19 mai 2006

Rétention des cerveaux 

On ne sait toujours pas avec précision combien il y a de jeunes et brillants Français à Londres, mais on est sûr d'au moins une chose : les choses vont tellement mal en France que les surdiplômés se carapatent en masse pour aller chercher meilleur salaire, environnement de travail plus motivant et ivresse (indéniable) de l'expatrié sous le soleil de la Californie ou le ciel bas de l'Angleterre. Quand même le sujet déboule sans crier gare (ni aéroport, d'ailleurs) au milieu du palmarès annuel des meilleurs jeunes économistes français, c'est bien qu'il y a un vrai problème, non?

Pas vraiment, en fait. Ou, en tout cas, beaucoup moins que dans les pays comparables, comme le montre ce graphique de l'OCDE sur les migrations des hauts diplômés (approximativement niveau master et plus, si je comprends bien).



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Deux constats sautent aux yeux, une fois qu'on a réussi à comprendre comment fonctionne le graphique et à repérer où se situe la France.

D'une part, le solde net des diplômés est légèrement positif en France, si l'on se restreint aux migrations entre pays de l'OCDE - et beaucoup plus largement si l'on prend en compte les diplômés venant d'autres pays. Ce n'est pas le cas de tous les pays : par exemple, le Royaume-Uni (pour prendre un exemple au hasard), l'Irlande, les Pays-Bas ou la Nouvelle-Zélande exportent nettement plus de diplômés vers les autres pays de l'OCDE qu'ils n'en accueillent. Le graphique publié dans le Financial Times à partir des mêmes données et reproduit chez European Tribune permet d'ailleurs de visualiser ces différences de soldes de façon beaucoup plus nette.

D'autre part, la proportion de hauts diplômés français qui partent à l'étranger est très faible, comparé à ce qui passe dans la grande majorité des pays de l'OCDE. Il n'y a qu'en Corée du sud, au Japon, aux Etats-Unis, en Australie et en Espagne que la mobilité internationale des diplômés est inférieure. Ce qui pourrait assez bien s'expliquer par l'importance des barrières culturelles dans les deux premiers cas, et par l'immensité du territoire national dans les deux seconds. Il ne reste plus qu'à évoquer de nécessairement vagues facteurs culturels pour expliquer la position de l'Espagne et la France.

Quelle conclusions en tirer concernant le cas français? D'abord, que le manque d'attractivité de la France pour les individus très qualifiés (pour autant qu'on puisse en juger à leur diplôme) ne semble pas vraiment avéré, dans la mesure où la France se situe légèrement au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE sur ce critère.

Et ensuite que si un problème d'expatriation des diplômés français se pose, ce serait plutôt que la fuite des cerveaux est insuffisante en France. Parce qu'il y a quelque chose de sain à ce que les élites d'un pays passent un temps certain à l'étranger. Surtout quand ce pays n'est pas spécialement connu pour son ouverture spontanée au monde, ni ses élites pour leur humilité.

NB : les chiffres de l'OCDE datent de 2000. Il est assez probable, au vu de ce qu'on sait par ailleurs de l'évolution récente du nombre de Français à l'étranger, que la proportion de hauts diplômés français expatriés ait clairement augmenté au cours de ces six dernières années. Je doute néanmoins que cela remette clairement en cause la relative immobilité du diplômé français comparé à ses homologues européens.