31 mai 2004

Rome libérée 

Ceteris Paribus se flatte d'être un endroit où les stéréotypes anti-américains n'ont pas leur place. Mais, parfois, il devient vraiment trop difficile de résister :
Elderly Romans still like to talk about their first vivid glimpses of the G.I.s on that day, sixty years ago. When the advance units of General Mark Clark’s Fifth Army appeared in the city, the Romans weren’t sure if they were Allies or Germans; their clothes and vehicles were so dusty that the insignia were obscured. But when the soldiers took out their cigarettes, and the people saw that they were smoking Camels, they knew the Americans had arrived. Italian women climbed up on tanks to kiss the grimy faces of the G.I.s. As the historian Robert Katz recounted in his book “The Battle for Rome,” an American soldier named Thomas Garcia, on seeing the Colosseum for the first time, uttered the immortal words “My God, they bombed that, too!”
Pour votre information 

Les commentaires sont désormais à la sauce Haloscan. J'ai décidé de laisser provisoirement en ligne les réactions précédentes publiées avec Blogger, en désamorçant la redondance avec une biffure : pas franchement esthétique, certes, mais propre, j'espère, à éviter les confusions.

Pour tout dire, je ne suis pas vraiment fan du système de pop-up qu'emploient tous les hébergeurs de commentaires comme Haloscan. L'idéal en termes d'esthétique et d'ergonomie est d'avoir une page fixe qui rassemble la note, les réactions déjà publiées et l'outil d'édition des commentaires. A ma connaissance, aucun hébergeur de commentaires ne propose ce type d'intégration, pour des raisons techniques qui me semblent assez évidentes. Du coup, j'envisage de plus en plus sérieusement une migration future vers des solutions Movable Type.

28 mai 2004

L'affaire Chalabi 

Je vois que l'ours en colère a déjà eu la même réaction : cet article de Sidney Blumenthal sur l'affaire Chalabi vaut plus que largement la peine de se taper les trente secondes de pub qu'impose Salon.com à ses visiteurs non-abonnés. Le texte est d'abord une synthèse honorable des révélations récentes concernant le double jeu de Chalabi, pour ceux qui n'ont pas le temps de suivre l'affaire dans ses moindres détails sur le site de Laura Rozen. Mais le glaçage sur le cake est le dernier paragraphe, qui atteint à une puissance littéraire assez extraordinaire :
Washington, which was just weeks ago in the grip of neoconservative orthodoxy and absolute belief in Bush's inevitability and righteousness, is now in the throes of agonizing events and being ripped apart by investigations. Things fall apart; all that was hidden is revealed; all sacred exposed as profane: the military, loyal and lumbering, betrayed and embittered; the general in the field, Lt. Gen. Sanchez, disgraced and cashiered; and the most respected retired generals training their artillery on those who have ill-used the troops, still dying in the field; the intelligence agencies, a nautilus of chambers, abused and angry, its retired operatives plying their craft with the press corps, seeping dangerous truths; the press, hesitatingly and wobbly, investigating its own falsehoods; the neocons, publicly redoubling their passionate intensity, defending their hero and deceiver Chalabi, privately squabbling, anxiously awaiting the footsteps of FBI agents; Colin Powell, once the most acclaimed man in America, embarked on an endless quest to restore his reputation, damaged above all by his failure of nerve; everyone in the line of fire motioning toward the chain of command, spiraling upward and sideways, until the finger pointing in a phalanx is directed at the hollow crown.
Un aspect qui est peu évoqué dans la presse française est le degré d'aigreur qui existe entre l'état major de l'armée américaine, la CIA et le département d'Etat d'une part, et les hauts fonctionnaires civils du département de la Défense et la Maison Blanche de l'autre. Cette combinaison exclut que l'affaire soit étouffée d'ici aux élections de novembre.

L'administration Bush peut donc s'attendre à rencontrer prochainement de très gros problèmes, surtout s'il se confirme que les Etats-Unis se sont fait intoxiqués comme des bleus par les services secrets iraniens. Les jours du petit clan des conjurés auprès de Cheney et Rumsfeld (les Paul Wolfowitz, Douglas Feith, William Luti, John Hannah ou Scooter Libby), déjà impliqué dans le fiasco des armes de destruction massive et -sans doute- dans l'affaire Plame, semblent en tout cas comptés.

27 mai 2004

Coup de poignard dans le Dão 

Ce message téléphonique d'une amie d'origine portugaise, qui passe son CAPES d'histoire-géo :
Salut Emmanuel, c'est x. Je suis en train de réviser la géographie de la France et j'ai besoin de tes lumières : je voulais savoir si Monaco était toujours en France? Voilà, salut.
L'équipe de France a intérêt à vraiment assurer le mois prochain, sinon je sens que je suis parti pour un été de chambrage.
Décision 

LA REDACTION DE CETERIS PARIBUS,

Vues les réactions à la note précédente ;

Vus les logs de ce blog ;

Vu le mail envoyé par Michel ;

Vue l'aide de Blogger ;

Vues diverses informations techniques glanées sur le web ;

Sur le fond :

Attendu que le système actuel de commentaires semble bien permettre aux intervenants de réagir en anonyme sans être enregistré auprès de Blogger ;

Mais attendu que ce système souffre de défauts techniques importants : lenteur d'affichage qui peut inciter l'utilisateur à publier plusieurs fois le même commentaire, passage par une page tierce sans possibilité de visualiser les commentaires précédents ;

Attendu, en outre, que le système pousse les commentateurs à opérer un choix entre un enregistrement non souhaité auprès de Blogger et la solution sous-optimale d'une réaction en mode anonyme, ce qui oblige à rajouter manuellement son nom ;

Attendu, enfin, que la complexité et le manque de lisibilité du système semblent décourager certains lecteurs qui auraient voulu réagir de le faire ;

Par ces motifs,

DECIDE, à l'unanimité de son unique voix, de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour trouver rapidement un système de remplacement.


Merci à ceux qui ont contribué. Retour prochain de votre programme habituel.

26 mai 2004

Annonce de service public 

Apparemment, il y a comme un léger problème avec les commentaires. Sam m'informe qu'il lui est impossible de poster un commentaire sans être enregistré comme utilisateur Blogger, alors que j'ai explicitement configuré la fonction pour que tout le monde puisse réagir ; Phersu faisait aussi état dernièrement de difficultés techniques.

Peut-être qu'il y a une bidouille toute simple à effectuer pour que tout marche parfaitement ou peut-être que le système de commentaires de Blogger est réellement pourri, ce qui me pousserait à migrer vers un autre fournisseur type Haloscan. Mais je peux difficilement le savoir tout seul, vu que mes tentatives de test se déroulent sans problèmes (à part un temps d'affichage un peu long).

Donc je fais appel à toi, lecteur régulier ou de passage, pour m'aider à tester la fiabilité des commentaires. Je te demande juste de prendre deux minutes pour essayer de laisser une phrase (n'importe laquelle!) dans les commentaires de ce post. Au cas où Blogger refuserait, j'apprécierai que les détails techniques (message d'erreur, navigateur, OS) puissent m'être envoyés à l'adresse gmail qui se trouve en dessous du blogroll (à droite de l'écran). Merci d'avance.

Dernière précision : les seuls tags html qui fonctionnent dans les commentaires sont les balises gras (strong ou b), italique (em ou i) et les liens (a href).

