01 avril 2005

Un an 

J'ai commencé à bloguer il y a un an aujourd'hui, au milieu de la nuit.

Sans m'apercevoir que nous étions le premier avril. Et avec une première note qui donnait, rétrospectivement, plutôt bien le ton de la suite : un mélange assez improbable de droit constitutionnel, de sarcasme et de blagues à 30 centimes d'euros.

Il y avait longtemps que je voulais ouvrir un blog. Depuis que j'avais découvert, en 2002, la blogosphère américaine. Le premier blog que j'ai visité a été celui d'Andrew Sullivan, au moment de la polémique autour des liens de Paul Krugman avec Enron. J'avais trouvé l'outil aussi ridicule (des textes de quatre lignes toutes les demi-heures? sur les moindres développements de l'actualité? encore un gars qui n'a rien à foutre de ses journées!) que les assertions surexcitées de l'auteur. Fin du premier épisode.

Et puis, à l'été 2002, je suis tombé sur le site de Brad DeLong, et le blog dudit. Et ça m'a fait le même effet que pour un gamin qui débarque dans un magasin de jouets. En remplaçant le gosse par un geek passionné d'économie et les jouets par des commentaires bien techniques comme il faut sur les chiffres du PIB américain ou les leçons à tirer de la crise argentine.

Au commencement, donc, était Brad DeLong. C'est en suivant ses liens que j'ai découvert Josh Marshall, et Atrios, et Kevin Drum, et Matt Yglesias. Puis Henry Farrell, Daniel Drezner ou Mark Kleiman. Uniquement des blogs américains. Qui me donnait foutrement envie de faire la même chose, à mon petit niveau, sur l'actualité française, ou au moins sur l'actualité en français.

Plusieurs fois, donc, j'ai sondé rapidement l'Internet francophone pour voir s'il existait aussi des blogs politiques en France. Je n'ai jamais trouvé grand chose, à part les élucubrations d'excités francophobes ou les tirades ifrapistes du clan des madelino-libertariens . Un autre que moi aurait justement pu se dire qu'il y avait une niche, un boulevard, une forêt vierge à défricher. Je me suis dit, au contraire, en bon keynésien, que l'absence d'offre venait du déficit de demande et qu'il n'y avait pas de place, en France, pour ce qui se faisait aux Etats-Unis. Jusqu'à ce que je tombe sur le blog, alors en version Blogger, de Versac. Qui avait l'air de se foutre complètement du fait que l'Internet francophone était une terre inhospitalière aux discours politiques mesurés et rationnels. Et qui, du coup, m'a donné furieusement envie de passer outre mes instincts velléitaires, à l'acte et par un zeugma pour construire cette phrase.

Ainsi donc, un jour, il y a un an, parce que j'avais trouvé un titre de blog et que j'avais deux ou trois choses à dire, je me suis lancé. Pour voir. En me disant que, évidemment, ça n'engage rien. Qu'on va faire joujou avec l'outil pendant quelques jours. Que personne ne le remarquera, de toute façon. Et, d'ailleurs, c'était bien mon intention, au départ. D'abord, se rôder. Eventuellement, au bout de quelques semaines, le faire lire par quelques personnes de confiance, pour voir ce qu'ils en pensent. Il serait toujours temps, après, d'enlever les petites roues, de se lancer dans le grand bain et d'arrêter de mélanger les métaphores au mépris de la cohérence du style.

Technorati en a décidé autrement. Phersu, d'abord, est tombé sur moi (et je suis, du coup, aussi tombé sur Phersu). Et puis, quelques jours après, par un concours de circonstances assez incroyable, j'ai reçu un lien de Matthew Yglesias - qui représentait déjà, à l'époque, un de mes maîtres à bloguer (avec Kevin Drum et Billmon), le genre de commentateur que j'aurais voulu être si j'étais 10 fois plus intelligent, que j'écrivais 20 fois plus vite et que la présence ou pas de grossières fautes d'orthographes dans mes notes me laissait totalement indifférent. Avec les premiers liens sont venus les premiers visiteurs réguliers. Autant dire que le plan "profil bas" avait fait long feu. Car, une fois que les lecteurs arrivent, toute résistance devient futile. Surtout quand on se décide à installer un compteur en bonne et due forme (au début, je me servais de l'antédiluvien et désormais défunt outil de stats de Blogger) et un système de commentaires.

