30 avril 2004

La tactique de l'ex-premier flic de France 

Je me demande si Nicolas Sarkozy n'a pas trop regardé Fox News au cours de son récent voyage aux Etats-Unis (je souligne) :
CHINON, Indre-et-Loire (Reuters) - Nicolas Sarkozy a rejeté jeudi les accusations de dérapage lancées par la gauche après ses propos mercredi à l'Assemblée sur la progression de l'antisémitisme en France pendant les années Jospin.

Il a déploré à ce sujet que la politique française souffre d'"un discours convenu" et a promis de lui apporter "un peu d'authenticité".

"C'était des déclarations pensées, équilibrées et justes", a déclaré le ministre de l'Economie et des Finances en marge d'une visite à la centrale nucléaire de Chinon (Indre-et-Loire).

"Ce que j'ai dit était à la fois raisonnable et responsable. Personne ne peut pointer le moindre dérapage que ce soit, c'est la description d'une vérité", a ajouté Nicolas Sarkozy.
Il y a une part de ces propos qui est exacte : les déclarations de mercredi à l'Assemblée étaient parfaitement "pensées". Rien à voir avec un dérapage sous le coup de l'énervement ou de l'euphorie, comme peut le faire Raffarin ou pouvait le faire Jospin.

Evidemment, ce genre de discours et les non-excuses subséquentes énervent prodigieusement les socialistes, exactement comme le slogan "fair et balanced" rend verts de rage les libéraux américains. Mais il ne me semble pas que ce soit l'objectif principal de la manoeuvre. Le but premier est de se faire ovationner par des députés UMP de plus en plus vindicatifs contre Chirac et Raffarin. Ca pourra toujours servir en novembre prochain.

29 avril 2004

Retour au Soudan 


Voilà plusieurs jours que j'avais l'intention d'écrire sur l'évolution de la situation au Darfour, histoire de ne pas succomber à l'indifférence générale que je dénonçais début avril. Je m'aperçois que Versac* l'a fait hier, en critiquant justement l'attitude de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, qui ne sert ni les droits de homme, ni l'image des Nations Unies.

Je me permets de rajouter quelques éléments d'information :


  • La bonne nouvelle est que la presse s'est enfin bougée au cours de la semaine : un double éditorial dans le Washington Post de lundi, un reportage multimédia par Nicholas Kristof -qui a eu le grand mérite d'attirer l'attention sur le Soudan il y a deux mois- dans le dernier New York Times Magazine et un deuxième éditorial (archivé) du Monde sur la question le week-end dernier.

  • La mauvaise est que le cessez-feu conclu il y a trois semaines semble allégremment violé par les milices soutenues par Khartoum.

  • Un autre signe inquiétant, comme le remarque Nicolas, est l'attitude mollassone de la France sur le dossier : rien depuis le voyage de Muselier de début avril et surtout des propos publics complétement lénifiants :
    Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes - [...] La situation dans le Darfour nous préoccupe gravement, d'une part parce qu'il s'agit d'une terrible crise humanitaire, d'autre part parce qu'elle menace la stabilité de toute une région. C'est pourquoi M. de Villepin s'était rendu au Tchad et au Soudan en février dernier. Et la France a fortement soutenu, avec ses partenaires européens, la médiation du président Deby dans les pourparlers de paix qui ont abouti, le 8 avril dernier, à N'Djamena, à la conclusion d'un accord de cessez-le-feu humanitaire entre le gouvernement soudanais et les rebelles. Mais nous devons rester vigilants, car cet accord doit être confirmé sur le terrain.

    Plusieurs missions humanitaires internationales se trouvent actuellement au Darfour. Il faut nous assurer qu'elles ont la possibilité de travailler.

    La situation au Soudan a été évoquée à la commission des droits de l'homme de l'ONU et a donné lieu à une longue concertation entre l'Union européenne et le groupe africain, laquelle a permis un accord sur un mécanisme concret de surveillance de la situation des droits de l'homme. C'est un progrès, qui répond en partie aux préoccupations exprimées par le secrétaire général des Nations unies. La communauté internationale doit maintenant soutenir ce mécanisme de suivi du cessez-le feu, que l'Union africaine doit mettre en place, et bien sûr ne pas abandonner.
    Etait-ce trop demander à Mme Haigneré que de préciser clairement que le cessez-le-feu n'est pas respecté et que la France aurait souhaité que la CDH condamne plus explicitement l'action du gouvernement soudanais?
Je note enfin qu'Human Rights Watch a sorti au début du mois un volumineux rapport sur le sujet. Et que le peu que j'en ai lu pour l'instant fait froid dans le dos.

*Oui, d'ailleurs : pourquoi cet astérisque? Et pourquoi versac? J'ai eu beau chercher dans les archives, je n'ai pas trouvé d'explication. A part une référence tronquée à George Baker Selection, je ne vois pas.

28 avril 2004

Juste et équilibré 

A new poll shows that 57 percent of Americans believe that Saddam Hussein gave "substantial support" to al-Qaeda before the war with Iraq, despite a lack of evidence of that relationship.

In addition, 45 percent of Americans have the impression that "clear evidence" was found that Iraq worked closely with Osama bin Laden's terrorist network. Thirty-eight percent believe that before the war Iraq had weapons of mass destruction, and 22 percent believe he had a major program for developing them.

Philadelphia Inquirer, 23/04/2004

Plus de 8 Français sur dix (81%) font "plutôt confiance" au Parti socialiste pour être proche des préoccupations des Français", selon un sondage Ipsos pour Le Point et LCI rendu public mercredi.

Ils sont aussi une très large majorité (71%) à penser que le PS est capable de "bâtir un programme de gouvernement crédible". Un sur deux (50%) estime que le PS est en mesure d'"éviter à l'intérieur du parti une guerre des chefs".

Agence France Presse, 28/04/2004
"Rendre Perben caduc" 

C'est la suggestion qu'a assénée ce midi sur BFM Daniel Cohn-Bendit à une Valérie Lecasble un rien estomaquée. Malgré tout le respect que je dois au député vert-rouge pour son activisme européen, la formule me semble un peu excessive. Mais il est vrai que l'interview donnée au Figaro du jour par Dominique Perben est un tel entrelacs de mauvaise foi et d'arrogance que le bouillonnement de rage cohn-benditien apparaît presque rationnel.

Pour ceux qui débarquent, je résume l'affaire : Noël Mamère s'est mis en tête de célébrer un mariage homosexuel dans sa bonne ville de Bègles en juin prochain, arguant que le Code civil ne s'y oppose pas explicitement et cherchant à forcer les cours nationales à statuer sur la question. On peut trouver que c'est un coup de pub à peu de frais ou l'occasion d'ouvrir un vrai débat sur une question majeure. Que la perspective d'un mariage civil pour les homosexuels est révoltante ou réjouissante. Que réserver le mariage aux seuls époux de sexes opposés est une évidence qui s'impose par elle-même ou une inégalité qu'il faut corriger. Très bien. Je suis d'autant plus près à avoir un débat serein (toute once d'homophobie primaire est évidemment à proscrire) sur la question que mon avis est loin d'être fait. Je rappelle juste à mes amis libéraux conséquents que The Economist a déjà rendu son jugement, et qu'il est donc dangereux pour eux de trop s'en écarter.

