31 mai 2005

Session extraordinaire droit devant 

Chirac :
Mais la priorité de l'action gouvernementale, au service des Françaises et des Français, c'est, évidemment, l'emploi. Il exige une mobilisation nationale.
Un paragraphe plus loin :
L'urgence, ce n'est pas d'ajouter des textes aux textes,
Bon, on devrait avoir une "Loi de mobilisation nationale pour l'emploi" avant la fin juillet.
Le survivant 



Finalement, comme l'annonçait déjà Oli hier soir, Chirac a décidé de n'en faire qu'à sa tête, et de faire un gros bras d'honneur à sa majorité parlementaire, aux éditorialistes du Figaro et à tous les électeurs qui réclamaient le petit Nicolas. En démontrant, de façon très anecdotique, que, décidement, mes pronostics ne valent pas tripette.

Bienvenue dans une France bonapartiste. Avec Sarkozy dans le rôle de Blücher.

Add. (12:00) : tout change! Sarko va faire Grouchy, en revenant au ministère de l'Intérieur. Gouvernement d'Union nationale et blablabla. La voilà, la surprise!

... et Sarko reste évidemment à la tête de l'UMP, sinon il n'aurait jamais accepté de revenir au gouvernement. La jurisprudence "un ministre du gouvernement ne peut pas être dirigeant du parti majoritaire parce que cela va contre l'esprit des institutions en affaiblissant le Premier ministre" serait donc déjà remise en cause? Je suis choqué.

30 mai 2005

Bal des prétendants à Matignon : deux morts? 

Le grand Jacques annoncera donc demain le nom du successeur de Raffarin. Tout le monde voit Sarkozy à Matignon. Ou Villepin. Je ne crois pas du tout au premier. Et assez peu au second.

Concernant Sarkozy, il faut rappeler que la grande majorité des commentateurs le voyaient déjà chef du gouvernement l'année dernière après la Bérézina des régionales. Raffarin avait finalement était reconduit, à la surprise quasi-générale. A cela, deux raisons principales. D'abord, Chirac n'avait aucune envie de se "laisser emmerder" en s'imposant une simili-cohabitation avec Sarko. Ensuite, il avait estimé que les remplaçants potentiels étaient trop inexpérimentés ou trop affaiblis : Villepin était marqué par son image de diplomate, Fillon s'était pris une claque dans sa région, Juppé n'en avait pas fini avec ses ennuis judiciaires.

Sur le premier point, on voit mal en quoi la situation a évolué depuis l'année dernière. On a même la nette impression que la guerre de tranchés entre les chiraquiens et les sarkozystes a empiré depuis l'année dernière. Sur le plan des circonstances, rien n'a fondamentalement changé non plus : la grande majorité des députés de la droite parlementaires et des éditorialistes de la presse dassaultienne réclame à corps et à cri, aujourd'hui comme en mars 2004, une droite qui soit à droite, une politique économique qui soit libérale et un Sarko qui soit à Matignon. Mais la majorité de ceux qui ont voté contre Chirac, aujourd'hui comme en mars 2004, apprécieraient moyennement que son "je vous ai compris" prenne la forme d'un majeur levé bien haut.
Thatcher se serait délectée de cette provocation, because, you see, the lady's not for turning. Mais ce n'est pas (plus) vraiment le genre de Chirac.

En mars 2004, il restait encore une raison -certes sacrément torturée- de donner à Sarko les clés de l'hôtel de Matignon : chercher à vérifier la règle qui veut qu'aucun homme politique ne puisse passer directement du poste de Premier ministre à celui de Président de la République. On n'a certes que trois exemples d'échec (Chirac 1988, Balladur 1995, Jospin 2002), mais la logique sous-jacente n'est pas stupide : en cas de conflit institutionnel (cohabitation) ou personnel (à la Pompidou-Chaban ou Mitterrand-Chirac) entre le Président et son Premier ministre, c'est le second qui est généralement perdant, car il doit répondre des échecs de la politique gouvernementale, alors que le premier peut monter sur l'Aventin et se poser en guide de la nation. Donc, oui, ce n'était pas complètement absurde en mars 2004. Mais maintenant que Chirac n'a quasiment (plaise à Dieu!) plus aucune chance de pouvoir revenir en sauveur de la Nation en 2007, il n'a plus la moindre raison de se gâcher sa fin de dodécannat à l'Elysée.

