17 mai 2005

Où je désamorce une bombe à retardement 

L'un des problèmes du Monde est que les "éditorialiste associés" - les Daniel Cohen, Jean-Paul Fitoussi, Jean-Paul Casanova ou Jérôme Jaffré- sont le plus souvent bien meilleurs que les chroniqueurs réguliers (à part Daniel Vernet et, une fois sur trois, Eric le Boucher). Sûrement, comme le prouve la jurisprudence Krugman, parce qu'il est plus facile d'écrire un long et bon papier une fois par mois qu'une bonne et plus courte chronique chaque semaine ou chaque jour.

Et, de fait, la chronique du jour de Jérôme Jaffré, consacrée aux conséquences du référendum sur la trajectoire chiraquienne, est vraiment bien foutue. Assez jouissive aussi, quand il écrit, après avoir rappelé la trahison de 1981 et la dissolution manquée de 1997 :
Il est vrai que le talent politique de Jacques Chirac est de ne jamais subir les conséquences des risques maximums qu'il prend. Loin de lui être reprochée par l'électorat de droite, la défaite de M. Giscard d'Estaing en 1981 fait aussitôt de lui le chef de l'opposition et lui ouvre les portes de l'hôtel Matignon en 1986. La dissolution perdue de 1997 le maintient chef de la droite et ne l'empêche pas d'être réélu président en 2002.

Mieux, Jacques Chirac réussit à obtenir le concours de ses concurrents trahis ou de ses adversaires malheureux pour l'aider à réparer ses propres erreurs. On se souvient qu'en 1995, dans son duel contre Edouard Balladur, il avait bénéficié de l'aide de MM. Giscard d'Estaing, Barre et Chaban-Delmas, sans doute inquiets de voir le premier ministre d'alors réussir là où eux-mêmes avaient échoué... Après la dissolution perdue, il a bénéficié du soutien de M. Balladur et de ses amis, ce qui l'a aidé à se maintenir en chef de la droite puis à se placer en tête au premier tour de la présidentielle de 2002.

Le moindre des mérites de Jaffré (tout "fat, imbécile et prétentieux" qu'il est) n'est pas d'évoquer aussi en conclusion un important problème constitutionnel qui m'avait beaucoup (trop) occupé en janvier dernier :
Au surplus, une bombe à retardement est laissée aux successeurs avec l'inscription dans la Constitution française de référendums obligatoires pour tout nouvel élargissement.
En fait, ce n'est pas tout à fait vrai et cela va me donner l'occasion de recycler la note que j'avais écrite mais pas publiée la semaine dernière. Comme je le notais en passant en février dernier, il existe une porte de sortie assez ingénieuse et parfaitement légale pour éviter d'organiser un référendum à propos d'adhésions consensuelles (par exemple la Suisse ou la Norvège).

Que dit en effet l'article 88.5 de la Constitution, ajouté par la révision constitutionnelle? Ceci :
Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République.
Rien qui ne vous semble étrange? Je répète, donc :
Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République.
Et oui. L'obligation ne concerne que les projets de loi, déposés par le gouvernement. Et pas du tout les propositions de loi, déposés par les parlementaires. Ce qui laisse ouverte l'examen et l'adoption par le parlement d'une proposition de loi visant à autoriser la ratification d'un traité d'adhésion.

Une telle procédure est-elle orthodoxe? Non, parce que la diplomatie est du ressort de l'exécutif et que c'est en principe toujours lui qui enclenche la procédure d'autorisation de ratification devant le Parlement.

Est-elle légale? Oui : plusieurs propositions de la loi visant à autoriser la ratification du traité de Rome portant création de la Cour pénale internationale avaient été déposées et acceptées par le Président de l'Assemblée nationale en décembre 1998. Comme le rappellait le sénateur Patrice Gélard (une vieille connaissance) dans son rapport à propos du projet de loi constitutionnelle adopté en février dernier, il existe même un cas où l'autorisation de ratification d'un accord international a été accordée par le truchement d'un amendement parlementaire :
Fruit d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Charles de Courson, l'article 5 de la loi n° 2003-698 du 30 juillet 2003 relative à la chasse, a autorisé la ratification de l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie (ensemble trois annexes), ouvert à la signature à La Haye le 15 août 1996.
La prohibition de la ratification des futurs traités d'adhésion à l'UE par référendum n'est donc, pour reprendre une expression qu'affectionnent les juristes, "ni générale, ni absolue". Ni générale, parce qu'elle ne concerne pas, comme on le sait, les adhésions de la Roumanie, de la Bulgarie et la Croatie. Ni absolue parce qu'elle est contournable pour peu que le gouvernement, l'Assemblée nationale, le Sénat et le Président de la République se mettent d'accord pour privilégier la voie parlementaire.

Il fallait le répéter. Sauf, évidemment, à Aignan et à Villiers.