22 juillet 2008
Un truc con, d'abord, mais qui ne doit pas agacer que moi : quand la majorité requise est de 538 voix et qu'il y a 539 voix pour, il est idiot d'écrire que le texte est passé "à une voix près". Un parlementaire ayant approuvé le texte aurait-il décidé de voter contre que la face de la Constitution n'en aurait pas moins été changée. J'aurais aimé dauber sur le Lieberman français, mais il est inexact de croire que la voix de Lang a fait la décision (mais pas absurde de penser que la perspective d'être nommé "Défenseur des droits" a largement contribué à déterminer le sens de son vote).
A deux voix près, donc, Sarkozy a gagné son pari. Et confirmé la loi non-écrite de la Ve République qui veut que, depuis 1962, la procédure parlementaire est un jeu qui se joue à plusieurs centaines de députés et sénateurs et qu'à la fin, c'est toujours le gouvernement qui gagne. Sauf en matière constitutionnelle, où le Sénat partage les lauriers, en prélevant sa dîme sur les textes adoptés.
Et c'est dommage. Parce que, sur la forme, il y a quand même quelque paradoxe, comme le notait fort justement le très kewl Bastien François ce matin sur France Cul, à vanter le renforcement des pouvoirs du Parlement permise par la révision tout en tordant le bras des parlementaires récalcitrants pour qu'il soit adopté. Parce que, sur le fond, on aurait pu avoir un bien meilleur texte.
Pas que celui-ci soit fondamentalement mauvais. Autant les critiques de la gauche sur l'hyperprésidentialisation ont un véritable fondement quand elles visent la pratique de la Ve République (et, au-delà du style, Sarkozy n'a pas inventé grand chose en ce domaine), autant affirmer que ce texte nous rapproche sensiblement d'une monocratie est absurde. La seule disposition qui va un tant soit peu dans ce sens est le droit donné au Président de s'adresser au Congrès. La gauche en a fait une montagne. J'ai tendance à croire, nonobstant l'opinion de meilleurs juristes que moi, que c'est une souris constitutionnelle, gage marginal donné à la vanité de l'hôte de l'Elysée et à son tropisme américain.
Pour le reste, le texte adopté (pdf) est un vaste et ambitieux fourre-tout, qui mélange, entre autres :
- des vraies et grandes innovations : la saisine du Conseil Constitutionnel par voie d'exception par les justiciables, l'examen en séance publique des projets de loi tels qu'amendés par les commissions;
- des ajustements bienvenus : la ratification expresse des
lois organiquesordonnances, l'augmentation du nombre de commissions parlementaires, l'introduction d'une (autre) procédure permettant de tourner le stupide principe d'automaticité du référendum pour toute nouvelle adhésion à l'UE, l'information du Parlement sur les opérations extérieures, la plus grande marge de maneuvre laissé aux (majorités des) assemblées pour fixer leur ordre du jour;
- des trompe-l'oeil : le référendum "d'initiative populaire" tellement contraint qu'il en devient largement impraticable, l'encadrement a minima du recours au 49.3, la pseudo-limitation de l'urgence législative;
- des trucs inutiles : le renommage du Conseil économique et social (qui se voit affubler d'un "et environnemental"), l'examen des propositions de lois par le Conseil d'Etat; la possibilité pour les présidents des assemblées d'opposer l'irrecevabilité à l'encontre des propositions de lois ou des amendements;
Le vrai problème, c'est ce qui manque au texte. Deux choses, notamment, qui auraient vraiment contribué à revaloriser le parlement : une voie constitutionnelle permettant une réforme d'envergure du Sénat, et une disposition interdisant le cumul des députés. Tant que l'exécutif n'a pas voulu céder sur l'un ou l'autre de ces points, la gauche avait raison, stratégiquement, de s'opposer au texte.
Parce que, et c'est là toute la différence avec le raisonnement qu'on pouvait tenir au moment du traité constitutionnel, le temps jouait pour la gauche. Qui va gagner une dizaine de sièges au Sénat après le renouvellement de septembre, rendant impossible de faire passer en Congrès un texte constitutionnel en comptant uniquement sur la discipline majoritaire et les sucreries distribuées aux habitants du marais parlementaire.
Comme il semblait acquis que Sarkozy n'aurait pas renoncé à une réforme constitutionnelle d'envergure dans le futur, un échec aujourd'hui l'aurait forcé à vraiment négocier avec l'opposition. En cédant sur des demandes fortes de la gauche. Il n'a pas voulu le faire ces dernières semaines. D'où la cadence imposée aux parlementaires pour terminer l'examen du texte avant la fin de la présente session. Et les épisodes peu glorieux du week-end dernier, seule stratégie possible pour gagner la bataille de Versailles sans céder un pouce au PS sur l'essentiel.
Conclusion : sur ce qu'elle permettra, la révision est plutôt une bonne nouvelle pour les institutions française. Sur ce qu'elle aurait pu être, c'est une vraie occasion manquée, qui ne reviendra pas de sitôt. Et la France est bien partie pour conserver longtemps deux traits qui la distinguent défavorablement parmi les démocraties modernes : une deuxième chambre structurellement acquise à un camp, et des députés qui sont, majoritairement, des élus locaux plutôt que des représentants du peuple.
Mis en ligne par Emmanuel à 00:29 | Lien permanent |