Le cas Villepin est un peu plus complexe. D'un côté, il est évident que Chirac meurt d'envie d'en fait son Premier ministre, et que son passage place Beauvau faisait partie d'un subtil plan de carrière qui devait lui assurer une popularité sarkozyenne, le rapprocher du peuple et rendre sa promotion rue de Varenne irrésistible. Le problème est que la grande majorité des électeurs, des cadres et des élus de droite ne l'aime toujours pas : trop hautain, trop créature du Président, trop lié à la dissolution de 1997. Sa nomination à Matignon ouvrirait donc une guerre ouverte entre le gouvernement et le parti majoritaire, ce qui viole la clause de "non-emmerdement" qui gouverne une bonne part de la stratégie chiraquienne. Finalement, et pour le dire que la façon la plus délicate possible, on voit mal en quoi Villepin serait le meilleur candidat pour réconcilier la France d'en bas avec les élites.

Résumons : la droite désire Sarkozy, Chirac veut Villepin. Chirac met son veto à Sarko, la droite met le sien à Villepin. La sélection du petit Nicolas pourrait créer l'électrochoc que commande la situation, mais au risque de déclencher les foudres du peuple antilibéral. Le choix du grand Dominique serait une provocation un peu moins sérieuse, mais parce qu'il symboliserait une continuité que le pays a sèchement rejetée hier.

On se retrouve dans une situation de blocage. Qui ne peut se résoudre, comme au jury du festival de Cannes, qu'en allant chercher un troisième candidat plus consensuel. Michèle Alliot-Marie aurait pu être une solution : chiraquienne mais pas trop (elle s'était imposée contre le candidat du Palais en 2000 pour la présidence du RPR), elle s'en est plutôt bien sortie au ministère de la Défense et bénéficie d'une cote de sympathie appréciable auprès des militants UMP. On peut aussi penser que la nomination d'une femme à Matignon serait perçue, au moins dans un premier temps, comme une certaine rupture avec le train-train de la politique parisienne. Cela dit, MAM incarne encore trop le "business as usual" : elle aurait pu s'imposer si le score du référendum avait été serré mais je pense que l'ampleur du "non" la condamne.

On en revient à la nécessité de l'électrochoc. Breton? Ca décoifferait sûrement, et pas que l'intéressé qui l'est de toute façon déjà, mais nommer un ancien dirigeant du CAC 40 pour appaiser la révolte sociale des Français ne me semble pas relever d'un sens tactique particulièrement aiguisé. Douste? Je pouffe. Debré? Il est plutôt bon au perchoir, après avoir été désastreux à l'Intérieur sous Juppé : pour reprendre le bon mot d'un commentateur, une nomination de Debré à Matignon ne contribuerait qu'à démontrer une fois de plus la grande sagesse du principe de Peter. Bayrou? Il a trop canardé Chirac depuis 2002. Et le président de l'UDF doit justement une partie de sa crédibilité actuelle au fait d'être la mouche du coche de la majorité parlementaire.

Qui reste-t-il?
Borloo, Borloo, Borloo. Qui combine l'activisme sarkozyen avec le profil du centrisme social. Qui a presque réussi à faire voter Valenciennes pour le oui (49,49%), alors que le département du nord est l'un des plus noniste de France (61,94%). Et qui a su garder l'image d'un homme politique atypique tout en étant beaucoup plus à l'aise avec la politique politicienne qu'un transfuge de la société civile.

La nomination de Borloo aurait un dernier avantage : celle de confirmer la règle dégagée par Guy Carcassonne, qui affirme que, sous la Ve République, le premier Premier ministre d'un mandat présidentiel (Debré père, Pompidou, Chaban, Mauroy, Rocard, Juppé, Raffarin) n'est jamais une surprise, alors que le second l'est toujours (Pompidou, Couve de Murville, Messmer, Barre, Fabius, Cresson, Jospin n'ayant pas été choisi par Chirac).