Mais ce qu'on ne peut pas, ce que n'on ne doit pas faire quand on est ministre de la Justice c'est flatter les bas instincts réactionnaires de l'électorat UMP en outrepassant son pouvoir et en étalant aux yeux du public une méconnaissance inquiétante des matières juridiques sur lesquelles on s'exprime.

Que nous dit en effet Perben, interrogé par Le Figaro?
  • Premièrement, que le "mariage [homosexuel célébré par Noël Mamère] sera purement et simplement nul, car contraire à l'état du droit", et que "prétendre que la différence de sexe entre les conjoints n'est pas inscrite dans le Code civil est [...] un mensonge". Qu'en conséquence Mamère sera sévèrement cassé, puis puni par les tribunaux adéquats.

  • Deuxièmement, que, saisie de l'affaire, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH pour les intimes), rejetterait la requête car l'article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précise : "A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit".
Laissons pour la fin la question épineuse de savoir ce que dit le Code civil et arrêtons-nous sur les deux autres assertions, l'une dangereuse, l'autre trompeuse, de Perben.
  • Dangereuse d'abord l'affirmation selon laquelle l'acte de mariage que délivrera le maire de Bègles sera illégal, dans la mesure où il ne me semble pas qu'il entre dans les attributions du garde des Sceaux de préjuger publiquement d'un jugement qui aura à être rendu par des magistrats indépendants.

  • Trompeuse ensuite la référence à l'article 12 de la CESDHLF pour étayer sa thèse. Car l'article 12 vaut tel qu'interprété par la CEDH et il se trouve que la Cour de Strasbourg a opéré un revirement de jurisprudence notable en juillet 2002 sur une question différente mais pas sans implication pour le cas qui nous occupe :
    La Cour rappelle que dans les affaires Rees, Cossey, et Sheffield et Horsham, l'impossibilité pour les requérants transsexuels d'épouser une personne du sexe opposé à leur nouveau sexe fut jugée non contraire à l'article 12 de la Convention. (…).
    Réexaminant la situation en 2002, la Cour observe que par l'article 12 se trouve garanti le droit fondamental, pour un homme et une femme, de se marier et de fonder une famille. Toutefois, le second aspect n'est pas une condition du premier, et l'incapacité pour un couple de concevoir ou d'élever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit visé par la première branche de la disposition en cause."

    (Arrêt Christine Goodwin c/ R.-U. du 11 juillet 2002 - c'est moi qui souligne)
Le Figaro faisant bien les choses, les lecteurs qui n'auraient pas été totalement convaincus par les arguments perbeniens peuvent se retourner vers ceux de "Françoise Dekeuwer-Défossez, professeur de droit à Lille et spécialiste du droit de la famille". Qui confirme que le texte du Code civil est très clair et cite pour le prouver deux références au couple "mari et femme" (articles 75 et 108). Je note qu'elle ajoute ensuite qu'on "pourrait multiplier les exemples" : invitation gratuite, puisque que ce sont les deux seuls. Enfin, elle nous assure également, quoi qu'avec plus de circonspection que Perben, que la Cour de Strasbourg rejetterait une requête dans l'affaire Mamère.

En relisant bien l'interview, on s'aperçoit cependant d'un phénomène étrange : interrogée sur le "mariage", notre professeur de droit n'arrête pas de répondre "adoption" et "intérêt de l'enfant". Ce qui est évidemment très intéressant, et fondé juridiquement, mais nous éloigne un peu de notre cas, dans la mesure où -je me répète-"l'incapacité pour un couple de concevoir ou d'élever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit [de se marier]". Comme le dit fort bien par ailleurs Mme Dekeuwer-Défossez "la Cour européenne des droits de l'homme n'a jamais été saisie de la question du mariage homosexuel".

Le sens d'une décision de la CEDH sur ces questions n'est donc pas a priori prévisible. Et la tendance de la Cour à interpréter de manière large les articles de la Convention rend la probabilité d'une condamnation de la France pour discrimination non nulle. Ce qui suffit à rendre largement discutable le pronostic péremptoire de Perben sur la décision des juges européens.

Mais ce qui rend définitivement risible tout son argumentaire est la lecture d'un vieux rapport d'information de la commission des Lois du Sénat concernant la proposition de loi relative au Pacte civil de solidarité (session 1998-1999). A l'époque, la droite quasi-unanime (bravo Roselyne, tu as au moins fait une chose de grand dans ta vie politique) criait à l'assassinat de la civilisation dans l'hémicycle et défilait dans les rues de Paris aux côtés d'éléments réclamant le rôtissage à petit feu des "pédés". Le PACS était alors considéré comme la porte ouverte à toutes les perversions futures et le rapporteur Patrice Gélard notait avec effroi que :
Le code civil ne contient aucune définition du mariage. Plus curieux, il n'y est nulle part explicitement précisé qu'il concerne un homme et une femme.
Je note avec une certaine délectation que le sénateur Gélard est aussi le doyen Gélard, professeur émérite de l'université du Havre et spécialiste reconnu du droit constitutionnel.

27 avril 2004

Irak 2.0 

Le nouveau drapeau irakien, dévoilé lundi par le Conseil intérimaire de gouvernement, suscite déjà la polémique. Est-il juste vraiment moche? Ou aussi symboliquement -donc politiquement- très maladroit? Ou les deux?



Addendum : Dans un souci d'impartialité, je note que le drapeau est censé présenter :
sur fond blanc dans la partie inférieure, deux lignes parallèles de couleur bleue représentant les deux fleuves [le Tigre et l'Euphrate]. Entre les deux, une bande jaune symbolise la communauté kurde. Un croissant bleu représente l'islam.
Mouais. Tout ça sent le compromis politique mesquin, où l'envie de satisfaire un peu tout le monde conduit à un résultat final franchement médiocre. A tout prendre, je préfère la version poétique du FDP de Washington, pour qui le drapeau évoque une "lune bleue dans le ciel de Suède".

26 avril 2004

Blogroll mode d'emploi 

Les forces maléfiques de la procrastination ont été vaincues! J'ai enfin complété le blogroll et ajouté un contact mail, ce qui va me permettre de tester le service de messagerie de Google. Si quelqu'un m'écrit, en tout cas. En attendant, quelques mots d'explication sur les mystérieuses catégories qui ornent la partie droite de cette page :
  • Mangeurs de fromage : des blogs bien de chez nous, en français et par des Français. Le titre parle de lui-même, mais c'est surtout une référence au fameux "cheese-eating surrender monkeys", expression issue d'un épisode des Simpsons et ressortie à l'hiver 2003 par les conservateurs américains (plus précisement par l'infâme Jonah Goldberg, de la National Review Online). J'avais d'abord pensé à intituler la catégorie "singes capitulards" : c'eut été plus piquant, mais je doute que la majorité des lecteurs aurait goûté l'ironie de la référence.

  • Buveurs de latte : des blogs américains gauchisants, dans le ton ou dans les idées. Le titre fait référence à un spot TV de l'ultralibéral Club for Growth qui assimilait en janvier dernier l'électorat d'Howard Dean à un "tax hiking, government-expanding, latte-drinking, sushi-eating, volvo-driving, New York Times-reading, body-piercing, Hollywood-loving, left-wing freak show".

  • Sociaux-libéraux : des blogs américains au centre gauche, tendance DLC. En France, le terme dénote l'odieuse compromission de la deuxième gauche (Rocard hier, DSK ou Fabius maintenant) avec le capitalisme - je note avec un certain regret que le plus explicite "social-traître" est complètement passé de mode. Aux Etats-Unis, la ligne de partage est aujourd'hui peut-être plus sur les questions de politique étrangère : Matthew Yglesias, Kevin Drum et Josh Marshall ont été brièvement partisans de la guerre en Irak avant mars 2003, Mark Kleiman l'est toujours.

