13 septembre 2007

Croissance moins, la suite 

Application de l'exercice du mois dernier avec le début d'un (mauvais) article pêché sur le site Internet du Monde (mes italiques) :
La Banque de France évalue la croissance française pour le troisième trimestre à + 0,6 %, selon une estimation publiée jeudi 13 septembre. L'acquis de croissance se porterait à 1,6 % sur les neuf premiers mois de l'année. Les prévisions de la BdF contrastent singulièrement avec les révisions en baisse annoncées depuis une semaine par d'autres institutions.

Ainsi, l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) table depuis la semaine dernière sur 1,8 %, contre 2,2 % auparavant. Mardi 11 septembre, c'est la Commission européenne qui a fortement abaissé sa prévision de croissance pour la France, à 1,9 % contre 2,4% précédemment.
Ce qui est "singulier", en fait, est que le journaliste responsable de l'article ne se rende pas compte que les prévisions de la BdF sont au contraire dans la droite ligne de celles de l'OCDE et de la Commission européenne. Reprenons les chiffres de l'INSEE en intégrant la prévision d'une croissance de 0,6% pour le troisième trimestre.




Je rappelle que "l'acquis de croissance" est la croissance annuelle qui serait atteinte si le PIB trimestriel restait stable au cours des trimestres restants sur l'année (ici, au cours du seul 4e trimestre). C'est en quelque sorte un "plancher", qui a de bonnes chances d'être dépassé dans la mesure où les trimestres de croissance nulle ou négative sont rares. Au moins en France. Ici, une croissance de 0,6% au 3e trimestre suivie d'une croissance nulle au 4e trimestre correspondent à un PIB trimestriel de 406,77 milliards d'euros au 3e et au 4e trimestres. On additionne, on calcule le taux de croissance du PIB annuel 2007 par rapport au PIB annuel 2006 ((1620,92/1594,67)-1) et on retombe bien, à condition d'aller chercher trois chiffres après la virgule (1,646%), sur l'acquis de croissance de 1,6% évoqué dans la dépêche.

C'est après que les choses se compliquent. Parce que l'auteur de l'article mélange visiblement croissance en moyenne annuelle et croissance en glissement annuel (remarquez, ça arrive à des gens biens). On imagine assez bien le processus de pensée qui conduit à la conclusion fallacieuse : "bon, on a déjà 1,6% de croissance à la fin septembre et il nous reste encore un trimestre. Modulo un petit arrangement sans grande conséquences avec les maths, il faudrait grosso modo 0,4% de croissance au dernier trimestre pour atteindre 2% sur l'année, soit le bas de la fourchette du gouvernement. Avec une croissance de 0,6%, comme au trimestre précédent, on se retrouve à 2,2%, soit quasiment pile poil l'hypothèse de croissance du budget 2007 (2,25%). Et 0,5% correspond peu ou prou au rythme moyen de la croissance trimestrielle en France sur la période récente. C'est plus que jouable".

Sauf que non. Parce qu'on cherche ici une croissance en moyenne annuelle. Et que, subsidiairement, on ne peut pas utiliser un concept qui n'a de sens que dans un calcul de croissance en moyenne annuelle (l'acquis de croissance) pour le multiplier avec des chiffres de croissance trimestrielle. Reprenons le tableau, et nos questions scolaires : en conservant la prévision de la Banque de France pour le troisième trimestre, quelle croissance au 4e trimestre serait-elle nécessaire pour que la cible gouvernementale de 2% de croissance en 2007 soit atteinte (ce qui correspond à un PIB de 1626,56 milliards d'euros)?

Il suffit en fait de chercher d'abord la valeur du PIB pour le 4e trimestre qui permet d'atteindre la valeur souhaitée. Fastoche :

1626,56-(403,04+404,34+406,77) = 412,41

Soit un taux de croissance trimestriel nécessaire de :

(412,41/406,77)-1 = 0,0138, soit... 1,4%!

Bon, ce n'est pas totalement impossible mais l'économie française n'a pas connu un tel niveau de croissance trimestrielle, qui correspond à un rythme annuel de 5,5% (là, le calcul est tout con, il suffit de muliplier par 4 et de prendre un air sérieux), que 3 fois depuis 1978, et la dernière en 1989.

Même en grattant sur les arrondis (il suffit de faire 1,95% de croissance pour que les 2% soient symboliquement atteints), il faudrait quand même que la croissance au 4e trimestre soit d'au minimum 1,2%, chiffre atteint ou dépassé seulement à 10 reprises depuis 1978, et seulement une fois depuis 1990, à une époque (4e trimestre 1999) où les marchés financiers étaient autrement plus insouciants qu'ajourd'hui. Autrement dit : la fourchette gouvernementale a plus que du plomb dans l'aile, si l'on me passe l'emploi de cette vilaine métaphore croisée.

Par contre, la prévision de l'OCDE se porte très bien, merci pour elle : si l'économie française croît de 0,6% au troisième trimestre, comme le prévoit la Banque de France, il faudrait une croissance comprise entre 0,4 et 0,8 pour que la croissance annuelle s'établisse à 1,8% pour 2007. Ce qui semble assez probable, si l'on retient un scénario optimiste.