18 juin 2007

Des révisions qui se perdent 

Au cours d'un chat du Monde à propos des conséquences politiques des législatives, Hervé relaie une analyse que j'ai entendue à plusieurs reprises depuis hier soir :
Au Parlement, la gauche a besoin de 2/5 des voix (231) pour s'opposer à des réformes constitutionnelles. Elle en totalise 230. Le président Sarkozy va-t-il devoir abandonner deux de ses projets de réformes constitionnelles engagées au pas de course : l'intervention du président devant le Parlement et le mini-traité de Constitution européenne.
Sans s'émouvoir de la troublante absence de point d'interrogation à la fin de la question dudit Hervé, le journaliste Christophe Jakubyszyn lui répond ainsi :
Il y a deux manières de réformer la Constitution : la voie parlementaire et la voie référendaire. J'avoue que je n'ai pas refait le calcul, mais M. Sarkozy pourra tout à fait contourner ces difficultés en faisant un référendum.

De plus, via la procédure parlementaire et non pas référendaire, il me semble que la droite, réunie en congrès, a d'ores et déjà la majorité requise.

D'autre part, pour la gauche, si c'est vraiment une réforme constitutionnelle qui donne des droits à l'opposition et fait évoluer le régime dans un sens moins présidentiel, ce sera quand même difficile pour elle de s'y opposer.
Force est de constater que cette réponse est assez imprécise, et qu'elle ne permet pas de rectifier toutes les inexactitudes contenues dans la question. Reprenons le début de l'article 89 de la Constitution, qui expose les modalités de révision du texte constitutionnel :
L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier Ministre et aux membres du Parlement.

Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.

Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée Nationale.
Comme le relève en passant Christophe Jakubyszyn, le seuil important est bien celui des trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès, soit au plus 545 suffrages sur les 908 députés et sénateurs. La droite détient-elle aujourd'hui cette majorité? Il me semble que non.

L'UMP compte aujourd'hui 155 sénateurs et 313 députés élus sous son étiquette, soit 468 parlementaires. Pour reconstituer la majorité présidentielle, il semblerait logique d'y adjoindre les 9 députés divers droite, les 22 membres du Nouveau centre, et la très libérale députée du MPF. Nous voilà à 500. On peut à la limite y rajouter une partie des 32 membres du groupe UDF au Sénat. Mais cela ne permet pas d'arriver aux fameux trois cinquièmes, même en allant chercher les aiguilles droitières dans la petite meule de foin que constitue le groupe RDSE.

A contrario, entre 2004 et 2007, l'UMP comptait à elle seule 515 parlementaires, ce qui rendait la possibilité de faire aboutir une révision constitutionnelle peu consensuelle déjà plus probable. Incidemment, la nécessité de réunir une majorité au Sénat pouvait hier paraître un obstacle plus difficile à franchir que celui du seuil des trois cinquièmes des parlementaires. Incidemment, aussi, voilà qui relativise quelque peu les analyses d'Eolas sur l'inconséquence, au-dessus du seuil des 60, du nombre des députés de l'opposition : l'UMP aurait-elle eu les 400 députés qu'on lui prédisait que le risque d'une révision constitutionnelle approuvée par un seul parti augmentait sensiblement.

Cela dit, pour revenir à la question initiale d'Hervé, tout cela est sans incidence sur l'avenir du possible futur traité "simplifié". Toute incompatibilité relevée par le Conseil constitutionnel entre la constitution et un accord international oblige certes à réviser celle-ci pour pouvoir ratifier celui-là. Mais cette formalité a déjà était accomplie en ce qui concerne le Traité établissant une constitution pour l'Europe. On voit mal en quoi le possible futur traité "simplifié" présenterait des incompatibilités avec la Constitution française qui n'auraient pas été levées par la révision du 1er mars 2005. Rien ne s'oppose donc, en droit, à ce que que la loi autorisant sa ratification soit adoptée par l'Assemblée nationale, à la majorité simple. [Ben si. Pas mal de choses pourraient y faire obstacle, en fait. Voir les précisions qui s'imposent en fin de note]

Ce serait à mon sens une faute politique de premier ordre, et les Français y sont d'ailleurs, si l'on en croit un sondage récent que je mentionne ici pour faire mentir Edgar, majoritairement opposés. Mais le résultat final des élections législatives ne rend pas cette issue moins probable.

Add. (19/06) : pour le coup, c'est moi qui aurais mieux fait de réviser le texte de la Constitution et d'aller lire Jean Quatremer avant d'être aussi stupidement péremptoire.

On pourrait certes soutenir in abstracto qu'une révision constitutionnelle ne serait pas forcément nécessaire pour pouvoir ratifier le mini-traité (j'exclus le cas d'une absence de saisine du Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 54). En remarquant par exemple que nombre des articles du TECE qui appellaient, d'après la décision du 19 novembre 2004 du Conseil constitutionnel, une révision de la Constitution, se trouvaient dans la partie III. Et que cette partie III est censée disparaître du futur traité. En outre, le fait que l'actuel article 88-1 de la Constitution mentionne le traité établissant une Constitution pour l'Europe n'est pas en soi juridiquement problématique, dans la mesure où il énonce une simple possibilité.

In concreto
, il semble quand même douteux que le traité "simplifié", s'il advient, ne reprenne pas au moins quelques articles déjà jugés incompatibles avec la Constitution par le Conseil constitutionnel, comme ceux qui accroissent "la participation des parlements nationaux aux activités de l’Union européenne". La bataille parlementaire devrait donc bien avoir lieu.

Une dernière remarque sur le sujet : Jean Quatremer conclut sa note en rappelant que :
Au passage, rien n’empêche Nicolas Sarkozy de ne pas reprendre l’article 88-7 qui prévoyait que « tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République ». Cette disposition, qui ne visait en réalité que la Turquie, risque de se retourner contre toutes les futures adhésions (hormis la Croatie qui y échappera). Est-il bien nécessaire de déclencher de nouvelles vagues populistes (style « plombier polonais ») à chaque nouvel élargissement ?
Non, évidemment. Fort heureusement, il existe une solution très simple pour ne pas à avoir à passer par la case référendum dans le cas d'un élargissement consensuel. Il suffit, comme l'avait relevé à l'époque le sénateur UMP Patrice Gélard, de profiter d'une faille (volontaire?) dans le texte constitutionnel en utilisant une proposition de loi pour autoriser la ratification du traité d'adhésion.