  • Bushistes modérés : des bloggeurs conservateurs ou libertariens qui savent être ouverts d'esprit et prêts à critiquer leur camp. Je sais, le cas d'Andrew Sullivan est discutable, mais ses doutes actuels semblent sincères. Cela dit, la question qui tue demeure : peut-on être bushiste et modéré? J'ai tendance à croire que la position est intenable sur le long terme tant l'administration Bush a : piétiné les valeurs des républicains variante Bush père (équilibre des finances publiques, politique étrangère réaliste) ; pris les libertariens à contre-pied avec la restriction des libertés et l'explosion des dépenses publiques ; complètement foutu en l'air un projet irakien cher aux partisans de la promotion agressive de la démocratie. D'où l'ironie à peine voilée du titre, qui rappelle des expressions comme "islamiste modéré" ou "taliban modéré".

  • Scientifiques lugubres : des blogs d'économistes, en référence à la célèbre formule de l'historien écossais Thomas Carlyle qui avait abaissé l'économie au rang de "dismal science".
Il ne me reste plus désormais qu'à trouver une formule potable pour classer les inclassables indispensables, comme Informed Comment, le blog de l'historien Juan Cole sur les questions irakiennes, ou le blog doublement communautaire Fistful of Euros. Ce sera pour une autre fois. Ce qui est la preuve que la procrastination finit toujours par reprendre le dessus.

24 avril 2004

Fondapolgate? 

Versac décide d'explorer les dessous du nouveau joujou de Jérôme Monod, "l'Association pour la fondation pour l'innovation politique". Et se pose la question inévitable : mais comment fait la bande à Juppé pour accoucher de noms aussi ridicules? Hum, non. En fait, Nicolas s'interroge sur le financement des actifs immobiliers de la Fondation :
La fondation dispose de magnifiques locaux : [un] superbe immeuble datant des années 30, sur le quai d'Orsay. Celà m'a amené à me demander : mais qui finance ? [...]

Dans les statuts, il est expliqué que la fondation pour l'innovation politique a touché 750 K€ de ... l'association pour la fondation de l'innovation politique. Soit. Mais qui finance l'association ? Une fondation ? La fondation doit vivre des subventions, revenus de ce fonds de 750K€, et publications... Imaginons le loyer de ces locaux. Imaginos qu'ils ont au moins 1.000 m², à en juger par les photos, estmamation basse : 30 € par mois le m² (sauf si de sombres histoires de mairie de Paris se cachent derrière tout ça) coûte grosso modo : 360 K€ !

Comment fait la fondation pour se les payer ? Avec les intérêts à, disons 4%, de 750 K€, soit 30 K€ ? Ou bien, elle est propriétaire. Et elle a acheté ces 1.000 m² ave cses 750 K€ (bonne affaire, non ?).
Comme cette histoire m'intrigue et que j'ai du temps à perdre mettre à profit, j'ai évidemment cherché à creuser le sujet. Et il s'avère qu'un peu de googling bête et méchant permet de se faire une meilleure idée de la situation :
  • L'immeuble sis au 53 quai d'Orsay, a été vendu en mai 2003 par le promoteur britannique Hammerson au fonds allemand KanAm Grund Kapitalanlagegesellschaft, pour la coquette somme de 105 millions €.

  • Il contient 9 200 m2 de bureaux, loués depuis novembre 2002 au cabinet d'avocats d'affaires américain Latham & Watkins pour un loyer annuel de 6,8 millions € (soit près de 740 € au m2).

  • Altadis, ex-Seita, était précédemment occupant des locaux (sans doute avant novembre 2002), mais a depuis déménagé dans le XIIIe arrondissement. Il semble que Latham et la bande à Monod soient aujourd'hui les seuls occupants de l'immeuble.

Deux choses sont donc certaines : la fondation n'a pas acheté l'immeuble et elle ne loue qu'une très petite partie des locaux. Le doute demeure cependant sur l'étendue exacte des bureaux de l'association, même si les photos présentes sur leur site permettent de se faire une petite idée : a priori, ils fonctionnent avec une bibliothèque / open space (photo de gauche) et un petit nombre de bureaux individuels. Au besoin, ils peuvent toujours se faire prêter ponctuellement des salles de réunion par Latham.

Le problème, c'est qu'au prix où coûte le m2 dans cet immeuble, 30k € par an (le rendement garanti de 750k€) permettent tout juste de louer un deux pièces (40 m2). Et les locaux sont clairement beaucoup plus étendus. Le bail de sous-location proposé par Latham peut être avantageux, mais pas à ce point là.

En conclusion, il me semble que la Fondation ne peut pas être financée uniquement sur les rendements financiers de son fonds de dotation. Une bonne part de ses ressources (n'oublions pas qu'il faut aussi payer les permanents) devra donc provenir des subventions publiques et de dons individuels majoritairement défiscalisés, comme le mentionne l'article 13 des statuts. C'est à dire que la fondation vivra en partie, directement ou indirectement, sur fonds publics. Est-ce nécessairement une mauvaise chose? Je laisse le lecteur en juger par lui-même.

NB : Je précise à toutes fins utiles que je ne suis un spécialiste ni de l'immobilier de bureau, ni des finances associatives. Par contre, je connais un peu le monde des thinks tanks à la française. Mais cela ne m'a pas servi à grand chose pour écrire ce post.

22 avril 2004

L'irrésistible ascension du social-libéralisme? 

L'avis des économistes de Morgan Stanley -généralement un bon indicateur de l'opinion dominante des marchés financiers- sur les débuts du gouvernement Zapatero :
Overall, we think that Mr. Zapatero and his team will remain committed to strong economic growth and sound management of public finances. So far, the prime minister seems to have taken the housing market issues seriously by creating an ad hoc ministry. As far as foreign policy is concerned, we should see a significant shift towards more cooperation with European partners. The team has been formed, and it is off to a good start.
L'équilibre (sur l'ensemble du cycle) des finances publiques et des mesures visant à augmenter le taux d'activité ne sont pas antithétiques avec une politique qui cherche à améliorer le sort des plus modestes via la redistribution. Au contraire. Il serait temps que les socialistes français le disent.
Une question 

En quoi exactement la Corée du nord est-elle "la Carlsberg des dictatures totalitaires"?

J'avais plutôt l'impression qu'elle était dans la catégorie bière triple. Pire que Cuba, l'Ouzbekistan, l'Iran et le Pakistan. Pire aussi que l'Irak d'après 1991. Pire même (mais de peu) que l'Afghanistan des talibans. Je me demande même si le terme "totalitaire" convient aujourd'hui à un autre régime que celui de Kim Jong Il. Mais je suis peut-être influencé par mes lectures gaucho-capitulardes. J'attends d'être convaincu.

21 avril 2004

L'appel de l'Ouest 

Pascal Riché, correspondant de Libération à Washington, 3 avril 2004 :
Je pars en vacances pour dix jours (au Nouveau Mexique).
Thomas Cantaloube, correspondant du Parisien à Washington, 5 avril 2004 :
De retour de vacances. Quinze jours entre Arizona et Utah pour une bouffée de grand air, de vastes paysages et une autre Amérique que celle de Washington, DC.
Fabrice Rousselot, correspondant de Libération à New York, 16 avril 2004 :
Sur ce, je décroche jusqu'au 2 mai et pars prendre un bol d'air frais dans le Grand Canyon.
Bien essayé mais... 