25 mai 2004

Mauvais timing 

Libération publie aujourd'hui une tribune de Norman Birnbaum, conseiller auprès du Congressionnal Progressive Causus, le club parlementaire de Denis Kucinich (aile gauche du parti démocrate). Notre auteur est, sans surprise, déçu par le positionnement centre-gauche mollasson de John Kerry et s'inquiète d'emblée du manque d'enthousiasme que suscite la campagne du candidat démocrate :
A la mi-mai, on peut dire que la campagne présidentielle américaine défie les lois de la gravité politique. Bush est en train de sombrer, mais son adversaire, le sénateur Kerry, ne prend pas non plus son envol. Les chiffres sont fluctuants, mais disons que Bush et Kerry se partageront probablement 95% des votes, tandis que Ralph Nader recueillera les 5% restants. Ce qui profite au score de Nader (et à condition qu'il se maintienne jusqu'à novembre, il pourrait peser de manière décisive dans la réélection de Bush), c'est le manque de conviction de Kerry.
Ceux qui suivent un peu la scène politique américaine savent que cet argument a été largement rebattu au cours du mois dernier. Le New York Times s'était même fendu il y a quelques semaines d'un article en première page où nombre de responsables du parti démocrate s'inquiétaient publiquement du fait que Kerry ne parvienne pas à décoller dans les sondages.

Il y avait pas mal de bonnes raisons, à l'époque, de prendre ces frissons de panique avec d'énormes pincettes. Il y en a encore plus aujourd'hui, au vu du sondage qu'a publié CBS hier et aujourd'hui. Parmi les résultats frappants :
  • Seulement 41% des sondés jugent positivement l'action de Bush (contre 52% négativement), soit le plus mauvais résultat depuis son entrée en fonction en janvier 2001.

  • 30% des sondés considèrent que les Etats-Unis vont dans la bonne direction (65% dans la mauvaise). La dernière (et seule) fois où les réponses à cette question étaient aussi mauvaises remonte à novembre 1994, juste avant que les républicains menés par Newt Gingrich ne prennent les deux chambres du Congrès aux démocrates.

  • En ce qui concerne les intentions de vote, Kerry est à 47%, Bush à 41% et Nader à 5% (49% contre 41% en faveur de Kerry si Nader n'est pas dans la course)
Certes, les autres sondages parus aujourd'hui sont un peu moins désastreux pour Bush. Certes, l'élection est encore loin et beaucoup de choses vont encore se passer d'ici au 2 novembre. Mais, sur le coup, Libération a décidément un train de retard.

Addendum : Pascal Riché s'explique sur la publication de ce "rebond" ici.

24 mai 2004

La NewYorkTimisation des éditorialistes français : épisode 2 

Alain-Gérard Slama, lui, ressemble de plus en plus à William Safire. D'accord, leur carrière n'est pas vraiment identique, et mieux vaut avoir été assistant de Raymond Aron (Slama) que plume de Richard Nixon (Safire). Mais leur profil actuel converge : des vieux conservateurs cultivés (Slama donne un cours d'histoire des idées politiques à Sciences Po, Safire tient une rubrique de lexicologie dans le New York Times Magazine) qui éditorialisent à jet continu sur la politique, la société, l'économie, les choses de ce monde et de l'au-delà. Le tout avec une plume toujours alerte et fréquemment acérée.

Et surtout avec une mauvaise foi qui est bien souvent indigne de leur valeur intellectuelle. Car Safire, du haut de ses chroniques bihebdomadaires dans le New York Times, est aujourd'hui l'un des hérauts les plus horripilants de la secte nécoconservatrice. Et parce que Slama, qui écrit tous les lundi dans Le Figaro, semble incapable de défendre une vision conservatrice (d'aucuns diraient réactionnaire) du monde sans recourir à des arguments franchement malsains. La semaine dernière, il trouvait le moyen de larder son refus du mariage homosexuel d'une sortie sur "l'offense à la dignité humaine" que constituerait la Gay Pride.

Aujourd'hui, il soutient que l'entrée de la Turquie dans l'UE serait dommageable et pour l'Europe politique actuelle et pour la société turque. Slama va donc plus loin que les tenants de la thèse de l'Europe chrétienne, en se plaçant la moitié du temps du point de vue des Turcs. Ce qui reste une stratégie rhétorique très efficace, car elle permet de soutenir en théorie des politiques progressistes tout en condamnant ces politiques en pratique, au nom de la mécanique des effets pervers. Le problème est que, peu importe de quel côté il penche, Slama ne peut s'empêcher de déraper. Sur l'Islam d'abord, pour ouvrir son éditorial en fanfare :
La politique de la main tendue aux islamistes dits «modérés» pratiquée par l'Europe [...] consolide les avancées d'une religion qui se nourrit de la crise de la culture occidentale, et qui prend, pour une majorité de ses adeptes, la dimension d'une nouvelle idéologie.
Message aux mulsumans : votre religion est fondamentalement mauvaise et toute tentative pour la rendre compatible avec les valeurs démocratiques occidentales ne peut être qu'une ruse de l'histoire pour détruire la culture européenne.

Mais Slama ne s'arrête pas en si bon chemin. Au milieu d'une argumentation socio-historico-politico-économique un peu tortueuse, il réussit à placer une statistique manifestement erronée ("le revenu par habitant frôle les deux tiers de celui de la République tchèque" ; voir ce PDF pour la réfutation) avant d'écrire sans rire :
Cette société paresseuse et entreprenante [sic ; mais c'est sûrement un effet de style] a atteint un certain équilibre ; elle est attachée à un certain bonheur de vivre, qui serait tué par les lois sociales et les normes juridiques européennes.
Une bonne dose d'orientalisme clichetonneux, une louche de mythe du bon sauvage et Slama nous ramène en plein XVIIIe siècle. On attend avec impatience la suite de la régression historique dans les semaines prochaines : au rythme où il va, l'éditorialiste du Figaro devrait s'attaquer au concile de Mâcon à la rentrée.
La NewYorkTimisation des éditorialistes français : épisode 1 

Si j'avais, comme Versac, une rubrique "admirés", Thomas Piketty y figurait sans aucun doute en bonne place. Pour le présenter rapidement : jeune et brillant économiste français("among the very best of economists in their thirties" selon Brad DeLong), de tendance néo-keynésienne et à ce titre honni tout autant par la gauche alter que la droite libér. Piketty a en plus le bon goût de rendre accessible tous ses textes publiés sur son site Internet (quand il n'est pas down) et de faire partie des quatre larrons qui alternent à la rédaction de l'indispensable rubrique Economiques dans le Libération du lundi.

A la lecture de sa chronique d'aujourd'hui, j'ai cependant une crainte grandissante : j'ai peur que Piketty ne se transforme peu à peu en Krugman français. Comme tout le monde le sait, le plan de baisse d'impôts que Bush a présenté en 2000 a tellement irrité Paul Krugman qu'il a consacré depuis 90% de ses chroniques "économiques" dans le New York Times à dénoncer les mensonges de l'administration Bush. La révélation, pour Piketty, a été la décision de Fabius et Jospin de baisser l'impôt sur le revenu pendant l'été 2000. Pas de chance, Piketty travaillait à ce moment-là sur une somme (excellente, au demeurant) consacré aux inégalités de revenu en France au XXe siècle, dans lequel l'IRPP joue le rôle de chevalier blanc de l'économie et de la société françaises. Autant dire qu'il a très mal pris le revirement de la gauche sur la question de la baisse des impôts directs et qu'il a sévèrement tancé le gouvernement d'alors au moment de la sortie de son livre.

