06 juillet 2007

Hate to say I told you so 

La cour d'appel de Paris a donc confirmé sur l'essentiel aujourd'hui la décision du 28 avril 2006 du Conseil des prud'hommes de Longjumeau (décision en ligne et en pdf sur le site des Echos), en jugeant le contrat nouvelle embauches contraite aux stipulations de la convention 158 de l'Organisation internationale du travail. Pour ceux qui me lisent, ce n'est pas vraiment une surprise. Comme je l'avais déjà relevé, il n'est pas contesté que le CNE déroge, pendant la période de consolidation de deux ans, à plusieurs des stipulations de la convention 158 de l'OIT. Le fonds du problème est de savoir si le CNE peut relever de la dérogation prévue à l'article 2.2 de la convention, qui permet d'exclure du bénéfice de tout ou partie de ses dispositions :
les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d'avance et qu'elle soit raisonnable
Les deux ans que durent la période de consolidation du CNE peuvent-ils être considérés comme une "durée raisonnable". Le Conseil d'Etat avait jugé, par une décision de section du 19 octobre 2005, que oui. La cour d'appel de Paris juge aujourd'hui, à raison selon moi, que non, en relevant notamment "qu'aucune législation de pays européens, comparables à la France, n'a retenu un délai aussi long".

Cinq remarques rapides :

1. La décision de la cour d'appel, à quelques obiter dicta près (cf infra), est beaucoup mieux rédigée et plus claire que le jugement du conseil des prud'hommes de Longjumeau. En particulier, la décision précise utilement, au vu des approximations des conseillers essonniens sur ce point, que "[la compétence de la cour pour statuer sur la conventionnalité de l'ordonnance] ne peut avoir pour effet d'exclure l'ordonnance en cause de l'ordre juridique interne, mais seulement d'en écarter, éventuellement, l'application à la présente instance".

2. Certains commentateurs du site du Monde et de Libération s'en prennent au "gauchisme" des juges de la chambre sociale de la Cour d'appel de Paris, accusés de tordre le droit international pour le conformer à leur idéologie. Et d'avancer que, par exemple, les employeurs britanniques peuvent parfaitement licencier leurs employés sans s'encombrer de leur envoyer une lettre de licenciement dûment motivée. Sauf que le Royaume-Uni n'est pas partie à la convention 158 de l'OIT. Sauf, aussi, que les salariés britanniques bénéficient, après une année d'ancienneté, d'une protection contre les licenciements abusifs qui est moins limitée qu'on ne le pense habituellement.

3. Les mêmes, et d'autres, mettent en doute cette affirmation des juges parisiens :
que dans la lutte contre le chômage, la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen au moins aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier et qu'il est pour le moins paradoxal d'encourager les embauches en facilitant les licenciements.
La cour aurait effectivement pu se passer de cette remarque, qui n'était en rien nécessaire pour arriver au terme de sa démonstration. Mais, faux "paradoxe" mis à part, elle n'est en rien économiquement absurde : les études à ce sujet montrent, contrairement à une idée beaucoup trop répandue, qu'il n'y a pas de corélation claire entre la législation sur le licenciement et le niveau de chômage. Pour une raison simple : faciliter les licenciement permet effectivement d'encourager les embauches. Mais aussi, logiquement, d'augmenter la fréquence des licenciements. L'effet global sur le taux de chômage est comme le notait l'OCDE dans son rapport 2004 sur l'emploi, ambigu.

4. La CGPME avance un argument plus juridique mais pas nécessairement plus décisif :
La Confédération générales des petites et moyennes entreprises (CGPME) a, quant à elle, tenu à «relativiser la portée de cette décision», et à «indiquer que le Conseil des Prud'hommes de Roubaix, en date du 25 juin 2007, a jugé le CNE conforme à la Convention 158 de l'OIT en s'appuyant sur son article 2.5 qui autorise des mesures particulières eu égard à la taille de l'entreprise».
Il serait utile d'obtenir une copie du jugement mais il semble bien que le Conseil des prud'hommes de Roubaix commet en l'espèce une erreur de droit. Voilà que ce stipule l'article 2.5 de la convention (mes italiques):
Pour autant qu'il soit nécessaire, des mesures pourront être prises par l'autorité compétente ou par l'organisme approprié dans un pays, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées, là où il en existe, afin d'exclure de l'application de la présente convention ou de certaines de ses dispositions d'autres catégories limitées de travailleurs salariés au sujet desquelles se posent des problèmes particuliers revêtant une certaine importance, eu égard aux conditions d'emploi particulières des travailleurs intéressés, à la taille de l'entreprise qui les emploie ou à sa nature.
Mais, comme le relève la cour d'appel pour répondre à une objection inverse, l'ordonnance du 2 août 2005 qui crée le CNE (à supposer qu'elle remplisse la condition de "consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées") définit des catégories d'employeurs qui peuvent recourir au CNE et pas des catégories de salariés. Encore moins des "catégories limitées". Notons d'ailleurs que, si cet article était opérant, le Conseil d'Etat n'aurait pas manqué d'y recourir en novembre 2005 plutôt que de passer par la tortueuse voie de l'article 2.2.

5. Comme on ne se lasse décidement pas de cette affaire, il ne fait guère de doute que le parquet se pourvoira en cassation contre cet arrêt. En attendant, on ne serait que trop conseiller aux employeurs voulant se séparer de salariés en pleine période de consolidation de prendre la précaution de convoquer à un entretien préalable (article 7 de la Convention de l'OIT) et/ou de s'assurer que le licenciement est bien fondé sur un "motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur" ou "sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service" (article 4). On ne sait jamais, des fois que les conseillers de la Chambre sociale décident de faire primer l'appel de leur gauche idéologie sur les exigences de la droite justice.

Add. (22h30) : je m'aperçois que Jules avait déjà commenté et critiqué la décision avant moi. Autant je partage son avis sur la surabondance des motifs économiques, autant je suis en désaccord avec son argument selon lequel il n'est pas certain que les dispositions en cause de la Convention (articles 4 et 7, pour ceux qui suivent) s'imposent au juge national. D'abord, parce qu'il semble raisonnable de considérer, comme le fait la cour, que ces articles "constituent des dispositions à caractère obligatoire et normatif dont la formulation [est] complète et précise" et qu'ils sont donc "directement applicables en droit français". Ensuite, parce que, si le Conseil d'Etat avait pu trouver une voie de sortie aussi simple en octobre 2005, il ne fait guère de doute qu'il s'y serait immédiatement engoufré. Encore une fois, tout tourne autour du caractère raisonnable ou non de la période de deux ans.

Re-add. (07/07) : juste pour enfoncer le clou, une petite citation choisie à propos de l'applicabilité directe des dispositions qui nous intéressent :
Les stipulations de la Convention n°158 de l'OIT [...] sont revêtues de l'effet direct, ainsi que cela résulte de l'arrêt du Conseil d'Etat du 19 octobre 2005 en ce qui concerne l'article 4 et 7
Et c'est signé de l'alors procureur général près la Cour d'appel de Paris Yves Bot, dans ses conclusions du 22 septembre 2006 sur le déclinatoire de compétence déposé par le préfet de l'Essonne (voir le pdf sur le site de l'avocat qui représente la plaignante dans l'affaire qui avait donné lieu au jugement du conseil des prud'hommes de Longjumeau). Je pense que cela devrait suffire à convaincre Jules et Somni.