Fidèle à son combat contre le clan des apaiseurs (aka "l'axe des belettes"), Vincent Bénard écrit :
Le groupe Ansar al Islam possédait une base arrière dans le Kurdistant irakien, base qui fut démantelée par l'alliance Américano-kurde quelque jours avant la prise de Bagdad. Malgré ces faits difficiliment contestables, les ''pacifistes'' de tout bord continueront de clamer que les liens entre l'Irak et l'une des branches les plus dangereuses d'Al Qaeda ne sont pas du tout confirmés...
Pour ne rien cacher à mes lecteurs, j'étais parti pour écrire une réponse pleine d'ironie mordante sur le mode "mais mon pauvre ami, cette assertion ridicule a déjà été démontée depuis des lustres".

En fait les choses sont un peu plus compliquées. Je pensais, en me fiant à ma mémoire sélective et à ce post, que les camps d'Ansar al-Islam se situaient dans la zone de non-survol du nord de l'Irak, donc protégée par les Américains et hors du contrôle du régime baasiste. En fait, comme le montre cette carte, c'est partiellement inexact : les activités d'Ansar se déroulaient au sud de la "no fly zone" mais dans un territoire contrôlé par les autorités kurdes, protégé par les Américains et hors du contrôle direct de Bagdad. Mon erreur initiale ne change donc pas grand chose.

Ce qui en change pas mal, par contre, c'est que la carte mentionnée plus haut est accompagnée d'un article (en fait, c'est plutôt le contraire mais je m'autorise, en raison de l'heure tardive, un certain relâchement dans le style) et que l'article mentionne des témoignages de dirigeants kurdes faisant état de liens -certes ténus- entre Ansar et le régime de Saddam Hussein. Je note qu'un article plus récent, d'une source a priori fiable, développe également ce point, en citant à la fois des responsables du PKK et de l'administration Bush. L'ennui est qu'aucun des deux articles ne se prononce vraiment sur la véracité de ces accusations, l'article de l'IISS soulignant par ailleurs qu'il "faut prendre avec prudence les affirmations du PKK". Au vu de ce que l'on sait désormais, j'ajoute qu'il n'est pas inutile de faire la même chose avec les affirmations de l'administration Bush.

Dans ces cas-là, autant se tourner vers plus spécialiste que soi pour débrouiller l'écheveau. Et il me semble bien que Daniel Drezner -qu'on ne saurait accuser de sympathies gauchistes et qui a une bonne expérience des relations internationales et des débats épineux- avait clôt le débat en mars 2003 :
First, contrary to many skeptics' assertions, there is an Al Qaeda presence in Iraq. Second, it's also clear that Saddam Hussein has little to do with this presence. At worst, Hussein's policy on Al Qaeda might be characterized as benign neglect -- he's not helping them but he doesn't mind them being in parts of Iraq he can't control. There might be other reasons to support regime change in Iraq, but the Al Qaeda connection is a weak reed.

20 avril 2004

Opinions vs comportements 

A première vue, ce type d'initiative semble complètement ridicule :
LYON (AP) -- La préfecture du Rhône souhaite développer le système des «CV anonymes» afin de lutter contre la discrimination à l'embauche, et notamment la discrimination raciale. [...] L'initiative, qui n'en est qu'à l'état embryonnaire, viserait à ôter des curriculum vitae des candidats à l'emploi le patronyme, les photos mais aussi le sexe ou encore le lieu d'habitation.
Après tout, il y a de fortes chances qu'un employeur normalement constitué finisse par s'apercevoir de l'origine des candidats avant l'embauche.

A moins que la propension à trier de manière orientée une pile de CV ne soit pas entièrement correlée avec la propension à discriminer après entretien avec les candidats. Ce qui ne surprendrait pas totalement les chercheurs en psychologie sociale :
In the early days of psychology social scientists frequently took it for granted that people’s behavior could be predicted simply by measuring their attitudes and opinions. This belief was drastically challenged by a landmark study published in 1934 by researcher Richard LaPiere in the journal Social Forces. LaPiere described how, for two years starting in 1930, he traveled extensively throughout the United States with a Chinese couple. He reported that they were received at 66 overnight lodgings and served in 184 eating establishments during their travels, and only once were denied service -- by a proprietor who said he did not provide accommodation for Orientals. However, when LaPiere sent out questionnaires 6 months later asking each of the 250 establishments that served them whether they would accept Chinese guests, only one of the 128 respondents replied that they would!
Notons que les études récentes valident plutôt le sens commun : il y un lien réel entre les opinions exprimées et les comportement, mais ce lien est beaucoup plus complexe et variable qu'on ne le pense habituellement. En particulier, les opinions générales (comme un racisme diffus) sont d'assez mauvais prédicteurs des comportements ultérieurs.

Si elle aboutit, l'initiative rhodanienne pourrait donc bien contribuer à augmenter, ceteris paribus (il fallait bien que je le place un jour), les perspectives d'emploi des candidats issus de l'immigration. Par sa limitation géographique, elle offre en tout cas un champ d'expérience idéal pour un chercheur en science sociale.

19 avril 2004

Juste milieu 

Discipline mise à part, il y a un petit côté Paul Krugman chez Justin Vaïsse. Pas le Krugman vengeur des années 2000, reconverti en chroniqueur politique au mépris de la théorie des avantages comparatifs. Mais le Krugman des années 1990, qui combinait avec bonheur la vulgarisation économique et la lutte acharnée contre les fadaises pseudo-scientifiques qui constituent l'essentiel du discours médiatico-politique sur l'économie. D'où une propension assez jouissive à secouer régulièrement le cocotier et à s'aliéner à la fois conservateurs (en ridiculisant la théorie de l'offre) et libéraux (en démontant les critiques éculées du libre-échange).

Justin Vaïsse, (jeune) historien français des Etats Unis, suit la même route. Il est vrai que la capacité de notre beau pays à avoir une vision complètement caricaturale de la société et de la politique américaines semble souvent illimitée (le contraire est aussi vrai). Ce qui lui offre l'occasion de taper alternativement sur la majorité antiaméricaine et la minorité proaméricaine, comme le montre cette démolition magistrale (pdf) des ouvrages d'Emmanuel Todd et de Jean-François Revel.

Pourquoi ce panégyrique? D'abord pour recommander le nouveau site de Justin Vaïsse, qui permet d'accèder à quelques uns de ses articles récents et à ses chroniques hebdomadaires sur Radio Canada. Ensuite pour conseiller sa tribune dans Le Monde d'aujourd'hui, discussion mesurée sur le parallèle entre la situation en Irak et la guerre du Vietnam. Je pense qu'il a parfaitement -et malheureusement- raison sur ce point :
[L]es Américains n'arrivent pas à croire qu'on puisse, au Vietnam ou en Irak, faire le mauvais choix, le choix immoral de préférer le nationalisme à la démocratie, le sectarisme chauvin à la vraie liberté, qu'on tue des soldats qui viennent en libérateurs, qu'on enlève des membres d'ONG qui ne sont là que pour aider.