Le ridicule programme fiscal de Chirac n'a rien arrangé et Thomas Piketty ne se prive pas de rappeller à échéance régulière à quel point tout irait mieux en France si la droite n'avait pas décidé de diminuer les impôts. Il le fait encore aujourd'hui, en tirant à vue (avec raison) sur le faux plan de Douste Blazy et en sommant les responsables socialistes de s'engager à rétablir l'IRPP à son niveau de 2002 pour financer la protection sociale :
Certes, cela n'aurait aucun sens de s'engager à augmenter l'IR sitôt la gauche arrivée au pouvoir, quelles que soient les circonstances : tout dépend de la conjoncture et des besoins de financement de l'Etat. Par contre, cela aurait du sens de s'engager fermement à revenir en priorité sur les baisses d'IR de 2002-2003 dès lors que des augmentations de recettes se révéleraient nécessaires, par exemple pour financer l'assurance maladie.
Or, j'ai beau être d'accord avec lui sur le fond, il me semble que la stratégie politique qu'il conseille au PS est l'une des pires que ce dernier pourrait adopter.

D'une part, elle l'exonère de toute responsabilité dans la recherche de solutions structurelles pour remettre à flot l'assurance maladie. De l'autre, Piketty sait bien qu'une hausse uniforme de l'impôt sur le revenu, même conditionnelle, est une proposition qui a une chance quasi nulle de passer telle quelle auprès de la majorité de l'électorat. Ce n'est pas que je sois franchement opposé à ce que le PS soit taxé d'hypocrisie sur les questions fiscales, mais la querelle que cherche Piketty aux socialistes me semble en l'occurence assez vaine. J'espère qu'il ne fera pas preuve d'un acharnement krugmanien à la poursuivre.

21 mai 2004

Casse-tête à la tchèque 

Il y a peu de choses qui m'irritent autant que la tendance de nombre de mes compatriotes à appeler "Tchéquie" la République tchèque. Simple reflet de ma capillotétratomie désormais légendaire? Pas uniquement, car l'emploi du terme "Tchèquie" est plus qu'une entorse au vocable officiel. C'est aussi une incorrection géographique : en tchèque, "Cechy" désigne la partie (la Bohême) et non le tout (la Bohême-Moravie).

Il reste qu'une des lois d'airain de la linguistique est que les phonèmes évoluent de façon à nécessiter le moins d'effort de la part du locuteur. Ajoutez à cela les besoins des affaires et il n'est pas étonnant que les Tchèques essayent désespérement de remplacer la périphrase qui désigne actuellement leur Etat par un nom court, historiquement acceptable et anglo-compatible. Autant chercher un mouton à cinq pattes, nous explique The Economist [abonnement nécessaire] :
One problem is that a short name risks reminding older Czechs of the contemptuous terms “Tschechei” and “Rest-Tschechei” that the Nazis pinned on the rump of the country after seizing the Sudetenland in 1938. Modern Germans have got over this by coining the name “Tschechien”. The Czechs have welcomed this, despite confusion with Tschechenien, the German name for Chechnya, a war-torn bit of Russia.

Yet Czech businessmen still want an official short English name, so that they can brand their goods more snappily. Some have opted for “Made in Czech”. But this is the grammatical equivalent of “Made in British” or “Made in a Briton”: the first nonsensical and the second faintly unsettling. The obvious choice would be “Czechia”, which would complement Slovakia. It has been favoured for years by the foreign ministry and tourist authorities. But the natural English pronunciation, “Check-ee-ya”, grates on Czech ears. They would prefer the ch to be softer, as in the German Ich.

The common short name in Czech, “Cesko” (pronounced chess-go), also evokes mixed feelings, but is gaining acceptance for want of anything better. Vaclav Havel, when he was president, said it made his “flesh creep”. Others complain that it evokes the splitting of the country—Czechoslovakia with the Slovakia amputated. And some argue that it sounds too much like Tesco, a supermarket chain prominent in Prague (and noted for its Czech-outs).
Comme noté plus haut, "Bohême-Moravie" serait le terme le plus correct, mais ça ne tend pas à raccourcir la dénomination. En plus, c'était le nom du protectorat nazi de 1939 à 1945. Cette solution est donc exclue. Peut-être que le plus simple, finalement, serait de laisser la scissiparité refaire ce qu'elle avait défait en 1993, en séparant la Bohême et la Moravie...

20 mai 2004

Menaces sur la constitution européenne 

La victoire des sociaux-démocrates en Espagne et la chute du gouvernement Miller en Pologne ont assuré que le projet de constitution sera adopté lors du Conseil européen des 17 et 18 juin prochain. C'était du moins ce que nous prédisaient la majorité des commentateurs le mois dernier. L'opinion dominante est soumise à rude épreuve ces jours-ci.

D'abord, comme on pouvait le prévoir, la décision de Blair d'organiser un référendum sur la constitution a fortement durci la position britannique. Vu que l'électorat grand-breton a peu de chances d'adopter en état le projet de constitution, Blair (et Straw) menacent de faire capoter les négociations s'ils n'obtiennent pas une diminution significative du champ de la majorité qualifiée, comme l'écrivait hier Le Monde :
M. Straw a également remis en question l'introduction partielle du vote à la majorité qualifiée en matière de fiscalité, de sécurité sociale, de politique étrangère, de défense, de coopération pénale. M. Fischer lui a reproché d'appliquer la "tactique du salami", qui consiste à revenir, tranche par tranche, sur les acquis des discussions précédentes.

Le ministre britannique a affirmé que les "lignes rouges"de la Grande-Bretagne n'avaient pas changé et que, si elle n'obtenait pas satisfaction sur celles-ci, elle ne signerait pas le traité constitutionnel. "Nous voulons un accord en juin, a-t-il dit, mais il doit être acceptable pour les vingt-cinq pays, y compris la Grande-Bretagne."

"On ne peut pas réussir un accord pour le 18 juin si chacun multiplie ses blocages, ses réserves et ses réflexes nationaux", a répliqué M. Barnier. Plusieurs participants ont estimé que Londres, sans le dire explicitement, se prévalait de sa volonté d'organiser un référendum sur le projet de Constitution pour refuser toute concession qui risquerait de provoquer l'échec de la consultation. Ils ont jugé que cette perspective ne justifiait pas l'intransigeance britannique.
Ensuite, et contrairement à ce que rapporte Le Monde, les nouveaux gouvernements espagnols et polonais n'ont pas totalement renoncé à se battre pour conserver les avantages qu'ils avaient gagné à Nice. Selon le site EUpolitix :
D’aucuns pensaient que Madrid et Varsovie avaient décidé d’assouplir leur position, mais selon de hauts responsables nationaux, des divisions persistent.

« Si l’Espagne et la Pologne poursuivent sur la ligne adoptée ce matin, la bataille promet d’être difficile », a-t-on indiqué de source proche des négociations.

L’arrivée des socialistes au gouvernement espagnol en mars dernier avait laissé espérer un changement d’avis de la part de Madrid, mais le nouveau chef de la diplomatie espagnole, Miguel Moratinos, ne détient encore personne en otage. [NDM : sic!!! la version anglaise dit "is still taking no prisoners", ce qui signifie "ne pas faire de concessions"]

Les propositions de compromis avancées par l’Espagne, qui consistent à permettre aux États membres dont la population est moindre de bloquer les décisions communautaires, ne sont pas acceptables aux yeux de la France et de l’Allemagne.

La Pologne fait elle aussi pression sur la question de la pondération des voix au sein des Conseils des ministres européens.

