14 décembre 2006

Défense exceptionnelle (et partielle) de Jean-François Copé 

Vu tout le bien que j'ai pu dire du ministre du budget sur ce blog on aurait pu penser que j'allais approuver sans réserves la sortie de Versac contre une déclaration de Jean-François Copé ce midi sur BFM[*] :
[F]ace à Hedwige Chevrillon et Ruth Elkrief, notre ministre du budget a asséné qu'il était un ministre heureux, car présentant pour la première fois un budget avec une réduction des dépenses de l'Etat.

C'est totalement faux. C'est tout. Rien d'autre à dire. Le PLF prévoit une croissance de 1,4% des dépenses. Certes, leur part dans le PIB devrait décroître (comme en 2006), en passant à 52,9% du PIB. Mais les dépenses vont continuer à augmenter.
En fait, il y a beaucoup d'autres choses à dire.

La suite, vite!
D'abord, le chiffre de progression de 1,4% des dépenses pour 2007 que cite Nicolas concerne l'ensemble des administrations publiques, c'est-à-dire principalement[**] l'Etat, les collectivités territoriales et les administrations de sécurité sociale. Les prévisions annexées au PLF 2007 prévoient ainsi une augmentation des dépenses des collectivités locales de 3,1%, alors que les dépenses de sécurité sociale augmenteraient, elles, de 1,2 %. Dans le même temps, les dépenses de l'Etat stricto sensu baisseraient de 1,0% (pdf - p 59). Copé a donc totalement raison sur ce point.

Avec deux réserves néanmoins. D'une part, les chiffres cités dans le paragraphe précédent sont en volume, c'est-à-dire une fois corrigés de l'inflation. C'est évidemment une correction nécessaire pour comparer les dépenses publiques d'une année sur l'autre : pour produire des services publics, l'Etat consomme des biens (les Saint-Jacques poëllées servies aux journalistes) et services (le transport aérien qui permet de renvoyer les clandestins dans leur pays d'origine) dont le prix est susceptible d'augmenter. Et ces ingrats de fonctionnaires ont une méchante tendance à demander des augmentations de salaires pour compenser la perte de pouvoir d'achat due à l'inflation. Résultat : en 2007, selon le PLF, les dépenses de l'Etat augmenteront de 0,8% en valeur. Mais comme la prévision d'inflation est de 1,8%, on retombe sur la baisse de 1% en volume après un calcul simple (mais plus compliqué qu'une simple soustraction).

D'autre part, on peut raisonnablement penser que la baisse en volume des dépenses publiques prévues en 2007 est, au moins partiellement, moins un indice de la bonne gestion des finances publiques par le gouvernement qu'un signe de sa bonne maîtrise de la prestidigitation budgétaire. Il existe en effet plusieurs méthodes pour faire baisser les dépenses en obtenant un effet budgétaire peu ou prou équivalent :
  • La principale consiste à transformer des dépenses en baisses de recettes : par exemple, on remplace une subvention pour l'achat d'un véhicule propre par un crédit d'impôt. Cela ne change rien au solde du budget, mais cela permet de baisser simultanément les dépenses et les recettes. Cette technique, et ses multiples variantes, ont été particulièrement utilisées par la droite depuis 2002 : la Cour des comptes s'est amusée en juin dernier à comparer l'évolution des dépenses nettes (celles qui font référence dans le débat public) et celle du total des dépenses brutes (qui incluent principalement les dégrèvements et remboursements d'impôts) et des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales (transferts qui, comme leur nom l'indique, sont présentés sous forme de diminution des recettes brutes et non comme des dépenses). La divergence est très nette (pdf - p 27).



  • Il est aussi toujours possible de transférer des missions, et les dépenses qui vont avec, à d'autres personnes publiques, tout en leur transférant aussi des recettes (par exemple en leur reversant une fraction de tel ou tel impôt). Ce changement de périmètre est normalement pris en compte pour calculer l'évolution des dépenses de l'Etat, de façon à ce qu'on puisse comparer ce qui est effectivement comparable. Mais, là encore, la Cour des comptes a relevé que l'Etat avait une fâcheuse habitude à ne pas inclure dans le calcul du changement du périmètre certains transferts qui y avaient logiquement leur place. Si l'on répare cet oubli sûrement involontaire, les dépenses en valeur de l'Etat auraient augmenté de 2,3% au lieu des 1,8% annoncé en 2005 (re-pdf, pp. 28 et 29)
  • Une technique encore plus génialement complexe consiste à diminuer des recettes futures (au-delà de l'exercice budgétaire à venir) pour financer une dépense courante. C'est le cas dans le budget 2007, grâce au bonneteau organisé par l'article 31. Il se trouve que l'Etat détient depuis 2001 une grosse créance sur l'Unedic qui n'avait jamais été exigée devant l'état des comptes de l'assurance chômage et les protestations des partenaires sociaux. Un arrangement a enfin été trouvé récemment, qui ramène le montant de la créance de 1,22 à 0,77 milliards d'euros, ne la rend exigible qu'à partir de 2011 et la transfère aussitôt au Fonds de solidarité, un établissement public chargé depuis 1982 du financement des prestations non-contributives du régime d'assurance chômage. Il va de soi que le Fonds ne va pas se faire prier pour refinancer immédiatement cette créance auprès d'établissements de crédit. Et ainsi permettre à l'Etat de diminuer de 650 millions d'euros en 2007 la subvention qu'il verse au Fonds pour équilibrer ses comptes (pour une présentation plus en détail, voir le rapport sénatorial de Philippe Marini, qui a étrangement tu toutes ses réserves en séance). Résultat des courses pour le budget de l'Etat : une baisse des dépenses sans toucher aux recettes de 2007, ce qui permet une diminution du déficit. Le soin d'augmenter brutalement la subvention de l'Etat au Fonds de solidarité à partir de 2008 étant laissé à ceux qui auront la malchance de se trouver au gouvernement à cette date.
Une fois pris en compte ces différents éléments, quelle est alors la véritable hausse des dépenses de l'Etat pour 2007? Le rapporteur UMP Gilles Carez parlait de 1,7% en valeur, soit très au-dessus du chiffre du gouvernement (0,8%) mais un chouia moins que l'inflation. Le "porte-parole budgétaire" de l'UDF, le député Charles de Courson faisait lui état d'une hausse de 3% en valeur. Personne ne sera surpris d'apprendre que je juge
plus crédible l'estimation du second.

Une chose est sûre, en tout cas : Copé n'a pas menti ce midi sur BFM. Il n'en avait pas besoin. Parce que, en matière budgétaire, le maquillage des comptes est beaucoup plus payant que le mensonge pur et simple.

[*] On aurait surtout pu penser que je garderais un silence assourdissant, au vu du rythme quasi-fafbloguien de ma production récente. Mais parfois, les éléments se liguent pour vous faire profiter en même temps de beaucoup de temps libre et d'un ordinateur portable qui fonctionne. Profitons-en.

[**] Je laisse de côté ici les organismes divers d'administration centrale dont la description compliquerait inutilement le tableau. Les lecteurs que cette note n'aurait pas dégoûtés à jamais des finances publique et cherchant une présentation rapide à ce sujet peuvent consulter cette utile page officielle.