05 juin 2008

La soutenable pesanteur de la dette (2) 

En commentaire sous la note précédente, un mystérieux correspondant réplique ainsi à ma brève remarque sur la dette publique :
Je ne te suivrai pas sur la dette. Je trouve que le pré-pensé sur le sujet est encore bien trop angéliste, dans la mesure où l'on réduit la dette un problème économique en négligeant la signification politique de la chose.
Je ne suis pas sûr de bien comprendre le sens de la remarque (surtout qu'on dit "angélique") mais j'aurais tendance à ne me pas me suivre non plus sur la dette. En tout cas si la direction est de dire que le niveau actuel de la dette publique française n'est pas problématique. Seulement, j'ai tendance à penser que la critique habituelle de l'endettement public ne résiste pas à un examen sérieux et que, si critique il doit y avoir, elle se doit de reposer sur des raisons beaucoup plus subtiles que la rengaine sur les nouveaux-nés dont le berceau est lesté de 15 000 € de dette (18 000, au cours du jours).

Commençons par la critique de la critique populaire. C'est une analyse qui a déjà été faite maintes fois par l'infatiguable Alexandre Delaigue d'Econoclaste (Sisyphe, encore), mais il ne me semble pas inutile de la rappeler ici. Surtout que, comme l'indique son titre, cette note s'inscrit dans un feuilleton au long cours (la première note et son graphique ajouté, publiés il y a, hum, 2 ans, soutenaient que la comparaison entre recettes d'impôt sur le revenu et intérêts de la dette était idiote).

C'est tipar, et d'abord en économie fermée, pour les besoins de la pédagogie. Supposons qu'un Etat cherche à financer des dépenses nouvelles. Maintenant que la création monétaire n'est plus de son ressort, deux solutions s'offrent à lui : augmenter les impôts ou emprunter sur les marchés financiers. Aucune solution n'est idéale : l'impôt est politiquement impopulaire et économiquement coûteux (hors le coût du recouvrement, toute imposition se traduit par une perte économique sèche); l'endettement est lui généralement coûteux financièrement (pour inciter les prêteurs à se séparer volontairement d'une partie de leurs liquidités, il faut les rémunérer avec des intérêts) et potentiellement dommageable économiquement (via l'effet d'éviction, qui augmente le coût de l'emprunt pour les agents privés).

On pourrait penser qu'emprunter équivaut à dépenser maintenant et à payer plus tard (d'abord les intérêts, année après année, puis le principal à l'échéance du titre de dette). Mais, une fois qu'on raisonne à l'échelle d'un pays, ce n'est plus vrai du tout : les dépenses nouvelles ont déjà été payées, non pas par les contribuables, mais par les ménages qui achètent des titres de dette, soit directement, soit via des intermédiaires financiers à qui ils avaient confié leur épargne. Et ces prêteurs l'ont fait volontairement, alors que les contribuables ont une fâcheuse tendance à gueuler quand on augmente leurs impôts. Le premier jour, donc, le gouvernement décida de recourir à l'emprunt et il vit que cela était bon politiquement.

L'emprunt consiste ainsi à faire payer les épargnants à la place des contribuables. Tout ce qui se passe ensuite pendant le reste de la morne vie d'un titre de dette consiste à déboucler l'opération. Chaque année, il faudra prélèver un peu plus d'impôts auprès des contribuables pour payer les intérêts aux épargnants. Et à l'échéance, encore un peu plus d'impôts pour rembourser le principal.

Il est évidemment possible de varier les plaisirs, en empruntant pour rembourser tout ou partie des emprunts précédents, et en distinguant entre les types d'obligations émises par l'Etat (qui a bien entendu le choix dans la dette).

Mais l'essentiel n'est pas là : il n'aura échappé à personne que, si tous les contribuables ne sont pas des épargnants nets (sauf dans cet heureux monde parallèle habité par une bonne partie des parlementaires de droite et des éditorialistes du Figaro où seuls l'impôt sur le revenu et l'ISF sont considérés comme des prélèvements obligatoires), les prêteurs sont très majoritairement aussi des contribuables (sauf, encore, aux niveaux stratosphériques de l'échelle des revenus grâce aux miracles de l'optimisation fiscale) [le sarcasme était tentant, mais je sens que je vais immanquablement me faire traiter de parlementaire de droite ou, pire, d'éditorialiste du Figaro si je le maintiens. Parce que même les méga-riches payent de la TVA et de la CSG]. Ce qui fait que le remboursement de la dette aux prêteurs va se faire en partie avec leurs impôts, le reste étant acquitté par les contribuables non-prêteurs.

L'opération a évidemment des conséquences redistributives majeures (qui dépendent du profil des prêteurs et de la progressivité du système fiscal), mais ne change pas grand chose quand on raisonne à l'échelle du pays tout entier. Parce que le nouveau-né moyen qui trouve une dette de 18 000 euros dans son berceau y trouve aussi une créance sur l'Etat (ou plus précisément sur l'ensemble des administrations publiques) d'un montant équivalent. Autrement dit, à l'échelle d'un pays, choisir l'endettement plutôt que l'impôt consiste à faire payer les ménages au lieu de faire payer les ménages.

Fort bien, me dira-t-on, mais le raisonnemment ne marche plus du tout une fois qu'on passe en économie ouverte, et qu'il est possible d'emprunter auprès d'agents étrangers. Et on ajoutera que c'est assurément le cas concernant la dette publique française, qui est détenue à 62% par des non-résidents. A quoi je répondrai : et ben si, ça marche toujours, en tout cas dans le cas de la France. Mais pas aujourd'hui, parce qu'il faut bien laisser des choses à dire pour la suite du feuilleton.