Ce chaos apparemment absurde ébranle profondément le credo américain. De ce point de vue, la guerre en Irak, conçue à l'origine comme éminemment morale, marque plus encore que le 11 septembre 2001 la redécouverte du mal, de l'insoluble ou bien des solutions de compromis piteuses, bref de la politique et de ses limites, mais aussi de l'épaisseur historique des sociétés étrangères - un autre oubli récurrent pointé par Stanley Hoffmann dans la culture politique américaine.

Cette redécouverte pourrait bien marquer également dans les prochaines années la fin d'une bulle de confiance voire d'hubris qui s'est incarnée dans l'ascendant acquis par les néoconservateurs et leurs alliés et qui trouve sa triple origine dans la chute du mur de Berlin, la croissance économique des années 1990 et la construction, depuis Ronald Reagan notamment, d'un formidable outil de défense qui a nourri une illusion d'omnipotence.
Nombrilisme éhonté 

Votre serviteur pensait en toute bonne foi avoir réussi à passer totalement inaperçu sur le web depuis l'ouverture de ce blog. Il semble qu'il avait sous-estimé la puissance combinée de Google et de Technorati.

Merci à ceux qui m'ont fait l'honneur de mentionner ce blog depuis sa création :

1. Matthew Yglesias, qui a trouvé ce site on ne sait comment. J'en profite pour recommander son article sur la politique extérieure de Bush, à paraître dans le prochain numéro de The American Prospect. A part une référence gratuite aux élections de 2000, c'est une analyse très fine de la manière dont l'administration américaine a perverti et baclé une stratégie (louable) de promotion de la démocratie. S'attarde utilement sur la politique américaine en Asie centrale, notamment sur les cas de l'Afghanistan et de l'Ouzbekistan.

2. L'excellent site de Phersu, qui nécessite au moins un Robert et un Gradus à portée de main pour être apprécié à sa juste valeur. Grâce à lui, j'ai déjà pu augmenter ma collection de mots rares du didactique spicilège.

3. Le journal du canadien Randy McDonald, dont j'avais mentionné le long et stimulant article sur l'Islam de France.

4. L'indispensable MediaTIC.

Bienvenu à mes visiteurs, égarés ou volontaires. Retour prochain au programme habituel avec, enfin, des notes sur l'économie et les Etats-Unis, pour que l'intitulé de ce blog soit un peu plus qu'une pétition de principe.
Zapatero : la fin du sans-faute 

La décision n'est pas surprenante, la précipation l'est davantage :
Le nouveau président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, a annoncé dimanche avoir ordonné le rapatriement "le plus tôt possible" des 1.300 soldats espagnols déployés en Irak.

Dans une allocution télévisée, le chef du gouvernement socialiste a indiqué avoir donné au ministre de la Défense, José Bono, "l'ordre de faire le nécessaire pour que les soldats espagnols reviennent dans les délais les plus courts et dans les meilleures conditions de sécurité possibles."
Les débuts du gouvernement Zapatero m'avaient impressionné : déclarations très fermes sur le terrorisme, choix d'un gouvernement véritablement "resserré, rajeuni et feminisé" et options économiques intelligentes. J'avoue être surpris et déçu par la décision de retirer aussi précipitamment les troupes espagnoles de l'Irak.

Non pas que l'enjeu soit le signal donné aux terroristes. Je me permets de le rappeler à mes amis libéraux : le retrait d'Irak faisait partie des engagements du PSOE avant les attentats du 11 mars. Le jeu normal de la démocratie est que le premier ministre Zapatero applique son programme.

Plus problématique est la rapidité avec laquelle cette décision est prise, alors que Zapatero s'était montré très évasif lors de son discours d'investiture jeudi dernier. L'engagement de retirer les troupes sauf si l'ONU prenait en charge l'occupation offrait au gouvernement espagnol une position de force pour négocier avec les Etats-Unis. La visite du ministre des Affaires Etrangères Miguel Angel Moratinos aux Etats-Unis à partir de mardi aurait pu permettre de poser des conditions fermes concernant le maintien des troupes.

En cas de refus, c'était une porte de sortie honorable pour Zapatero. En cas d'accord, l'Espagne aurait prouvé une capacité d'influer sur le cours des événements qui allait bien au delà de sa maigre contribution à la coalition (moins d'1% des troupes). En forçant la main des Américains, Zapatero aurait pu jouer le rôle que Blair avait cherché à jouer, sans succès véritable, durant l'hiver 2003.

La décision de ce soir risque non seulement de rendre la visite de Moratinos à Washington assez pénible, mais surtout elle anéantit l'une des dernières chances de voir la stratégie américaine à Irak s'infléchir radicalement.

Addendum (20/04) : Phersu trouve que je suis trop dur avec Zapatero. A la relecture, je pense effectivement que le ton de ce post -en particulier son titre- est un peu excessif. Pour clarifier : je suis conscient de la difficulté d'infléchir la stratégie d'une administration Bush chez qui l'incapacité à reconnaître ses erreurs est quasi-pathologique. Je me rends aussi compte qu'une négociation avec les Américains aurait été mal perçue par la majorité des Espagnols. Cela dit, je continue à penser que Zapatero avait une main assez exceptionnelle, et qu'il est dommage qu'il n'ait pas cherché à l'exploiter. Après tout, rien n'empêchait les diplomates espagnols de mettre au point une proposition qui, tout en constituant une alternative crédible à la stratégie actuelle en Irak, était inacceptable pour les Etats-Unis.

16 avril 2004

La paix est mal barrée 

Ce titre, sur le site de l'Internationale Socialiste :
L’Internationale Socialiste promouvoit la paix au Moyen-Orient
Attention : droit constitutionnel 

Peut-on défendre une bonne idée avec de mauvais arguments? C'est la pensée profonde qui m'habite à la lecture de la tribune de François Colcombet et Miguel Castaño (représentants éminents de la phalange montebourgeoise citée dans le post précédent) dans Le Monde d'aujourd'hui.

Leur constat (valide) est que la "dyarchie" au sommet des institutions françaises est soit ridicule (quand le chef du gouvernement avale les couleuvres d'un président qui détermine souverainement la politique de la nation), soit conflictuelle (quand président et premier ministre de la même couleur politique se disputent la barre du navire). Et que seule la cohabitation révèle la vraie nature du régime politique issu de la Constitution de la Ve république, dont le texte confère explicitement l'essentiel des pouvoirs politiques et administratifs ordinaires au chef du gouvernement et non au chef de l'Etat. Leur solution (défendable) est d'instaurer un véritable régime parlementaire, sur le modèle britannique.

On peut estimer que les deux réformes proposées (suppression du droit de dissolution et nomination du premier ministre par l'Assemblée nationale) sont insuffisantes pour régler les maux de la démocratie française. On doit aussi noter que ce n'est pas demain la veille qu'un président acceptera d'initier une réforme dont l'objet est de le priver de l'essentiel de ses pouvoirs constitutionnels (voir aussi Sénat : réforme du). Mais ces deux réserves n'invalident pas une thèse qui est forcément spéculative et limitée dans son objet.

