions du Code du travail...
Au-delà de la question de savoir si ce jugement s'explique principalement par des motivations politiques (non) et si le conseiller CGT du conseil de prud'hommes de Longjumeau aurait mieux fait d'être plus prudent dans ses déclarations à la presse (oui), cette décision comporte des aspects attendus, d'autres qui étaient prévisibles et certains qui semblent beaucoup plus surprenants.

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Le fait que la convention 158 de l'OIT soit d'application directe en droit français ne posait guère de problèmes : le Conseil d'Etat l'avait déjà dit en octobre 2005 quand il avait eu à examiner la légalité de l'ordonnance du 2 août 2005 créant le contrat nouvelle embauches et la Cour de cassation en avait jugé pareillement dans un arrêt du 28 mars dernier.

L'illégalité de la rupture sans entretien préalable dans le cadre du CNE au regard de la convention 158 de l'OIT était aussi évidente, comme l'avait reconnu implicitement le Conseil d'Etat dans son arrêt d'octobre dernier (je renvoie sur ce point à ma longue note de mars dernier). La véritable question qui se posait, en l'espèce, était de savoir si le CNE pouvait relever de l'exemption prévue à l'article 2 de la convention. Le Conseil d'Etat avait répondu par l'affirmative en novembre dernier. Le conseil de prud'hommes de Longjumeau prend le parti contraire, en adoptant une conception de la "durée raisonnable" qui me semble beaucoup plus solide que celles des juges du Palais Royal.

La surprise vient en fait du raisonnement du conseil de prud'hommes, tel qu'il transparaît dans les articles relatant le jugement. Une fois constatée la contradiction entre l'ordonnance créant le CNE et la convention de l'OIT, la démarche logique aurait été, il me semble, d'écarter les dispositions de l'ordonnance posant problème (en l'espèce, l'absence d'obligation d'un entretien préalable et d'un motif valable de licenciement) et d'appliquer à leur place les dispositions correspondantes de la convention. L'employeur n'ayant pas respecté l'obligation de procéder à un entretien préalable (et éventuellement ne faisant pas la preuve d'un "motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service"), le juge prud'homal pouvait donc condamner l'employeur pour licenciement abusif.

Mais ce n'est pas du tout ce que fait le conseil de prud'hommes de Longjumeau qui semble déclarer lui-même illégale l'ordonnance créant le CNE (ce que seul le juge administratif a le pouvoir de faire) pour en conclure que ce contrat n'a aucune existence juridique valable et donc que ce sont les règles de droit commun (c'est-à-dire, rappelons-le, celles du CDI) qui doivent s'appliquer. Ceci expliquant le retour par la bande de la notion de "cause réelle et sérieuse" (qui est plus restrictive que celle de l'article 7 de la convention de l'OIT) et donc la condamnation de l'employeur pour absence de CRS.

J'ai pu manquer une étape du raisonnement juridique et je ne veux certainement pas me faire passer pour le spécialiste en droit du travail que je ne suis pas, mais la façon dont le conseil de prud'hommes remet en cause le contrat nouvelle embauches dans son ensemble (et non certaines de ses modalités) me semble donc extrêmement contestable.

L'application des règles du CDI n'est pourtant pas totalement absurde au cas présent. La requalification d'un CDD en CDI est en effet courante dans le contentieux du droit du travail, le juge la prononçant à chaque fois que les conditions de recours au CDD ne sont pas remplies.

Est-ce le cas en l'espèce? La difficulté du jugement est que le conseil de prud'hommes ne se base pas uniquement sur le fait que l'ordonnance du 2 août 2005 serait contraire au droit international. Il affirme aussi que, en l'espèce, le recours à un CNE à la fin d'un CDD de six mois ne saurait être qualifiée de "nouvelle embauche" au sens de l'article 1 de l'ordonnance ("Les employeurs qui entrent dans le champ du premier alinéa de l'article L. 131-2 du code du travail et qui emploient au plus vingt salariés peuvent conclure, pour toute nouvelle embauche, un contrat de travail dénommé « contrat nouvelles embauches ».") La requalification en CDI sur ce fondement semble donc déjà moins contestable, même si l'on peut discuter de son application aux faits de l'affaire en question.

En tout état de cause, il faut, comme le fait Koz (rime riche), espérer que des juges professionnels (quoiqu'on ne sache pas si, en l'espèce, un magistrat du TGI a été appelé en tant que juge départiteur) se pencheront rapidement sur la question de la compatibilité du CNE au regard des engagements internationaux de la France.

En attendant, les employeurs qui voudraient rompre un CNE ont tout intérêt à procéder à un entretien préalable (et à se ménager un motif de licenciement qui puisse rentrer dans le cadre de l'article 7 de la convention 158 de l'OIT) pour s'éviter de très mauvaises surprises en cas de recours au juge du travail. Et plus généralement de fuir comme la peste un contrat dont la sécurité juridique est, comme on pouvait s'y attendre, tout sauf assurée.