Méfiance toutefois. Chirac a montré un certain acharnement, depuis 1995, à prendre des décisions en dépit du bon sens et à défier les règles les mieux établies (ne pas dissoudre quand le Premier ministre est au plus bas dans les sondages, par exemple). Et les événements se liguent depuis longtemps contre moi pour que toutes mes prédictions en matière politique s'avèrent fausses : Sarkozy et Villepin peuvent donc encore espérer. La France... c'est moins sûr.

28 mai 2005

Les raisons de mon "oui" 

Ceteris Paribus a mis un point d'honneur, depuis novembre dernier, à ne jamais aborder frontalement la question du référendum sur la constitution européenne pour ne pas faire de concurrence faussée à Publius (qui en serait certainement mort sinon).

Mais le texte exposant les raisons pour lesquelles je voterai "oui" demain m'a coûté trop de sueur et de temps pour que je ne le signale pas ici.

27 mai 2005

La valeur travail des Européens 

Déniché par Paxatagore, repris par Hantoîne Belgaudaire, le sondage sur les valeurs des Européens commandé par la Fondation Jean Jaurès (pdf) contient des résultats surprenants. Par exemple à propos du degré d'adhésion des sondés à l'affirmation "On devrait attacher plus d'importance au travail qu'au temps libre" : 64% des Français et 68% des Allemands disent qu'une telle phrase correspond "beaucoup" ou "un peu" à ce qu'ils pensent.

La France et l'Allemagne étant deux pays en pointe en terme de réduction du temps de travail, on peut se demander si ce sondage ne confirme pas la thèse selon laquelle leurs habitants souhaiteraient travailler plus mais en sont empêchés par l'excessive réglementation du marché de l'emploi. A l'inverse, on remarque avec une certaine surprise que seulement 45% contre 52%) des Britanniques sont d'accord plus placer le travail avant le temps libre. Peut-on en conclure qu'il existe un niveau idéal de temps de travail annuel, niveau au-dessous duquel se situeraient la France et l'Allemagne, le Royaume-Uni se situant légèrement au-dessus?

Comme il n'y a pas de question difficile à laquelle on ne peut pas répondre de manière simpliste avec une régression linéaire, j'ai pris les dernières données de temps de travail annuel (2003) par travailleur fournis par l'OCDE, calculé les soldes de oui par rapport au non à la question "valeur travail" du sondage commandé par la FJJ et obtenu le nuage de points suivants :



Magnifique! Un r2 supérieur à 0,5 et une claire tendance à l'élévation de l'envie de travail à mesure que le temps de travail annuel diminue (et réciproquement). Sauf que j'ai triché. Oui, je l'avoue : j'ai retiré les 3 pays en P (Pays-Bas, Pologne, Portugal) qui ne cadraient pas avec l'hypothèse de départ. En fait, si l'on prend l'échantillon des 10 pays, on trouve ça :



Le r2 est devenu totalement insignifiant. On pourrait dire que c'est normal, qu'il faudrait des données corrigés du PIB par habitant pour avoir une meilleure idée. Mais, en dépit des efforts déployés par Antoine pour m'instruire, je suis incapable d'aller beaucoup plus loin que la régression linéaire bas de gamme, donc je m'en tiens à la conclusion suivante : le temps de travail annuel n'a aucune influence sur la "valeur travail" telle qu'elle est mesurée dans le sondage de la FJJ.

Est-ce que les différences de préférence pour le travail par rapport au loisir s'expliqueraient alors par les différences de taux de chômage en Europe? Vérifions, en allant chercher sur le site de l'OCDE les derniers taux de chômage harmonisés (en pdf - j'ai pris comme données le chiffre moyen sur 2004) pour les 10 pays de l'échantillon :



La corrélation semble déjà plus concluante. On arrive d'ailleurs à pousser un peu plus haut (0,5) le r2 en prenant une fonction exponentielle, qui répondrait à l'hypothèse plausible que la valeur accordée au travail par rapport au loisir est plus que proportionnelle au taux de chômage.