Beaucoup plus dérangeante est l'utilisation d'arguments péremptoires pour la défendre. Déjà, l'idée selon laquelle l'originalité de nos institutions serait la preuve de leur déficience est singulière venant de hérauts d'un courant de pensée qui défend bec et ongles l'exception française en matière de culture, de services publics ou de protection sociale. Surtout, les auteurs disqualifient une évolution vers un régime présidentiel de type américain en recourant à une logique dont la pertinence m'échappe, à moins de considérer que l'antiaméricanisme subliminal constitute à lui seul un argument :
Comment sortir du cercle vicieux ? Comment supprimer la dyarchie à la française ? Certainement pas en passant au régime présidentiel de pouvoirs séparés, source permanente de blocages. Imaginons une seconde un gouvernement de droite et une Assemblée de gauche, ou vice-versa !
A quoi on ne peut que répliquer : et alors?
On peut penser tout le mal que l'on veut des Etats-Unis, il reste que leurs institutions politiques, créées par et pour une société de colons britanniques, ont fait la preuve, depuis plus de deux siècles, de leur solidité et de leur plasticité. Et cette solidité doit beaucoup aux contre-pouvoirs (les fameux "checks and balances") intégrés dans le système politique. Quoi qu'en pensent les auteurs, les "blocages" obligent les pouvoirs en place à rechercher un minimum de consensus et contribuent à réduire l'influence des idéologues. Ce n'est pas un hasard si la désastreuse gestion économique et fiscale de l'administration Bush s'inscrit dans le contexte d'une mainmise républicaine sur la Maison Blanche et les deux chambres du Congrès. Ou si les réussites économiques de l'administration précédente sont intervenus alors que Clinton devait composer avec un Congrès à majorité républicaine.

Le régime présidentiel n'est certes pas exempt de défauts. Mais le fait d'être pratiqué aux Etats-Unis n'en est assurément pas un.
Trichage? 

J'apprends avec une satisfaction à la hauteur de mon indignation de samedi dernier qu'Elodie Gossuin a décidé de céder aux viles menaces de la clique montebourgeoise :
Conseillère régionale en Picardie, l'ancienne Miss France Elodie Gossuin a été autorisée à une "escapade exceptionnelle" hors de la "Ferme célébrités": elle a quitté vendredi matin l'émission de télé-réalité de TF1 pour participer à la première séance plénière du conseil régional à Amiens, a-t-on appris auprès de la société Endemol, qui produit l'émission.

"Elle a quitté 'la Ferme' ce (vendredi) matin pour assister à sa réunion politique et elle reviendra en fin de journée", a précisé Endemol-France. Elodie Gossuin a été autorisée à cette "escapade exceptionnelle" prévue depuis longtemps parce qu'elle a des "obligations politiques importantes. Elle se doit de s'y tenir".
Reste que cette décision me laisse perplexe. Après tout, le mal médiatique est déjà fait et ce n'est sans doute pas la perspective de perdre les maigres émoluments attribués aux conseillers régionaux (1 800 € mensuels, une paille comparé aux quelques 15 000 € hebdomadaires que rapporte la compagnie des cochons) qui a dû peser bien lourd dans la balance. Alors quoi? Il semble évident que les équipes de Robien, Endemol et TF1 ont exercé une pression amicale sur la jeune ex-Miss pour dégonfler fissa la baudruche médiatique.

Mais la vraie raison du retour de la Picarde en ses quartiers amiennois pourrait être autrement plus retorse : en se forçant à assister aux séances du conseil régional, la candidate peut échapper périodiquement à l'ambiance délétère du microcosme fermier. Ce qui constitue évidemment un sérieux coup de bêche dans le principe de l'émission et un avantage indu par rapport à autres cofermataires.

Peut-être TF1 devrait-elle envoyer ses huissiers venir chercher la gourgandine en plein hémicycle, pour la forcer à respecter les règles du jeu.
La Corée bascule à gauche 

Comme le laissait entendre The Economist le mois dernier après les élections espagnoles, le soutien à Bush et à la guerre en Irak n'est pas vraiment le meilleur moyen de s'attirer la faveur des électeurs. Le théorème vient encore de se vérifier en Corée du sud, où la gauche a obtenu la majorité des sièges au parlement pour la première fois de son histoire.

Certes, la situation politique intérieure a joué un rôle important : le président (de gauche) était sous le coup d'une procédure de destitution assez mesquine initiée par le parlement (de droite), ce qui n'a visiblement pas plu à une majorité de l'électorat coréen. Mais l'élection confirme néanmoins une tendance profonde, comme l'écrit Josh Marshall :
There's a more immediate significance to this result. It is the continuance of a global trend in which elections in countries allied to the United States are being won by parties advocating loosening ties with America. Running against America -- or really against George W. Bush makes for great politics almost everywhere in the world.

We saw it in South Korea two years ago. Then later that year in Germany. Recently in Spain. And now again in Korea -- with many other examples along the way.
Après son départ du pouvoir (de préférence en janvier 2005), George Bush mériterait qu'on lui décerne la médaille de l'Internationale Socialiste.

13 avril 2004

Le mythe de l'Eurabie 

Randy McDonald (ma traduction)

De nombreuses voix se sont élevées récemment pour affirmer que la France - et, de plus en plus, non seulement la France mais l'ensemble de l'Europe de l'ouest - est condamnée à devenir une terre musulmane. La France ne pourra jamais plus être décrite comme la "fille aînée de l'Eglise" ; l'église luthérienne n'aura plus d'influence dans le pays qui l'a vu naître ; les variantes locales du christianisme cesseront de rythmer la vie quotidienne des Espagnols et des Italiens, des Hollandais et des Suédois. Les minarets remplaceront les clochers des églises. La sharia supplantera le code Napoléon. Les femmes bronzant sur les plages de la Méditerranées et les mariages gays aux Pays Bas auront disparu, car les femmes seront forcées à porter le voile et les homosexuels à nouveau mis au ban de la société. Des siècles de libéralisation sociale seront brutalement renversés et l'Europe - en particulier la France, qui compte trop de Mulsumans pour être sauvée - entrera dans un nouveau Moyen Age.

La rhétorique est familière à ceux qui lisent ou écoutent les représentants d'une partie non-négligeable de la droite française (cf la décision de l'UMP de contredire la ligne élyséenne sur l'entrée de la Turquie dans l'UE). L'inquiétant est qu'elle est reprise aussi par des commentateurs conservateurs a priori plus fiables, comme le prouve un récent essai (reproduit ici) de l'historien britannique Niall Ferguson dans le New York Times Magazine.

L'intérêt du texte de Randy McDonald est de montrer, chiffres à l'appui, que la thèse de l'islamisation inévitable de la France ne repose sur aucune base démographique ou sociologique solide : le taux de fécondité baisse à mesure de la présence d'une population dans son pays d'accueil et les comportements (y compris les comportements religieux) s'alignent sur ceux des autres groupes. Ce que confirmait hier Bruno Etienne dans Le Monde :

"On voit apparaître une classe moyenne musulmane. Les mécanismes de l'intégration ont plutôt bien fonctionné. Les associations laïques musulmanes n'arrêtent pas de se développer. C'est une bouffée d'oxygène. 90 % des Français issus de l'immigration sont intégrationnistes, consuméristes."

Comme le note aussi McDonald, l’une des grandes -et paradoxales- erreurs des partisans du mythe de l’Eurabie est en fait de sous-estimer grandement l’attractivité du mode de vie et des valeurs occidentales.

(via Crooked Timber)

NB : Google-bombing ou vrai révélateur, Le Figaro se retrouve en tête des résultats francophones pour une recherche du terme "Eurabie".

