29 août 2006

Champions de la zone euro? 

Ce n'est plus de la toute première fraîcheur, mais je reste assez interloqué par ces propos de Thierry Breton en réaction à la publication de l'estimation précoce de la croissance française pour le second trimestre 2006 (mes italiques) :
C'est la démonstration que la politique de croissance menée avec détermination par le gouvernement, fondée sur le retour de la confiance, la maîtrise des finances publiques et l'accroissement des investissements, porte ses fruits. Cent cinquante économistes internationaux viennent du reste de classer la France comme l'économie la plus dynamique de la zone euro.
Comme toujours avec Breton (ou Copé), on se dit que l'affirmation doit être techniquement vraie mais qu'elle ne veut pas dire ce que l'on croit qu'elle veut dire. Du genre : 150 économistes internationaux ont bien classé la France comme l'économie la plus dynamique de la zone euro, mais c'était lors d'un congrès de 10 000 économistes, les 150 qui ont choisi la France étaient passablement éméchés et les 9 850 autres ont logiquement classé l'Irlande ou l'Espagne ou la Grèce (si, si) en tête.

Le vrai problème, ici, est qu'il m'est impossible de remettre la main sur l'étude à laquelle Breton est censé faire référence. Rien sur le site du Minefi, alors qu'on aurait pu croire que ce type de nouvelle stupéfiante aurait bien mérité un communiqué de presse triomphant. Rien dans les articles qui rapportaient les déclarations de Breton au Monde, les journalistes se contentant de reprendre la phrase sans chercher à comprendre d'où venait cette étrange affirmation. Les économistes de Natexis ont certes fait part de leurs sérieux doutes quelques jours après, en rappelant que la croissance française est encore loin de celle de l'Irlande, de la Grèce, de l'Espagne et de la Finlande, mais sans non plus s'interroger sur l'origine des propos de Breton. Enfin, je parviens bien à retrouver la trace d'une enquête réalisée par Reuters auprès de 150 économistes internationaux et publiée fin juin. Mais la dépêche ne mentionne évidemment rien concernant l'exceptionnel dynamisme de l'économie française.

Le plus troublant est que Breton a répété son assertion dans une interview à la Tribune du lundi 14 août. Mais en rajoutant une nuance de taille :
Malgré des "menaces sur la croissance", Thierry Breton estime que "la France se porte mieux" et que sa croissance est "équilibrée", avant de rappeler que "150 économistes internationaux l'ont classée comme l'économie la plus dynamique de la zone euro au premier semestre".
Ce qui est encore moins compréhensible dans la mesure où la performance de la France au premier trimestre 2006 était tout sauf remarquable (+0,5% de croissance trimestrielle, contre 0,6% en moyenne pour l'ensemble de la zone euro - pdf).

Quelqu'un arrivera-t-il à jeter un peu de lumière sur cette sombre affaire?

Add. (02/09, 2h du mat') : La réponse à la question littérale était donc : Cacambo. Merci à lui. Et celle à la question implicite est : une dépêche de Reuters résumant les principaux enseignements de l'enquête conduite en juin par Reuters auprès de 150 économistes internationaux et qui décrit bien la France comme "la meilleure élève des douze". Breton n'a donc, comme je le craignais, pas sorti son affirmation de nulle part. Mais cela ne la rend pas plus vraie.

Essayons d'y voir -enfin- plus clair. Le "raisonnement" qui permet à la journaliste de Reuters (ou plus probablement à celui ou celle qui a ajouté l'intertitre) de décerner la palme de la croissance à la France semble être le suivant : la croissance de la France (2,0%) sera supérieure en 2006 à celle de l'Allemagne (1,8%) et de l'Italie (1,5%); ces trois pays sont les trois plus grosses économies de la zone euro; ergo, la France est "la meilleure élève des douze". C'est un peu, toutes choses inégales par ailleurs, comme si je disais que Bordeaux est l'équipe la plus performante depuis le début de la saison de ligue 1 parce qu'elle est mieux classée que le PSG et Monaco (sans parler de qui-vous-savez).

Parce que, bien entendu, la zone euro n'est pas seulement composée de la France, de l'Allemagne et de l'Italie. Et que, comme on l'a déjà dit, de nombreux pays de la zone euro (Irlande, Espagne, Grèce, Finlande) ont toutes les chances de faire mieux, et même beaucoup mieux, que la France en 2006. L'enquête de Reuters ne dit d'ailleurs pas le contraire : les "150 économistes"prévoient une croissance de 2,3% pour la zone euro en 2006. Comme les prévisionnistes n'envisageaient que 2% pour la France, il faut bien que d'autres pays puissent tirer la moyenne vers le haut.

En conclusion, Breton a bien raconté des conneries. Mais il a une excuse : il ne les a pas trouvées tout seul.