Pour devancer l'objection que je sens poindre, et que les données permettent aussi de chercher une corrélation entre temps de travail annuel et taux de chômage, il serait dommage de ne pas vérifier :



Et oui. Le chômage tend à s'élever avec le temps de travail annuel! Le r2 est de toute façon assez peu significatif et il est évident que l'exclusion de la Pologne donnerait des résultats sans doute assez différents. Il serait intéressant de reprendre l'exercice sur l'ensemble de l'échantillon {pays de l'OCDE} : mais la relation entre faible temps de travail et taux de chômage élevé m'a toujours paru très douteuse, au vu des cas des pays scandinaves (hors Finlande) et des Pays-Bas.

26 mai 2005

Et ce qui devait arriver arriva 

Je me demandais comment le Portugal allait bien faire pour tenter de réduire son abyssal déficit budgétaire sans recourir comme en 2004 à des artifices comptables. Le premier ministre portugais a donné la réponse hier : avec une belle cure d'austérité.
Portugal on Wednesday introduced sweeping tax increases and big cuts in benefits for state employees as part of an emergency plan to tackle the country's ballooning budget deficit.

The package of tough measures, aimed at averting European Commission sanctions and a debt downgrade, includes a controversial plan to raise the retirement age for Portugal's 730,000 public sector workers from next year.
Ce que je n'arrive pas bien à comprendre est la façon dont José Sócrates arrive à concilier ça :
José Sócrates, Portugal's Socialist prime minister, told parliament the country had to "break the vicious circle of escalating deficits and constant tax increases".
Avec ça :

Measures to increase value-added tax from 19 to 21 per cent and increases in sales taxes on tobacco and fuel will have an immediate impact.

The moves also include a new maximum personal income tax rate of 42 per cent on annual earnings above €60,000.

Je n'ai rien contre la hausse des impôts (quoique les augmentations en période de ralentissement économique sont généralement déconseillées), mais c'est un peu contradictoire, non?

En tout les cas, les électeurs qui ont élu triomphalement Sócrates en février dernier sur un programme de relance ont pas de mal de raison de se sentir floués : le premier syndicat du pays a annoncé une grève générale pour le 17 juin prochain. Et le référendum sur le traité constitutionnel européen, prévu pour le mois de décembre, s'annonce beaucoup plus ouvert que prévu. A supposer qu'il ait lieu, ce qui est quand même douteux au vu de la situation actuelle.

25 mai 2005

Epidémie de raffarinade 

Gagarine se prend la tête dans les mains en découvrant la dernière métaphore à la sauce Viagra de notre Premier ministre. A voir le rythme auquel Raffarin sort des énormités de cet acabit ces derniers temps, on pourrait presque se demander s'il ne tente pas une manoeuvre despérée pour que l'Histoire se souvienne de lui d'abord pour ses raffarinades, son impopularité étant réléguée en note de bas de page.

Mais tout cela ne serait en fait pas si grave si les délires langagiers de l'aigle du Poitou n'étaient pas contagieux au sein du gouvernement :
"Nous sommes des Gaulois. Restons des Gaulois", a lancé M. de Robien devant les cadres de l'UDF réunis pour une "Convention sur l'Europe" dans un grand hôtel parisien. "Nous n'avons plus d'élixir, nous n'avons plus la potion magique, eh bien demain la solution, ça n'est pas l'élixir, demain la solution pour la France et pour l'Europe c'est un bon traité constitutionnel. Et donc, votons tous oui, c'est notre élixir à tous", a ajouté M. de Robien.
Notons que la stupidité infantilisante du message se double d'une profonde faille dans le syllogisme. Si la "solution, ça n'est pas l'élixir" et que le "oui" est "notre élixir à tous", comment diable "la solution pour la France" pourrait-elle être un "bon traité constitutionnel"? A moins que Robien ne cherche en sous-main à faire passer le message que ce traité constitutionnel n'est pas "bon", et donc qu'il ne constitue pas une "solution", même s'il est "notre élixir à tous".