Le ministre polonais des Affaires étrangères, Włodzimierz Cimoszewicz, a déclaré ce mardi ne pas être optimiste quant à la possibilité de s’accorder sur la Constitution d’ici juin.
Résultat, les esprits étaient bien échauffés lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UE (avec un échange fameux où Britanniques et Français se sont envoyés des noms d'insectes à la figure) et le pessimisme fait un retour en force. Il faut bien entendu prendre les déclarations tapageuses des négociateurs pour ce qu'elles sont : un moyen d'effrayer tout le monde pour grapiller quelques concessions. Mais la route vers un accord apparait beaucoup plus tortueuse aujourd'hui qu'on ne l'envisageait il y a un mois.
"Misère fiscale" 

Je préfère en parler avant que mes amis bloggeurs madelinistes ne se mettent à sauter comme des cabris en beuglant (certes, un cabri qui beugle, c'est assez rare) "misère fiscale", "misère fiscale", "champions du monde", champions du monde". Le -pas vraiment socialisant- magazine américain Forbes vient de sortir son enquête annuelle sur la charge fiscale dans 50 pays développés. L'étude comporte plusieurs classements mais le plus médiatisé est le "Tax Misery Index", qui se veut un indice synthétique du poids des principales contributions fiscales dans chaque pays à l'usage des investisseurs et des entrepreneurs. Et la France arrive régulièrement en tête de cet indice, culminant cette année à 174,8 points, contre 149,7 en Suède, 144 en Italie, 112,5 en Allemagne ou 111,3 au Royaume-Uni. D'accord, le score de la France a baissé de 18 points depuis 2000, grâce aux efforts combinés de Fabius et de Raffarin. Mais, quand même, c'est bien la preuve que nous vivons dans un pays crypto-soviétique qui fait tout pour décourager les "créateurs de richesse", non? En un mot : non.

Parce que cet indice de "douleur fiscale" (la traduction "misère fiscale" des Echos me semble vraiment incorrecte) est ce qu'on pourrait appeler poliment du bullshitage éhonté. La méthodologie de Forbes est en effet d'un ridicule achevé : elle consiste à additionner les taux marginaux de l'IR, de l'IS, de l'impôt sur le patrimoine, des cotisations sociales et de la TVA. Et... c'est tout. Pas de prise en compte des différences d'assiettes, du seuil à partir duquel le taux marginal s'applique, sans parler de la contrepartie (retraites, santé, transferts) des cotisations sociales. Juste une application bête et méchante de la théorie de l'offre la plus simpliste, pour qui seuls les taux marginaux compteraient. Et peu importe si ces taux n'ont qu'un rapport lointain avec la réalité de l'impôt effectivement acquitté.

Le profil du contribuable qui endurerait les pires souffrances fiscales en France est alors assez improbable : un célibataire sans enfant (parce que sinon, le quotient familial réduit radicalement l'IR), très bien payé (les simulations fiscales de Forbes montrent que la France ne commence à être vraiment mal classée qu'à partir de 1 million de dollar de salaire brut) et suffisamment idiot pour ne pas profiter des diverses niches fiscales que lui offre le système français. Le seul intérêt de cet indice est en fait de faire la preuve par l'absurde de ce que tous les fiscalistes sérieux savent depuis longtemps : le défaut majeur de l'architecture des prélèvements obligatoires français est de combiner assiettes mitées et taux élevés.

18 mai 2004

Mieux vaut tard 

Le New York Times nous apprend que nos amis de Washington se sont enfin décidés à arrêter les frais avec Ahmad Chalabi :
The United States government has decided to halt monthly $335,000 payments to the Iraqi National Congress, the group headed by Ahmad Chalabi, an official with the group said on Monday.

Mr. Chalabi, a longtime exile leader and now a member of the Iraqi Governing Council, played a crucial role in persuading the administration that Saddam Hussein had to be removed from power. But he has since become a lightning rod for critics of the Bush administration, who say the United States relied on him too heavily for prewar intelligence that has since proved faulty.

Mr. Chalabi's group has received at least $27 million in United States financing in the past four years, the Iraqi National Congress official said. This includes $335,000 a month as part of a classified program through the Defense Intelligence Agency, since the summer of 2002, to help gather intelligence in Iraq. The official said his group had been told that financing will cease June 30, when occupation authorities are scheduled to turn over sovereignty to Iraqis.

Internal reviews by the United States government have found that much of the information provided as part of the classified program before American forces invaded Iraq last year was useless, misleading or even fabricated.
Je ne sais plus où j'ai lu ça, mais toute la relation entre l'INC et les néoconservateurs fait effectivement penser à une arnaque à la nigériane, les armes de destruction massive remplaçant les sommes bloquées sur des comptes bancaires. La décision d'aujourd'hui rappelle quant à elle la célèbre phrase de Churchill : "You can always count on Americans to do the right thing - after they've tried everything else."

(via Sadly, No!)

17 mai 2004

Une balle dans le pied 

J'ai écrit précédemment que mon avis sur le mariage homosexuel était "loin d'être fait". Je doute que ce soit encore le cas aujourd'hui, après avoir suivi le débat qui s'est engagé depuis trois semaines. D'un côté, les arguments des anti-mariage me semblent peu convaincants :
  • Le pire est évidemment de se tromper de débat en arguant que l'adoption par des couples homosexuels est indésirable et/ou que l'union célébrée par Mamère serait illégale (ce qui reste à confirmer par le juge national et le juge européen) pour refuser le principe du mariage homo.

  • Tautologiser sur le fait que le mariage est "l'union d'un homme et d'une femme" est à peine plus honorable.

  • Plus intéressant est l'argument selon lequel le mariage est basé sur le souci de protéger la filiation, à laquelle les couples homosexuels ne sauraient évidemment accéder. Certes. Mais dans ce cas que faire des couples hétérosexuels mariés qui ne peuvent ou ne veulent pas concevoir d'enfant? Faut-il leur retirer les bénéfices sociaux et juridiques du mariage?
Au contraire, les arguments du camp opposé m'apparaissent beaucoup plus solides. Je me permets de citer longuement un vieil éditorial (1996) de The Economist qui exposait deux raisons principales en faveur du mariage homosexuel (c'est moi qui souligne) :
It is true that the single most important reason society cares about marriage is for the sake of children. But society's stake in stable, long-term partnerships hardly ends there. Marriage remains an economic bulwark. Single people (especially women) are economically vulnerable, and much more likely to fall into the arms of the welfare state. Furthermore, they call sooner upon public support when they need care—and, indeed, are likelier to fall ill (married people, the numbers show, are not only happier but considerably healthier). Not least important, marriage is a great social stabiliser of men. Homosexuals need emotional and economic stability no less than heterosexuals—and society surely benefits when they have it.

[...] To this principle of social policy, add a principle of government. Barring a compelling reason, governments should not discriminate between classes of citizens. As recently as 1967, blacks and whites in some American states could not wed. No one but a crude racist would defend such a rule now. Even granting that the case of homosexuals is more complex than the case of miscegenation, the state should presume against discriminating—especially when handing out something as important as a marriage licence.
L'argument de la stabilité répond à l'objection sur la filiation. Celui de la non-discrimination à celle du maintien du statu quo (PACS / mariage). Et le tout n'est pas loin de me convaincre définitivement.

Cela dit, ma position provisoire sur le sujet doit beaucoup à mon inclination libérale (au sens classique et politique du terme). Je peux comprendre que d'autres, et pas seulement à droite, aient sur ce sujet une position inverse, reflet de valeurs différentes. Ce qui implique que la décision éventuelle de modifier les fondements de notre conception sociale du mariage ne peut se prendre à la légère. Pour ces raisons, je suis pleinement d'accord avec l'éditorialiste anonyme du Monde du jour :
Les principaux présidentiables [du PS] se sont livrés à une course-poursuite aussi ridicule que dérisoire, le jeu consistant à revendiquer un jour d'avoir été le premier à défendre le mariage gay.