Les choses, depuis, se sont enchaînées (voir le graphique ci-dessous, que je place bien entendu uniquement pour égayer ce long tunnel de texte).



Au vu de ma tenace et douloureuse difficulté à écrire, j'ai beaucoup écrit, au cours de cette première année. Des notes qui m'ont pris des heures de recherche et d'écriture dont je reste, à la relecture, plutôt fier. D'autres qui étaient franchement médiocres. Une grosse majorité qui étaient moyennement drôles, ou moyennement fines, et qui ont été emportées par le flot de l'actualité. Certaines, écrites sous le coup de la colère ou de l'indignation, que je n'ai pas publiées, et c'est tant mieux. D'autres que je n'ai jamais finies, et c'est tant pis. Certaines, enfin, que j'ai promises, et que je n'ai pas oubliées.

Je suis fier d'avoir parlé du Darfour, au début. Je m'en veux d'avoir abandonné le sujet, après. Je continue à avoir une certaine tendresse pour ces rares notes qui ressemblent plus à ce que j'écrivais avant, quand les journaux étaient encore offline. Je n'ai pas assez parlé de l'Allemagne, alors que mon allemand en aurait bien besoin. J'ai très peu écrit sur moi, pour des raisons qui m'appartiennent. Je n'ai fait qu'une seule critique de film, alors que j'aurais pensé, a priori, qu'un blog me servirait d'abord à ça. J'ai bafoué allégrement, et heureusement, le cadre très restrictif d'un sous-titre trouvé à la va-vite, pour les besoins de l'inscription sur Blogger.

J'ai eu la chance, surtout, de trouver un public ou, plutôt, qu'un public me trouve, qu'il revienne, qu'il commente et qu'il critique. La chance aussi de découvrir des blogueurs francophones que je trouve constamment (d'accord, presque constamment) infiniment plus brillants et mieux inspirés que moi. La chance d'en avoir rencontré certains et de correspondre avec d'autres. D'avoir lancé avec quelques-uns un blog collectif qui va nous prendre, collectivement, pas mal de temps au cours des prochaines semaines.

Le premier objectif de ce blog était, pour reprendre une formule de David Adesnik (de Oxblog), de m'instruire et, éventuellemment, d'essayer d'instruire les autres. Je ne saurais évidemment juger de la réussite du second objectif. Mais le premier est largement atteint. Je le dois à ce qui me lisent et qui me forcent, par leur pression invisible mais bien réelle, à écrire le moins de conneries possibles (mais pas à renoncer au second degré). A ceux qui commentent, pour approuver, critiquer, objecter, râler quand il le faut. A ceux que je lis, désormais, et que je n'aurais jamais lu si je n'avais pas ouvert ce blog.

Initialement, je devais conclure cette note en profitant de la conjonction entre l'anniversaire du blog et le premier jour du mois d'avril pour ressortir le coup de la note bien égotiste (ça, c'est fait) ponctuée, sans qu'on la sente venir, d'une phrase lapidaire sur la fin de l'aventure. Histoire de jouer sur l'ambiguïté de la date et de délier les claviers des lecteurs. Mais Versac a déjà usé de la manoeuvre avant l'heure, et il serait un peu lourdingue de l'utiliser une nouvelle fois ici.

Je continue, donc. Au même rythme, au moins dans l'immédiat. Avec les mêmes défauts. En ne sachant pas très bien encore où tout cela va me mener, ni même si cela doit forcément me mener quelque part. Mais en appréciant toujours autant le voyage, conscient de tout ce que ce modeste carnet m'a apporté, depuis déjà un an.