10 février 2005

Constitution : le vandalisme continue 

On aurait pu penser que les parlementaires turcophobes (et turcosceptiques) de la droite se contenteraient de l'ajout, dans la Constitution, d'une disposition obligeant toute future adhésion à l'Union européenne à être soumise au référendum (voir ici et pour les épisodes précédents). Autant rêver.

Car certains parlementaires semblent craindre que le parlement ne cherche, à l'avenir, à modifier à nouveau le texte constitutionnel pour "désautomatiser" le recours au référendum sur l'adhésion de la Turquie. Pour appaiser ces craintes, un sénateur villiériste (donc pas UMP et membre de l'étrangement nommée RASNAG) vient de déposer deux amendements visant à ajouter, après l'article consacré au référendum automatique (88-5 ou 88-7, selon que le traité constitutionnel européen est entré ou non en vigueur):
Cette disposition ne pourra elle-même faire l'objet d'une révision que par référendum.
Je suis soufflé par autant de bêtise. Car l'amendement est à la fois inutile et inefficace.

Inutile parce qu'il faut vraiment avoir des tendances paranoïaques pour croire qu'un Sénat de droite (qu'on ne s'inquiète pas : il restera de droite encore pour longtemps) avalisera une révision constitutionnelle visant à supprimer un référendum automatique sur l'entrée de la Turquie dans l'UE.

Inefficace parce que la mention n'empêche aucunement une révision constitutionnelle par voie parlementaire. Il suffit d'adopter une démarche en deux temps : d'abord, supprimer la phrase qui empêche une révision parlementaire. Ensuite, modifier l'article prévoyant un référendum automatique pour toute nouvelle adhésion et/ou celui listant les exceptions à cette règle. Et le Conseil constitutionnel laisserait faire, car il a reconnu ne pas être compétent à juger de la validité des lois constitutionnelles.

Il existe d'ailleurs une autre possibilité, encore plus simple, qui est de modifier le fameux article 4 de la loi constitutionnelle, qui précise le champ d'application des articles 88-5 et 88-7.

Ce que Retailleau et certains autres n'arrivent pas à comprendre est qu'il impossible de graver dans le marbre un texte juridique. Il est certes possible de rendre une révision future très difficile, mais pas de l'empêcher absolument. Car toute disposition visant à empêcher une modification d'un texte juridique est suceptible d'être elle-même modifiée, suprimée ou remplacée. Aucun mécanisme ne peut permettre aux parlementaires de 2005 d'éviter que leur oeuvre soit un jour défaite. C'est à la fois heureux et tautologique.

Cela ne change pourtant pas le fait que le texte de la loi constitutionnelle, même dans sa forme actuelle (il y a peu de chances que le Sénat reprenne l'amendement d'un sénateur non-inscrit), reste très mauvais. Pas forcément parce qu'il prévoit un référendum sur la Turquie. Je suis assez défavorable à l'idée d'un tel référendum, et encore plus rétif à l'idée de défigurer la Constitution pour s'assurer qu'il ait bien lieu, mais je suis bien forcé de m'incliner devant la volonté majoritaire. Le vrai, le grave problème est que le filet est trop serré, et qu'il inclut tous les futurs pays candidats alors que la seule Turquie est visée.

Peut-on trouver une meilleure rédaction, qui garde l'esentiel du dispostif, mais corrige ses défauts les plus criants? La réponse est oui. Voilà la rédaction que je propose pour l'article 88-5/88-7 :
"Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République.
Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide, en accord avec le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale, de le soumettre au Parlement."
Comme pour l'article 89 de la Constitution, on définit une voie par défaut (le référendum) et une voie subsidiaire (le parlement). Mais, contrairement à l'article 89, les conditions à réunir pour empêcher un référendum sont très strictes : il faut un accord unanime des trois premiers personnages de l'Etat.

Un tel accord ne serait possible que pour les cas où une adhésion ne pose pas de problèmes particuliers (Croatie, Bulgarie, Roumanie, mais aussi Suisse ou Norvège). Sur les adhésions clairement problématiques (Turquie bien sûr, pourquoi pas Ukraine dans le futur), on peut compter sur - au moins - le président du Sénat pour opposer son veto à la voie parlementaire. Ainsi, le contrôle par la gauche de l'Elysée et de l'Assemblée serait insuffisant pour empêcher un référendum sur l'adhésion turque. Et une telle rédaction aurait en outre l'avantage de rendre superflu le fort disgracieux et complètement hypocrite article 4 du projet de loi constitutionnelle actuel.

Voilà : mon oeuvre sur terre est faite. Il ne reste plus qu'à trouver un sénateur de bonne volonté pour la proumouvoir.