Dominique Strauss-Kahn s'est découvert partisan du mariage homosexuel et de l'adoption d'enfants par un couple homoparental. Aussitôt, Laurent Fabius s'est cru obligé de rappeler à son rival que, depuis un an, les gays désireux de se marier n'avaient pas de plus grand défenseur que l'ancien premier ministre. Bouquet final : François Hollande s'est senti à son tour obligé de forcer la cadence. Le bureau national du PS a chargé les députés socialistes d'élaborer une proposition de loi déterminant "les conditions et les règles" des mariages homosexuels.

[...] La morale de l'histoire est que la direction du PS a fait une erreur. En voulant aller trop vite pour ne pas être accusé d'être hermétique aux évolutions des mœurs, en ne se donnant pas le temps d'un débat approfondi, comme le lui conseillait Martine Aubry, le PS s'est pris les pieds dans le tapis. Il offre une image de division. Quelle que soit l'opinion que l'on peut avoir sur le mariage gay, un minimum de respect pour les défenseurs de cette revendication, parmi les associations homosexuelles, une juste mesure du sérieux de la question posée, et de ses incidences sociales et morales, auraient mérité une véritable réflexion.
J'ajoute que lier mariage et adoption, comme l'ont fait DSK et Fabius, est sûrement une bévue tactique de plus dans une histoire qui en comporte déjà beaucoup trop.

14 mai 2004

Pourquoi oh mais pourquoi ne peut-on avoir de meilleurs journalistes? 

"Le flux des redevables à l'ISF qui s'expatrient ne tarit pas" clame aujourd'hui La Tribune, en titre d'un article en page intérieure. Ce qui, à la lecture des chiffres, est techniquement exact mais sacrément trompeur. Comme l'explique le corps de l'article :
Entre 350 et 370 redevables à l'ISF s'expatrient chaque année depuis 1997. De prime abord, cette fourchette semble peu élevée, puisqu'elle représente seulement 0,13% des contribuables assujetis à l'ISF en 2002.
Affaire close? Pas du tout. Notez bien le "de prime abord", qui annonce une contre-attaque fulgurante :
Mais en cumulé, 2 525 contribuables ont néanmoins choisi de s'expatrier pour se soustraire à l'impôt.
Aha! La logique de la multiplication par sept est décidement implacable : on ne peut que rester un moment coi devant ce genre d'argument.

Après, on se demande ce qui est le plus choquant. Est-ce cette façon d'assimiler automatiquement toute expatriation d'un contribuable (très) aisé à une fuite devant l'impôt, comme s'il n'existait pas d'autres bonnes raisons de vouloir partir à Londres ou à New York (voir une analyse nuancée ici, en annexe)? L'hypothèse implicite que les lecteurs de La Tribune sont des crétins finis? Ou le fait qu'un journaliste se contente de reprendre point par point l'argumentaire que lui a gracieusement fourni un sénateur UMP?

13 mai 2004

La vengeance de l'Ex, épisode CCXVIII 

Le fait d'avoir perdu son dernier mandat électif sans avoir encore retrouvé la fonction éminente qui lui revient de droit laisse à Giscard un peu de temps pour s'adonner à son passe temps favori : commenter son septennat, et en profiter pour lâcher quelques vacheries sur Chirac :
PARIS (AFP) - Valéry Giscard d'Estaing a légendé, pour le Monde 2 à paraître samedi, vingt photos retraçant son parcours à l'Elysée, se livrant à des confidences notamment sur la "curieuse fixation" de Jacques Chirac en 1976 en faveur d'une dissolution de l'Assemblée. [...]

Jacques Chirac avait, souligne M. Giscard d'Estaing, "une curieuse fixation: il voulait que je dissolve l'Assemblée nationale. Moi, je ne voulais absolument pas. A mes yeux, une dissolution est une sanction et je ne me voyais pas sanctionner ma majorité, qui n'avait pas démérité". "Par ailleurs, je n'étais pas certain que nous puissions gagner les élections", glisse VGE.
Cette "confidence" rappelle quand même étrangement les propos qu'avait tenus il y a deux ans un certain Giscard d'Estaing au cours d'un colloque consacré à "son" septennat. L'événement était relaté par Le Monde du 31 janvier 2002, dans un article signé de l'excellent Jean-Baptiste de Montvalon et titré "Valéry Giscard d'Estaing règle toujours ses comptes avec Jacques Chirac" :
Avec gourmandise et moult détails, "VGE" a ainsi révélé que la "première cause de difficulté" avec le "premier ministre d'avant 1976" était venue de ce que M. Chirac l'avait instamment prié, au printemps 1976, de dissoudre l'Assemblée nationale. Toute ressemblance avec la dissolution d'avril 1997 n'est sans doute pas fortuite : "J'ai reçu une lettre manuscrite de deux feuillets. Il évoquait une situation politique très dégradée, et me demandait de procéder à la dissolution pour reprendre en main l'opinion publique", a raconté M. Giscard d'Estaing, en ajoutant qu'il n'y avait pas donné suite, cette pratique n'étant "pas dans [sa] culture politique" et lui paraissant, en l'espèce, "extrêmement aventurière".
La vengeance de Giscard est un plat que Chirac est obligé de déguster glacé, une petite cuillerée tous les ans, depuis 1981.

12 mai 2004

Du PIB et des comparaisons internationales 

L'INSEE a publié ce matin sa première estimation du PIB de la France au 1er trimestre 2004. Et le chiffre est vraiment encourageant :
Selon l'estimation précoce du taux de croissance au premier trimestre de l'année 2004, publiée par l'Institut national de la statistique et des études économiques, le produit intérieur brut (PIB) français a progressé de 0,8%, une augmentation par rapport au 0,6% enregistré aux 3e et 4e trimestres de 2003.

L'acquis de croissance pour 2004 est donc relevé à 1,5% à la fin du premier trimestre, ce qui amène les responsables de l'INSEE à prévoir une croissance supérieure à la prévision officielle du gouvernement de 1,7%. "On se rapproche de 2% pour 2004", s'il n'y a pas "de retournement de conjoncture dans les trois trimestres qui viennent", a-t-on souligné à l'INSEE. "Aujourd'hui, on ne l'anticipe pas".
Evidemment, une hirondelle statistique ne fait pas nécessairement le printemps économique. Ce chiffre doit en effet être pris avec précaution, pour trois grandes raisons :
  • C'est une "estimation précoce", c'est à dire le premier calcul par l'INSEE du taux de croissance pour le trimestre écoulé. La rapidité de publication se paye en termes de fiabilité. Le chiffre brut de 0,8% est donc susceptible d'évoluer quand les 2e ("premiers résultats") et 3e estimations ("résultats détaillés") seront publiées, respectivement le 19 avril et le 30 juin.

  • Un trimestre ne fait pas une tendance. Le début 2002 avait aussi vu un début de reprise qui s'était cassé au deuxième semestre sous l'effet conjugué de la hausse de l'euro, de la baisse des marchés financiers et des tensions géopolitiques. Cela dit, l'économie française vient de connaître trois trimestres de croissance égale ou supérieure à sa moyenne de long terme (0,6 - 0,6 - 0,8), ce qui semble indiquer qu'un cycle de croissance est engagé.

