07 octobre 2004

De bons arguments en faveur du non 

A force d'écouter les vociférations des fabiusiens sur l'Europe sociale, on aurait tendance à croire que tous les appels à voter non au référendum sur la constitution le traité constitutionnel européen se fondent sur une méconnaissance gravissime de l'histoire et du fonctionnement des institutions européennes.

On aurait tort. Car il reste de bons arguments contre la ratification de ce traité, comme le rappelait utilement le constitutionnaliste Dominique Rousseau hier dans Libération. Après des préliminaires destinées à préciser que le vote se fait bien sur le texte adopté le 18 juin 2004, et pas sur l'Europe ou sur une constitution européenne idéalisée, il avance trois raisons principales de voter pour le non.

D'abord, les deux premières parties consacrées au fonctionnement institutionnel de l'Union comprennent de graves défauts de fabrication :
Les deux premières parties ne sont pas «terribles». Loin de clarifier la répartition des compétences entre les Etats membres et l'Union et, à l'intérieur de l'Union, entre les différentes institutions, la première partie offre trois têtes possibles à l'Europe ­ le président du Conseil, le président de la Commission et le ministre des Affaires étrangères ­ donc une source permanente de conflits de pouvoir sans que le Parlement soit identifié comme arbitre, et elle ouvre certainement avec le principe de subsidiarité un complexe contentieux de délimitation des domaines législatifs nationaux et européens.
Ensuite, la troisième partie, qui détaille les politiques de l'Union, n'a pas sa place dans un texte consitutionnel :
Ces 342 articles n'ont rien à faire dans une constitution. Non pas parce qu'ils expriment la pensée libérale ; il en serait de même si ces 342 articles imposaient de conduire les politiques de l'Union dans le respect du principe de l'économie collectiviste, ou de l'économie solidaire, ou de toute autre forme d'économie. Mais parce qu'une constitution n'est pas une loi ordinaire ; elle est la Loi commune, celle sous laquelle vivent tous les citoyens et qui, pour cette raison, ne doit privilégier a priori aucun choix politique. Au contraire, elle doit les permettre tous et laisser les citoyens libres de décider, d'élections en élections, si leurs gouvernants doivent mener une politique libérale, sociale, écologique ou autre. Une constitution fixe les règles du jeu, pas le jeu ; ce sont les citoyens qui «jouent» libéral, social ou écologique. Donc, non à cette Constitution-là parce qu'elle enlève aux citoyens le droit et le pouvoir de choisir leur politique.
Enfin, un échec du processus de ratification ne serait pas gravissime, l'impulsion pour donner une constitution à l'Europe et pour réformer l'exécrable traité de Nice restant intacte :
Pour calmer les esprits, il convient d'abord de rappeler simplement à ceux qui soutiennent que la victoire du «non» serait le maintien du catastrophique traité de Nice que, même si le «oui» l'emporte, il continuera de s'appliquer jusqu'en 2009 pour ce qui concerne le calcul de la majorité qualifiée et jusqu'en 2014 pour ce qui concerne la composition de la Commission.

Et puis surtout l'expérience apprend à recevoir avec beaucoup de précaution les discours annonçant l'apocalypse. Relisons l'histoire récente du Pacte de stabilité et de croissance : c'est l'Allemagne qui l'impose pour se prémunir contre le ­ supposé ­ manque de rigueur des pays de l'Europe du Sud et c'est Berlin, et Paris, qui le fait voler en éclats en novembre 2003 ; la violation de cette «Constitution économique» de l'Europe devait provoquer, selon tous les pronostics, une crise profonde... et elle débouche sur une réforme destinée à rendre le pacte «intelligent» ! Il ne faut donc pas injurier l'avenir. Si le «non» l'emporte, la discussion reprendra. Car il faut une constitution pour l'Europe.
Le premier argument me semble assez faible : les institutions européennes se sont toujours basés sur la concurrences des légitimités et sur une résolution empirique des problèmes de compétence (avec, au besoin, l'intervention de la Cour de Justice de Luxembourg). Le second est beaucoup plus décisif, car il touche au coeur du fonctionnement d'une démocratie européenne. Cela dit, il est possible de rétorquer à Dominique Rousseau que l'accord des 25 à une constitution dépend justement d'une telle partie, qui vise à les rassurer sur l'avenir des politiques européennes. Mais il n'est pas interdit d'essayer de faire mieux. D'où l'intérêt du dernier argument : une constitution européenne verra le jour de toute façon, et il est peu raisonnable de s'accrocher à ce texte, s'il est peu satisfaisant. D'autant que j'espère encore récupérer "ma" citation de Thucydide.

Je repasse donc -pour ce soir au moins- dans le camp des indécis. Malgré Fabius.