04 juin 2007
Blanchard, Cahuc et Zylberberg en remettent une couche dans Le Monde daté demain contre le projet de défiscalisation des heures supplémentaires. On hésitera judicieusement à les qualifier de manchots en ce qui concerne l'économie du travail ou d'affreux gauchistes militants. Et, de fait, le problème des implications économiques du temps du travail est plutôt bien posé et la critique largement convaincante. Ne serait-ce que parce qu'elle a le bon goût de rappeler qu'il faudra bien financer cette détaxation des heures supplémentaires, et que ce financement par l'impôt aura des conséquences économiques.
Deux choses me dérangent, quand même. Les auteurs rappellent à juste titre que, si la réduction du temps de travail à elle seule, a eu un effet à peu près nul sur l'emploi, cela ne veut pas dire que les lois Aubry, envisagées globalement, n'en ont pas eu :
On dispose aujourd'hui d'un recul suffisant et de nombreuses études ont pu évaluer les conséquences de la réduction du temps de travail. Les conclusions vont toutes dans le même sens : la réduction du temps de travail ne crée pas d'emploi. Elle bride donc l'activité. Si les lois Aubry ont effectivement créé des emplois, c'est grâce aux allégements de charges qui ont permis de maîtriser le coût du travail et aux aménagements de l'organisation du travail. L'impact de la seule réduction du temps de travail sur le nombre d'emplois créés a été, au mieux, très marginal.Ce qui rend d'autant plus incompréhensible leur pique finale envers les 35H :
C'est un excès d'idéologie et un manque de pragmatisme qui expliquent l'erreur des 35 heures.Encore une fois, je rappelle que l'équation des lois Aubry peut s'énoncer sous la forme : baisse du temps de travail sans diminution de salaire contre flexibilité, allégement de cotisations (ou plus exactement : fiscalisation accrue de la protection sociale) et modération sociale. C'est une équation qui est bien sûr critiquable sur plusieurs points, et Alexandre Delaigue l'avait contestée il y a quelques temps avec son talent habituel. Mais je ne vois pas qu'elle soit particulièrement idéologique. Au contraire, faire avaler à une majorité de gauche un accroissement de la flexibilité, une modération salariale et un allégèment de cotisations encore assimilée par une trop grande partie de l'électorat de gauche à un cadeau au patronat me semble plutôt pragmatique.
Deuxième chose, en sens inverse. Comme pas mal d'autres, les auteurs affirment en passant que :
Ceux qui effectueront plus d'heures supplémentaires verront effectivement leurs revenus s'accroître. Néanmoins, l'accroissement des heures supplémentaires risque de se faire au détriment de nouvelles embauches.Autant je comprends le raisonnement à l'échelle d'une entreprise, autant j'ai du mal à l'étendre à l'économie toute entière. Pour tout dire, si j'étais suffisamment économiste pour avoir un détecteur no bridge, j'ai bien l'impression qu'il se mettrait à sonner. Parce que j'ai un peu de mal à envisager un modèle où la variation, ceteris paribus*, du temps de travail n'aurait aucun effet sur l'emploi à la baisse mais en aurait une, négative, à la hausse.
D'autant plus que j'ai justement tendance à penser que le temps de travail n'a, en soi, aucun effet sur l'emploi, ni sur le chômage. Et donc que son niveau optimal dépend uniquement d'un arbitrage -que je préfère collectif pour des raisons d'externalités- entre revenu et loisir.
* Pour répondre tardivement à la question d'un lecteur, la formule veut dire "toutes choses égales par ailleurs", est très utilisée par les économistes et signifie en outre que tout ce que j'écris ici est à prendre avec les pincettes appropriées.
Mis en ligne par Emmanuel à 22:35 | Lien permanent |