  • Un autre inconvénient du produit "estimation précoce" est qu'il ne donne pas de chiffres du PIB par grandes composantes : consommation, investissement, exportations, dépenses publiques. A priori, la consommation et les exportations ont été "dynamiques" (pour reprendre le jargon des économistes) sur le dernier trimestre. Mais un vrai signe de reprise durable serait une poursuite de la croissance des investissements. En plus, la consommation des ménages ne peut pas éternellement progresser plus vite que leurs revenus (en majorité les salaires), donc il faut aussi attendre une baisse du chômage pour s'assurer que la machine est vraiment repartie.
Il est alors urgent d'attendre confirmation de ce bon chiffre et déraisonnable de crier victoire dès maintenant. Ceci étant dit, ce type de nouvelles permet de relativiser un peu le discours invariable des commentateurs économiques sur la sclérose européenne et la pétulance américaine. Il y a certes une partie de vrai dans cette analyse. Mais, souvent, le diagnostic est faussé par une lecture simpliste des données. On sait ainsi que la croissance du PIB américain au premier trimestre 2004 est estimée à 4,2%. Un chiffre auprès duquel notre pauvre 0,8% fait vraiment pitié.

Sauf qu'évidemment le 4,2% est un chiffre en rythme annuel, c'est à dire qu'on est en droit de multiplier notre 0,8% par 4 (soit 3,2%) pour avoir une comparaison plus juste. Mais pas totalement juste, cependant, car une partie du différentiel franco-américain s'explique par le fait que la population américaine augmente plus vite que la population française. Cet avantage démographique américain se traduit, toutes choses égales par ailleurs, par une croissance annuelle du PIB supérieure d'un point à la croissance française. Ce qui veut dire que notre 0,8% français est grosso modo égal au 4,2% américain, dès lors que l'on s'intéresse à la croissance du PIB par tête et plus à la croissance du PIB total. J'attends donc avec impatience que nos commentateurs économiques s'inquiètent de la "surchauffe" de l'économie française.

11 mai 2004

Du bon usage des référendums 

Phersu résume joliment le petit jeu de faux semblants auquel se livre les ténors de la droite :
Ce qui me fait le plus rire dans toute cette histoire de Référendum sur la Constitution européenne est que Chirac fait semblant d'avoir le choix d'en faire ou pas, Sarkozy fait semblant de pouvoir influencer Chirac en disant qu'il en faut un, Juppé fait semblant de soutenir l'idée pour ne pas se faire trop dépasser par Sarkozy, Raffarin fait semblant d'avoir la moindre autorité sur tout le monde, Chirac fait ensuite semblant de pouvoir temporiser alors que même son parti s'est prononcé pour.
Cela dit, je ne suis pas sûr d'adhérer complètement à sa conclusion :
Bien sûr qu'il y aura un Référendum sur la Constitution de Giscard. Chirac est d'un attentisme idiot en ne le reconnaissant pas.
Je suis très favorable à l'idée du référendum, et pas seulement pour remplir un calendrier électoral qui s'annonce bien vide jusqu'en 2007. Mais il me semble que Phersu sous-estime quelque peu les capacités de Chirac à fuir ses responsabilités politiques. Le bougre avait déjà promis en 1995 un référendum sur la réforme de l'éducation [attention : musique midi insupportable derrière ce lien], dont personne n'a jamais vu la couleur. En 2000, il avait fallu le feu combiné de Giscard, Juppé (déjà) et Jospin pour que Chirac finisse par concéder un référendum sur le quinquennat.

La pression de la droite est certes importante aujourd'hui. Mais je doute que la gauche fasse preuve d'un enthousiasme délirant à demander une consultation qui risque de réouvrir des divisions qu'elle a réussi tant bien que mal à cacher depuis quelques mois.

L'argument selon lequel toutes les grandes réformes des dernières décennies ont fait l'objet de référendum est aussi infondé. D'une part, nombre de révisions consitutionnelles ont été adoptées par le parlement réuni en congrés. De l'autre, et à part Maastricht, tous les traités européens récents (Acte unique, Amsterdam, Nice) ont été ratifiés par la voie parlementaire.

Enfin, malgré son nom, ce projet de constitution a beaucoup plus l'allure juridique d'un traité que d'une constitution. Et il n'apporte pas d'innovations délirantes par rapport à la vraie grande avancée qu'était Maastricht : c'est plus une super-consolidation des textes existants qu'un vrai texte fondateur.

S'il le veut, Chirac a donc pas mal de bonnes raisons politiques, historiques et juridiques pour justifier un lapin posé aux électeurs. Mais le veut-il? Je n'en sais rien. Il est possible qu'il cherche juste à défendre son pré carré constitutionnel en n'ayant pas l'air d'agir sous la pression. Mais il n'est pas totalement exclu qu'il cherche, sur cette question comme sur d'autres, à s'éviter des emmerdements superflus.
Quand les mouches changent d'âne 

Il y a un peu plus d'un an, les sieurs Bruckner, Gluycksmann et Goupil se fendaient d'une tribune dans Le Monde qui rappelait, par instants, la rhétorique outrancière des pages éditoriales du Wall Street Journal :
Il faudra raconter un jour l'hystérie, l'intoxication collective qui ont frappé l'Hexagone depuis des mois, l'angoisse de l'Apocalypse qui a saisi nos meilleurs esprits, l'ambiance quasi soviétique qui a soudé 90 % de la population dans le triomphe d'une pensée monolithique, allergique à la moindre contestation. (…) Pendant des semaines, Télé Bagdad a envahi nos cervelles et nos petites lucarnes (…) La République va-t-elle instaurer, avec Berlin et Moscou, une journée de deuil national pour pleurer la disparition du raïs?
Il y avait certes beaucoup à critiquer dans l'alignement inconditionnel d'une bonne partie de la presse française sur la position Chirac-Villepin. Le journaliste Alain Hertoghe y a consacré depuis un ouvrage qui lui a valu d'être débarqué de la rédaction de La Croix. Mais le fait d'assimiler systématiquement les opposants à la guerre à des soutiens de Saddam Hussein était et demeure moralement et intellectuellement insupportable.

Aussi est-ce avec un soulagement certain que j'apprends que Pascal Bruckner s'est enfin décidé à manger du corbeau dans une tribune parue ce matin dans Le Figaro :
Ceux qui, au nom du droit d'ingérence, soutenaient il y a un an le principe d'une intervention dans le Golfe doivent reconnaître que celle-ci a échoué, au regard de ses ambitions proclamées : instaurer une oasis de démocratie dans un environnement totalitaire, rendre le monde plus sûr.
Il récapitule ensuite les multiples erreurs de gestion de l'après-guerre, qu'il lie à l'aveuglement messianique de l'administration Bush, avant de conclure :
Une chose est sûre, dans tous les cas. Dans la lutte contre le terrorisme, l'incompétence est impardonnable. Il faut donc commencer par changer de locataire à la Maison-Blanche.
Notons que Bruckner n'est ni un cas isolé, ni la preuve que l'esprit munichois propre aux Français finit toujours par reprendre le dessus. Nombre de conservateurs américains conséquents livrent, ces jours-ci, à peu près la même analyse.

Ce qui est vraiment tragique est que l'incompétence de l'axe Bush-Cheney-Rumsfeld est en train de donner raison à la fois aux anti-américains viscéraux, pour qui toute initiative américaine est forcement mauvaise (cf Kosovo), et aux ultraréalistes qui refusent le principe même d'une politique internationale reposant sur la promotion des valeurs démocratiques. Or, il il y avait de vrais arguments en faveur d'une intervention en Irak, et une probabilité non nulle pour qu'elle permette d'enclencher une dynamique positive au Proche et Moyen Orient. Mais pas, à l'évidence, sous la conduite de cette administration, ce qu'écrivait déjà Daniel Davies en octobre 2002.

10 mai 2004

Tous aux abris 

La blogosphère francophone devient vraiment mal famée : après les avocats, c'est au tour des économistes de s'y mettre. Ces derniers devraient lancer leur blog prochainement sous peu - s'ils respectent leur planning en tout cas, ce qui n'est pas vraiment dans leur habitude.