24 mai 2005

Allemagne : l'été sera chaud 

Il est évident, comme le rappelait l'éditorial du Monde d'hier et Olivier Duhamel ce matin sur France Culture, que la décision de Gehard Schröder de convoquer des élections législatives anticipées ne manque pas d'un certain panache. Et qu'elle appelle immédiatement des comparaisons peu flatteuses avec l'attitude de notre président bien-aimé, dont l'idée de la responsabilité politique après un désaveu populaire semble se limiter au fait d'aller donner une représentation à la télé sur l'air du "je vous ai compris".

Il faut dire que la la claque subie par le SPD dans le Nordrhein-Westfalen était particulièrement sévère. Non seulement parce que le Land est le plus peuplé d'Allemagne et un bastion historique du parti social-démocrate allemand (le ministre actuel de l'économie et du travail, Wolfgang Clement, en était le ministre-président de 1998-2002).

Mais aussi parce que la défaite de Peer Steinbrück signe la fin du modèle du gouvernement rouge-vert dans les Länder allemands : les Verts ne sont plus au pouvoir nul part, sauf au gouvernement fédéral; le SPD reste aux responsabilités ailleurs, mais avec les communistes du PDS, en "grande coalition" avec la CDU ou avec les libéraux du FDP.

Et surtout parce que, la semaine dernière, les militants du SPD s'étaient remis à croire à une victoire au finish : le dernier débat avait plutôt tourné à l'avantage du candidat social-démocrate et les sondeurs disaient constater un resserrement rapide de l'écart dans les sondages. Dimanche, une participation plus forte qu'en 2000 avait laissé fait croire à un sursaut des électeurs de gauche. Patatras : la CDU l'a emporté avec 7 points d'avance. Soit exactement la marge que tous les sondages prévoyaient depuis le début de la campagne.

Est-ce que la décision de Schröder était néanmoins judicieuse? Si le but était de surprendre tout le monde, y compris son propre parti, la réussite est totale : l'atmosphère qui régnait au siège du SPD à Berlin après l'annonce des élections anticipées ressemblait, en tout cas pour le choc de la décision, à celle du QG de Jospin le 21 avril 2002. Si l'objectif était d'animer un peu la vie politique allemande, le succès est pareillement flagrant : la déflagration de dimanche soir a été suivi d'une jolie réplique aujourd'hui avec le coup d'éclat d'Oskar Lafontaine, qui quitte enfin le SPD pour tenter de devenir le leader de la gauche alternative.

Mais l'annonce surprise de nouvelles élections cherchait aussi à prendre l'opposition de cours et à déclencher une guerre des chefs à droite. Sur ce point, on ne peut pas dire que la CDU/CSU soit tombée dans le panneau : tout le monde s'est déjà rapidement rangé, de plus ou moins bonne grâce certes, derrière Angela Merkel. Et les journaux en sont déjà à spéculer sur la composition de la prochaine coalition noire-jaune (c'est-à-dire CDU/FDP).

Comme toujours, il faudra attendre les résultats des élections en septembre pour savoir si cette "dissolution" aura été un coup de génie tactique ou une balle dans le pied façon Chirac 1997. Les carottes ne sont pas forcément totalement cuites pour le SPD : il faut se rappeler que la position de Schröder était aussi très précaire en 2002, et que le chancellier avait réussi à renverser in extremis la tendance en fin de campagne. On ne peut pas dire non plus, comme le note Doug Merril d'AFOE, que le charisme d'Angela Merkel soit son atout principal. Il n'est donc pas inderdit de penser que le miracle soit encore possible pour Schröder et Fischer. Mais il faudrait un miracle.

23 mai 2005

Champions d'Europe! 

Le Portugal avait (à mon grand désarroi, d'ailleurs) loupé le coche en juillet 2004. Moins d'un an après, son heure est enfin venue :
LISBONNE (AFP) - Le gouvernement portugais est confronté à une crise budgétaire aigüe après l'annonce que le déficit public du Portugal glisse sur une pente de 6,83% du PIB pour 2005, deux fois plus que la limite autorisée par le pacte de stabilité de la zone euro.