10 avril 2004

Du danger des vacances présidentielles 

Alors que la situation en Iraq se dégrade de jour en jour, George Bush continue nonchalemment ses vacances dans son ranch texan de Crawford. Ce qui lui donne l'occasion de rencontrer quelques vieux potes (comme le patron de la NRA), de faire visiter son domaine à des admirateurs triés sur le volet ou de donner des interviews à des grands organes de presse, comme le Ladies Home Journal.

Il serait certes inhumain de troubler la retraite pascale d'un chrétien aussi fervent à cause des menus dommages collatéraux de "sa magnifique petite guerre" au Moyen Orient. Evidemment, Bush a déjà prévu de reprendre l'offensive médiatique dès ce week-end. Bien sûr, il est resté constamment en contact avec son équipe à Washington durant cette semaine, sacrifiant même à une visioconférence de 20 longues minutes pour faire le point de la situation.

Mais il nous semble nous rappeler que les électorats n'aiment guère les dirigeants qui donnent l'impression d'être aux abonnés absents pendant les périodes d'urgence nationale. Confer un certain J.C., en août 2003, optant pour la fraîcheur des lacs canadiens alors que la vieillesse de France -et son gouvernement- étouffaient sous la canicule. Confer aussi Edmund Stoiber, en août 2002, préférant poursuivre ses vacances dans les îles du septentrion germanique plutôt que d'enfiler ses bottes pour faire campagne dans l'Allemagne de l'est inondée.

Les risques pour Bush sont donc bien réels. A la fois de faire se rappeler par la presse des vérités pas forcément agréables, comme le fait qu'il a passé 40% de son temps présidentiel dans ses villégiatures de Crawford, Camp David et Kennebunkport. Et de rappeler au public que son mois d'août 2001 n'avait pas été particulièrement studieux, au moment où les menaces contre les Etats-Unis se faisaient de plus en plus précises.

09 avril 2004

Libé 3 

La troisième version du site de Libération, dévoilée cette nuit, est plutôt réussie : couleurs et polices agréables, mise en page épurée et détail de certaines rubriques (notamment les Rebonds) dès la page d'accueil. Le temps de chargement reste correct malgré la multiplication des photos. Du (bon) changement dans la continuité, donc.

Mais la vraie rupture, qui m'avait jusqu'alors étrangement échappé, c'est que Libé a lancé au début de l'année deux blogs sur la campagne américaine, un par correspondant aux Etats-Unis. Le quotidien a donc choisi de privilègier le modèle The New Republic (mutiplier les blogs individuels) sur le modèle The American Prospect ou The National Review (un blog collectif).

Cela dit, je me demande si les deux blogs de Libé ne font pas double emploi, d'autant que l'un (celui de Pascal Riché, correspondant à Washington) est pour l'instant très supérieur à l'autre (par Fabrice Rousselot, basé à New York).

L'initiative est heureuse en tout cas : une fois de plus, Libé est largement en avance sur ses concurrents français pour l'utilisation d'Internet (avec aussi le risque de se planter méchamment cf Libé TV). Manque plus qu'un blog écrit par Vanessa Schneider pour être comblé.

07 avril 2004

Pendant ce temps-là, au Soudan 

Il serait faux de dire que la presse française est restée complètement muette sur le nettoyage ethnique en cours au Soudan.

Mais Le Monde est le seul à en tirer les conséquences, en soulignant dans son éditorial de mercredi l'hypocrisie de nos repentances actuelles sur le Rwanda.

Ce qui se passe au Soudan depuis de trop longues années incite à penser que toutes les leçons n'ont pas été tirées de la tragédie rwandaise.

Dans cet autre pays d'Afrique, le gouvernement central dominé par des Arabes musulmans a martyrisé pendant des années les populations africaines, animistes et chrétiennes, du Sud. Aujourd'hui, il s'en prend à celles de l'ouest du pays, dans la région du Darfour, où les forces soudanaises bombardent, pillent, violent, déportent et réduisent en esclavage les habitants de villages entiers. Certaines ONG avancent le chiffre de mille tués par semaine. C'est un crime contre l'humanité qui est commis au Darfour, dans l'indifférence réservée à une lointaine contrée. Comme au Rwanda, en un terrible printemps 1994.


Mise à jour (08/04/2004) : Il semble que la "communauté internationale" s'est finalement décidée à agir (voir le New York Times et le Figaro du jour). Sans surprise, Le Figaro insiste sur l'action de la France, qui appuie la médiation du président tchadien, et le New York Times souligne le rôle de Bush, qui presse "le gouvernement soudainais [de] faire cesser immédiatement les atrocités commises par les milices locales contre la population et [d'] assurer le libre accès des agences d'aide humanitaire". Peut-être plus significatif, Kofi Annan a évoqué hier à Genève "une série de mesures pouvant inclure une action militaire" pour permettre l'arrivée de l'aide humanitaire au Darfour.

Ces gestes sont évidemment liés à la commémoration du génocide rwandais, à la fois pour des raisons matérielles (Muselier a fait escale au Tchad en allant au Rwanda) et symboliques (Kofi Annan a utilisé son discours de commémoration à Genève pour parler du Soudan). Il ne reste plus à espérer que la pression diplomatique se poursuivra et s'amplifiera au-delà de ces circonstances particulières : les appels pressants aux autorités soudanaises ne sont que la première étape d'un plan d'action qui doit aller beaucoup plus loin pour être crédible et efficace, comme l'écrivait mardi Samantha Power dans le New York Times.

Il faut aussi croire que les Français et les Américains arriveront à coordonner un minimum leurs actions dans la zone. La lecture entre les lignes de l'article du Figaro (qui relaye évidemment la position du Quai) permet d'en douter.

06 avril 2004

Le charme toujours renouvelé de Radio Courtoisie 

"La droite aurait dû faire un audit en arrivant au pouvoir. Or, on n’a jamais entendu parlé de l’héritage du gouvernement Jospin."

Marie-Thérèse Junot, conseillère (UMP) du XVIe arrondissement de Paris, sur Radio Courtoisie, le lundi 5 avril 2004, dans l’émission de Jean Ferré


"Raffarin : Jospin a trop dépensé"

Titre –sur cinq colonnes- du Monde du vendredi 28 juin 2002, après la publication le 27 juin de l’audit des finances publiques commandé par le premier ministre à deux magistrats de la Cour des comptes.

05 avril 2004

La "comptabilité créative" de M. Raffarin 

Ainsi donc, si l'on en croit le Premier Ministre (et en pleine Assemblée nationale, s'il vous plaît), l'une des réussites majeures de son gouvernement est d'avoir fait passer la France de l'âge de pierre d'Internet au premier rang européen pour le nombre d'internautes :

La France sait se moderniser. Elle était encore en retard il y a deux ans en matière de nouvelles technologies. Elle est aujourd’hui en tête des pays européens avec 20 millions d’internautes et 3 millions d’abonnés au haut débit.

Passons sur le fait qu'on voit mal en quoi le gouvernement serait pour quoi que ce soit dans cette évolution.

Passons aussi sur la mauvaise foi qui consiste à comparer valeurs absolues et relatives : aux dernières nouvelles, les pays du nord de l'Europe sont encore, et de loin, les champions de l'accès Internet, devant les Etats-Unis.

Mais constatons que l'affirmation de Raffarin reste risible. D'abord parce qu'elle est basée sur les chiffres notoirement gonflés de Médiamétrie, qui définit un internaute comme toute personne "âgé de 11 ans et + (...) s’étant connectés à Internet au cours des 30 derniers jours quelque soit leur lieu de connexion : domicile, travail, autres lieux : lieux d’éducation, lieux publics ou privés tels les cybercafés, les bibliothèques, chez des amis."