Plus sérieusement, c'est une excellente nouvelle pour la qualité générale du débat économique dans notre bonne blogosphère : non seulement les trois conjurés d'Econoclaste savent vraiment de quoi ils parlent, mais ils savent surtout conjuguer les joies de la pédagogie et avec les charmes de l'humour crétin. Les hordes de libéralo-libéraux n'ont qu'à bien se tenir. Et votre serviteur aussi, qui va devoir faire plus que gaffe désormais lorsqu'il aura l'idée saugrenue de mettre en ligne ses opinions économiques très partiellement éclairées.

07 mai 2004

Eloge du Monde 

La rubrique Débats du Monde de ce soir contient non pas un mais deux excellents textes sur deux thèmes également polémiques : Evidemment, je ne peux pas m'empêcher d'avoir quelques points de désaccord avec les deux auteurs. Par exemple, Delhommais a raison de dire que l'évolution de la dette publique est probématique. Mais l'argument selon lequel le vrai risque est dû à la remontée des taux d'intérêts est faible, au moins à court terme : aux dernières nouvelles, la très grande majorité des titres de dette publique sont émis à taux fixe, et non à taux variable. La charge d'intérêt augmentera certes à mesure de l'émission de nouveaux titres mais elle sera aussi diminuée par l'arrivée à échéance d'obligations à taux d'intérêt élevés. Quitte à défendre une vision pessimiste, il me semble qu'il aurait été plus judicieux de parler des évolutions démographiques à moyen terme, qui accroissent les besoins de financement pour les retraites et le système de santé.

Le texte de Pierre-Yves Gautier est plus solide, mais la symétrie annoncée de son argumentaire est faussée par l'irruption de considérations purement normatives dans sa partie "contre", alors que le partie "pour" se limite à l'analyse positive.

Mais je pinaille : les deux textes ont le grand mérite de clarifier les enjeux, de rappeler des faits incontestables et d'évacuer au passage quelques stupidités trop souvent répétées (non, la France n'est pas au bord de la cessation de paiement et non, le texte du Code civil n'exclut pas formellement le mariage homosexuel). Autant de bonnes raisons pour que le lecteur soucieux de se forger une opinion éclairée en ces matières y jette un oeil attentif.
Dilemme 

Vais-je pouvoir continuer à suivre l'actualité américaine dans les prochains jours sans tomber fortuitement sur un récit de l'épisode final de Friends? Ca serait d'autant plus dommage que la série semble retrouver dernièrement un peu de son charme d'autan (l'épisode de Thanksgiving diffusé mardi dernier sur Jimmy était très réussi). Et je ne veux pas qu'on me gâche prématurement mes derniers espoirs d'assister aux retrouvailles de Ross et Rachel. D'un autre côté, j'ai besoin de ma dose quotidienne de presse américaine. Il ne me reste plus qu'à espérer que le New York Times, le Washington Post et les blogs américains friands de culture télévisuelle (au hasard, Matthew et Daniel) vont tous mettre des "spoilers warning" sur leurs pages. "Fat chance", as they say.

Addendum : Dans le WaPo d'aujourd'hui, Tina Brown s'interroge sur les raisons sociologiques du succès de la série et s'autorise cette observation, en simili-français dans le texte :
Here's a reason to miss "Friends": nostalgie de la boom.
Ce qui, pour une oreille française, évoque plus le souvenir de Poupette et de Sophie Marceau que celui de l'expansion économique des années Clinton.

06 mai 2004

Plan-plan 

J'avais promis de faire preuve de mesquinerie sur le plan Sarkozy. Je crois que je vais m'abstenir. D'abord parce qu'il faut bien que j'abandonne, au moins une fois de temps en temps, mon ironie facile. Ensuite parce que, finalement, le paquet de cadeaux fiscaux présenté par notre bon ministre d'Etat ne se prête guère aux remarques acerbes.

L'enrobage sarkozien et l'engouement pavlovien d'une bonne partie des commentateurs ne sauraient en effet faire illusion : les mesures présentées ne sont que la reprise et/ou la continuation de la politique conduite par Francis Mer. Un programme d'orthodoxie budgétaire classique, avec privatisations, gel des dépenses publiques et respect affiché des critères du Pacte de stabilité. Au risque de me fâcher avec une bonne partie de mon lectorat (c'est à dire plus de la moitié de ma dizaine des lecteurs), je soutiens que ce type de programme, au vu des circonstances actuelles, n'est pas sans mérites. D'un côté, Sarkozy, beaucoup plus que Mer, a la capacité de peser sur les arbitrages budgétaires, à la fois pour imposer des coupes sombres dans les budgets des autres ministères et aussi pour bloquer, au moins en partie, une nouvelle baisse de l'IRPP. De l'autre, le couple baisse des déficits / baisse de l'épargne privée pour relancer la croissance est une stratégie parfaitement défendable, qui rappelle un peu le cercle vertueux de l'administration Clinton. Je suis donc d'accord, bien qu'il m'en coûte, avec Bernard Spitz.

Le problème est évidemment que les promesses inconsidérées du candidat Chirac (qui je le rappelle, s'appuyaient sur une hypothèse de 3% de croissance annuelle entre 2002 et 2007) ont largement réduit les marges de manoeuvre. Ce qui fait que les mesures de soutien à la consommation sont bien faiblardes, et qu'elles ne seront pas suffisantes pour neutraliser l'effet contracyclique du tour de vis des finances publiques. En plus, et là je partage l'avis d'Eric Heyer, elles sont plutôt mal ciblées car elles ne s'adressent vraiment qu'aux contribuables payant beaucoup d'impôt sur le revenu. Et c'est vrai qu'il y a comme une légère contradiction à créer de nouvelles exonérations fiscales pour relancer la consommation, tout en annonçant son intention de réduire le nombre de niches fiscales (ce qui est bienvenu mais politiquement très délicat : comme le dit le député Gilles Carrez, "dans chaque niche il y a un chien").

Beaucoup de bruit pour pas grand chose, donc. Paradoxalement, les mesures les plus intéressantes ont été annoncées ou proposées en marge de la conférence de presse de mardi dernier. C'est d'une part la vraie bonne réforme de la perception de la redevance, dont le coût de collecte devrait être allégé via un couplage avec la taxe d'habitation et le rendement amélioré avec une chasse aux fraudeurs plus agressive (il faudra néanmoins que le croisement des données fiscales et des fichiers d'abonnées au câble et satellite passe l'obstacle du Parlement). C'est aussi un contre-programme économique socialiste qui tient globalement la route, avec des propositions de réforme fiscale et de refonte/augmentation de la prime pour l'emploi. C'est certes loin d'être parfait, surtout concernant la politique de l'emploi, mais cela rattrape quelque peu la désastreuse impression laissée par le programme européen du PS.

05 mai 2004

Emprunt (à) Balladur 

Je pars voir LE match dans un pub, donc pas de bloggage ce soir. Mes remarques mesquines sur le plan Sarkozy attendront demain. Je remarque quand même en passant une ressemblance inquiétante entre les annonces sarkoziennes et cette tribune parue la veille. Tribune qui m'a d'ailleurs passablement énervé, au vu de la propension de l'auteur à user et abuser de formules péremptoires (car, évidemment, "chacun sait que..."). Au point de donner une certaine crédibilité aux pourfendeurs de la prétendue "pensée unique". Et au risque de déraper violemment avec cette phrase mémorable :
Il n'y a pas d'alternative au courage et à la rapidité.
Mais si, voyons : ça s'appelle la lâcheté et la lenteur. En version light, le réalisme et la prudence. Et Balladur, quoi qu'il en dise, à su en user aussi bien que d'autres quand le coût politique de mesures par trop impopulaires aurait pu nuire gravement à ses visées présidentielles.

04 mai 2004

Vent mauvais 

Phersu a cent fois, mille fois raison. Cette proposition de loi, pour être récurrente, n'en est pas moins abjecte. Et la mauvaise foi des 47 députés promoteurs de la proposition ne s'arrête pas à l'enrôlement forcé de Robert Badinter au milieu de l'exposé des motifs. Elle va jusqu'à reprendre une citation du discours prononcé en septembre 1981 par Robert Badinter devant la représentation nationale lors de la discussion de la loi abolissant la peine de mort. Et même -exquise perversité!- une citation extraite du passage où le garde des sceaux récuse explicitement l'argument selon lequel la lutte contre le terrorisme pourrait justifier le maintien de la peine de mort :
M. le garde des sceaux. Je sais qu'aujourd'hui et c'est là un problème majeur - certains voient dans la peine de mort une sorte de recours ultime, une forme de défense extrême de la démocratie contre la menace grave que constitue le terrorisme. La guillotine, pensent-ils, protégerait éventuellement la démocratie au lieu de la déshonorer.

Cet argument procède d'une méconnaissance complète de la réalité. En effet l'Histoire montre que s'il est un type de crime qui n'a jamais reculé devant la menace de mort, c'est le crime politique. Et, plus spécifiquement, s'il est un type de femme ou d'homme que la menace de la mort ne saurait faire reculer, c'est bien le terroriste. D'abord, parce qu'il l'affronte au cours de l'action violente ; ensuite parce qu'au fond de lui, il éprouve cette trouble fascination de la violence et de la mort, celle qu'on donne, mais aussi celle qu'on reçoit. Le terrorisme qui, pour moi, est un crime majeur contre la démocratie, et qui, s'il devait se lever dans ce pays, serait réprimé et poursuivi avec toute la fermeté requise, a pour cri de ralliement, quelle que soit l'idéologie qui l'anime, le terrible cri des fascistes de la guerre d'Espagne : "Viva la muerte !", "Vive la mort !" Alors, croire qu'on l'arrêtera avec la mort, c'est illusion.

Allons plus loin. Si, dans les démocraties voisines, pourtant en proie au terrorisme, on se refuse à rétablir la peine de mort, c'est, bien sûr, par exigence morale, mais aussi par raison politique. Vous savez en effet, qu'aux yeux de certains et surtout des jeunes, l'exécution du terroriste le transcende, le dépouille de ce qu'a été la réalité criminelle de ses actions, en fait une sorte de héros qui aurait été jusqu'au bout de sa course, qui, s'étant engagé au service d'une cause, aussi odieuse soit-elle, l'aurait servie jusqu'à la mort. Dès lors, apparaît le risque considérable, que précisément les hommes d'Etat des démocraties amies ont pesé, de voir se lever dans l'ombre, pour un terroriste exécuté, vingt jeunes gens égarés. Ainsi, loin de le combattre, la peine de mort nourrirait le terrorisme. [Applaudissements sur les bancs des socialistes et sur quelques bancs des communistes.]

A cette considération de fait, il faut ajouter une donnée morale : utiliser contre les terroristes la peine de mort, c'est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers. Quand, après l'avoir arrêté, après lui avoir extorqué des correspondances terribles, les terroristes, au terme d'une parodie dégradante de justice, exécutent celui qu'ils ont enlevé, non seulement ils commettent un crime odieux, mais ils tendent à la démocratie le piège le plus insidieux, celui d'une violence meurtrière qui, en forçant cette démocratie à recourir à la peine de mort, pourrait leur permettre de lui donner, par une sorte d'inversion des valeurs, le visage sanglant qui est le leur.

Cette tentation, il faut la refuser, sans jamais, pour autant, composer avec cette forme ultime de la violence, intolérable dans une démocratie, qu'est le terrorisme.
Addendum (07/05) : De pire en pire! Eolas nous livre une brillante analyse juridique des 5 articles de la proposition de loi et conclut que nos 46 députés décapiteurs sont aussi des juristes exécrables.

03 mai 2004

Bizarrerie institutionnelle 

Hier, le Parlement européen comptait 625 membres. Aujourd'hui, il en comprend 787, qui sont réunis pour une session qui dure jusqu'a jeudi. Après les prochaines élections du 10 au 13 juin, les députés européens ne seront plus que 732.

Cette bizarrerie tient en fait à la conjonction de deux facteurs : l'élargissement a transformé aujourd'hui 162 observateurs des 10 pays entrants en députés européens de plein droit, même s'ils n'ont pas été élus. Ce chiffre de 162 (dont 54 députés pour la Pologne et 26 pour la Hongrie et la République Tchèque) sera conservé à l'occasion des élections de juin. Par contre, l'application du protocole sur l'élargissement du traité de Nice réduit le nombre de députés pour la majorité des autres pays membres : l'Allemagne reste à 99, mais la France, l'Italie et le Royaume-Uni passent de 87 à 72, l'Espagne de 64 à 50 et ainsi de suite.

Il faut enfin noter que le projet de Constitution européenne fait passer le nombre maximal de députés à 736 (au lieu de 732 pour Nice) et le nombre minimal de députés par pays à 4, alors que le minimum est aujourd'hui de 5 pour Malte. Ces chiffres devraient être définitifs, sauf marchandages de dernière minute au sommet européen de juin prochain. Ce qui n'est, hélas, pas totalement à exclure.
L'Islande, l'autre pays de la grève 

Le pénultième numéro de The Economist contenait cet intéressant graphique :



Et voilà! Encore une idée reçue qui s'effondre : les Français ne sont pas champions du monde de la grève. Le rang (15e sur 21) est certes loin d'être flatteur. Mais en valeur absolue la France se maintient aux alentours de la moyenne, en compagnie de pays comme l'Australie ou l'Irlande qui sont citées régulièrement en exemple dans les gazettes libérales. Je constate aussi en passant qu'on chercherait en vain une corrélation entre taux de chômage et fréquence des grèves : a priori, un marché de l'emploi tendu renforce le pouvoir de négociation des salariés, ce qui devrait augmenter la probabilité des grèves. Le graphique ne montre rien de tel, preuve que d'autres facteurs (culture politique, poids et orientation des syndicats) jouent un rôle au moins aussi important.

Précision nécessaire (cf le rapport de l'Office of National Statistics) : les comparaisons internationales sont délicates. D'une part parce que la définition de l'événement "grève" varie selon les pays. D'autre part parce que certains pays prennent en compte les travailleurs non-grévistes empêchés de travailler à cause d'une grève dans leur entreprise et d'autres pas. Cela dit, les services français ont une définition plutôt large, ce qui conduit à penser que le chiffre de la France est plutôt surévalué. Au contraire des Etats-Unis, où seules les grèves impliquant plus de 1 000 salariés sont prises en compte. Ce qui laisse à penser que la France et les Etats-Unis doivent se situer à peu près au même niveau.

Pourquoi alors le travailleur français garde-t-il cette image de fauteur de grève permanent? Sans doute parce que les arrêts de travail sont, en France, concentrés dans le service public, donc très visibles et perturbateurs. En plus, les grandes grèves s'accompagnent généralement de défilés à Paris, ce qui les rend immédiatement perceptibles par les correspondants de médias étrangers. Je me souviens d'un article dans la presse anglo-saxonne (peut-être celui-là) qui notait que la France est le seul pays où un quotidien (Le Parisien) consacre chaque jour une page à l'annonce des manifestations dans la capitale. Ce qui est certainement vrai, mais hors sujet : une observation, surtout aussi indirecte, ne fait pas une statistique, ce que confirme les données présentées par l'ONS.