Ensuite, et surtout, parce qu'on aurait beaucoup de mal à trouver la confirmation du leadership français dans les comparatifs européens disponibles. Certes, la plupart des études disponibles comprennent une bonne part de gonflette méthodologique. Mais la comparaison du comparable est imparable pour Raffarin.

Les dernières estimations à la souris mouillée de Nielsen Net-Ratings font ainsi état de

22,4 millions d'internautes pour la France
35,1 millions
d'internautes pour le Royaume Uni
45,3 millions d'internautes pour l'Allemagne

Je ne doute pas que la blogosphère va relever rapidement ce mensonge éhonté (le bilan de Raffarin I et II est-il donc aussi mauvais?). La vraie question est de savoir si la presse va aussi s'en saisir. Comme on dit aux Etats-Unis : "don't hold your breath".

02 avril 2004

Symétrie hyperbolique 

Et c'est ainsi que la gauche française renforce constamment l'interventionnisme étatique lorsqu'elle est au pouvoir, sous prétexte de renforcer la cohésion sociale, et que la droite croit à tort que, pour gagner des élections ou pour réagir à des élections décevantes, il faut mettre en avant la «dimension sociale» de son action, contre une prétendue «tentation libérale». Ce faisant, la droite ne fait pourtant qu'aggraver la situation. Elle déplace le centre de gravité de la vie politique vers plus de socialisme et elle prépare donc les échecs électoraux du futur.

Pascal Salin, Le Figaro, 3 avril 2004

La droite a beau perdre les élections, cela n'altère pas l'irrésistible progression de son modèle de société. Ce paradoxe tient à un effet de cliquet asymétrique : la gauche ne revient pas ou trop peu sur les réformes libérales, tandis que la droite n'hésite pas à casser les acquis sociaux et les réformes progressistes engagées par la gauche. Résultat : après vingt-trois ans d'alternance gauche-droite systématique, ce n'est pas la société pacifiée par l'égalité et la solidarité qui prospère, mais bel et bien la société de marché déchirée par l'inégalité et l'insécurité sociale. (...) Au train où va la marchéisation de notre société, il ne manque plus à la droite qu'une ou deux défaites pour parachever en fait la victoire de son modèle.

Jacques Généreux, Libération, 31 mars 2004
Monstrueux 

Sur BFM, la radio des petits patrons et des cadres pressés, Valérie Lecasble reçevait jeudi la responsable marketing de Monster.fr, le bien connu (mais mal nommé) site de recrutement en ligne. Au programme : une discussion du "baromètre" Monster sur les aspirations de carrière des Européens. En profitant évidemment du fait que Monster est un grand réseau mondial et donc, théoriquement, bien placé pour faire des comparaisons internationales.

A condition évidemment d'avoir une méthodologie qui tient un minimum la route. Et à écouter la pauvre marketeuse s'enfoncer au fur et à mesure de l'entretien, il était évident que quelque chose clochait. Déjà, une phrase malheureuse sur le fait que "50% des Français sont sans emploi et en recherchent un" (sic) faisait franchement mauvais genre. Mais moins que la tardive confession que le "baromètre" ne permettait de segmenter ni par âge, ni par sexe, ni par qualification.

Et ce pour la bonne raison que -horreur- la pseudo étude vendue par Monster n'était rien d'autre qu'un sondage en ligne sur le site. Avec évidemment toutes les garanties habituelles en termes d'échantillon et de votes multiples. Encore bravo à BFM pour la sélection de ses intervenants : au vu de la pertinence du "baromètre", une grenouille et une échelle auraient sans doute aussi bien fait l'affaire.

01 avril 2004

Quelques conséquences mineures des régionales 

L'adrénaline des résultats électoraux n'aura pas duré longtemps.

Trois jours à peine après le coup de tonnerre de dimanche, on en revient aux mêmes arguments repétés en boucle : la droite insiste qu'elle a perdu parce qu'elle n'est pas assez à droite (Le Figaro, en choeur, lundi), la gauche proteste qu'il ne lui sert à rien de gagner parce qu'elle n'est pas assez à gauche (Généreux, dans Libé, mercredi).

Autant alors se concentrer sur les enjeux secondaires dont personne (ou presque) ne parle.

D'abord, l'entrée annoncée de Giscard au Conseil Constitutionnel. Certes, cela ne change quasiment rien aux rapports de force politique au sein du Conseil. Même dans le cas où Giscard rejoindrait l'opposition anti-Mazeaud (ce qui serait sadique, mais pas improbable), un partage des voix 5-5 serait tranché par la voix prépondérante du président, dont les quartiers de chiraquisme ne sont plus à démontrer. Il reste que tout cela créé un amusant précédent constitutionnel, qui pourrait annoncer, un jour, une réforme de l'obsolète article 56 de la Constitution (imagine-t-on Giscard et Chirac se cotoyant, après 2007, rue Montpensier?).

Une autre conséquence indirecte des régionales et des cantonales est de modifier la composition du collège électoral qui renouvelera, en septembre 2004, un tiers du Sénat. Pas la peine que la gauche s'emballe trop vite, cependant : les conseillers municipaux constituent 95% des grands électeurs, ce qui donne un avantage que d'aucuns jugent démésuré à la droite. Mais le virage à gauche des départements et des régions, pour spectaculaire et donc trompeur qu'il soit, confirme une tendance de long terme au relâchement de la mainmise de la droite sur les mandats locaux. Qui sait si, dans deux ou trois générations, les élections sénatoriales ne seront pas, elles aussi, véritablement compétitives?

Le dernier charme des lendemains d'élections est (souvent) de nous en offrir d'autres, sous la forme d'élections partielles, destinées à recaser les battus ou les congédiés. C'est aujourd'hui le cas des 5 députés de 2002 devenus ministres et qui n'ont pas survécu à la transition de Raffarin 2 à Raffarin 3 : Bachelot, Mattei, Wiltzer, Boisseau, Plagnol.

A priori, Plagnol et Mattei, respectivement dans le Val de Marne et les Bouches du Rhône, devraient pouvoir être réélus sans trop de problèmes.

Boisseau, en Ile et Vilaine est en ballotage favorable, mais les résultats de dimanche en Bretagne ne doivent pas lui remonter le moral. Bachelot (Maine et Loire) peut aussi se faire du souci, surtout qu'elle est passée en deux ans du statut d'étoile montante de la chiraquie (porte-parole pendant la campagne de 2002) à celui de pestiférée du gouvernement. En bien ou en mal, elle va beaucoup nous manquer en tout cas.

Mais le plus malheureux doit sans doute être le pauvre Pierre-André Wiltzer, technocrate distingué, député de l'Essonne depuis 1986, et qui pourrait perdre son siège de Longjumeau après moins de deux ans passés dans l'ombre du sous-ministère à la coopération et à la francophonie. Aurait-il seulement démérité dans sa tâche? Même pas sûr. Il semble juste qu'il fallait un endroit où caser Xavier Darcos. Ce dernier n'a pourtant brillé ni par sa gestion ministérielle (les conflits avec les enseignants, c'est aussi lui), ni pas par ses prouesses électorales (un joli gadin, certes contre le sortant PS, en Aquitaine). Mais c'est un proche de Juppé, ce qui change pas mal de choses de nos jours.