Le rapport piloté par la Banque du Portugal montre que le déficit public risquait d'atteindre 6,83% du PIB cette année "à la date d'entrée en fonction du gouvernement" soit en mars dernier, a annoncé lundi le ministre des Finances, Luis Campos e Cunha.
Au moins, les Portugais ont le sens de la précision. Rappelons que l'audit commandée à deux magistrats de la Cour des comptes en 2002 par Jean-Pierre Raffarin s'était contenté d'une fourchette (entre 2,3% et 2,6% à l'époque).

Je suppose qu'il serait logique d'enchaîner ici sur (au choix) l'incurie des gouvernements européens, le désespoir qui saisit l'observateur confronté aux performances économiques de la zone euro ou le côté bête et méchant du discours de la BCE. Mais, en fait, la question qui m'intéresse est celle des combines budgétaires qui vont permettre au Portugal de ramener son déficit à des niveaux moins délirants. L'AFP précise :
L'an dernier, le gouvernement précédent de centre droit était parvenu à afficher un déficit public de 2,9% à coup de recettes extraordinaires sans lesquelles le chiffre aurait atteint 5,2%, selon la banque centrale.
Autant dire qu'il va être difficile de trouver encore une fois cette année 2,3 points de PIB de recettes qui, par définition, sont non-récurrentes (de quoi s'agit-il d'ailleurs? de recettes de privatisation?). Il reste toujours la solution grecque (trafiquer les comptes) ou la méthode italienne (idem + amnistie fiscale pour le rapatriement des capitaux) mais on peut supposer que la Commission est désormais un peu plus vigilante. Donc, à vue de nez, le Portugal est dans une situation désespérée.

Mais je sais que j'ai des lecteurs qui sont beaucoup mieux armés que moi sur les questions de comptabilité créative. J'attends avec impatience leurs suggestions.

21 mai 2005

Sie haben keine Wahl 



Demain, les électeurs du Land allemand du Nordrhein-Westfalen auront le choix entre* :
  • pour le FDP (libéraux-démocrates) : un quinquagénaire grisonnant à lunettes
  • pour la CDU (chrétiens-démocrates) : un quinquagénaire grisonnant à lunettes
  • pour le SPD (sociaux-démocrates) : un quinquagénaire grisonnant à lunettes
  • pour les Grünen (verts) : un quinquagénaire grisonnant à lunettes
Selon les derniers sondages, les Rhénano-westphaliens du Nord, qui en ont marre du rouge, devraient porter la cravate bleue au pouvoir.

* Ok, c'est un raccourci un peu rapide, vu que les électeurs n'élisent pas directement le ministre-président du Land. En fait, les élections législatives dans les Länder allemands se déroulent, sur le principe, comme les élections législatives fédérales : on élit des représentants à la chambre basse -Bundestag au niveau national, Landtag au niveau des états fédérés- qui votent ensuite pour désigner le Chancellier de l'Allemagne ou le ministre-président du Land. Mais, comme dans toute bonne démocratie parlementaire fonctionnelle, les partis désignent à l'avance un candidat à la chancellerie ou à la présidence du Land. Ce sont donc ces Spitzenkandidaten qui sont représentés sur les affiches.

Le mode de scrutin utilisé pour les élections au Landtag du NRW est assez similaire à celui employé pour les élections au Bundestag, en ce qu'il mélange le scrutin proportionnel de liste et le scrutin majoritaire uninominal par circonscription. Une différence importante, néanmoins : le vote pour un candidat est aussi, automatiquement, un vote pour la liste du parti auquel le candidat appartient. Il n'y a pas, comme pour les élections fédérales, possibilité de vote tactique en différenciant la première et la seconde voix.

20 mai 2005

Travailler moins pour vivre mieux (3e partie) 

Il y a très longtemps, au moins à l'échelle d'Internet, dans une blogosphère francophone très éloignée de celle que nous connaissons aujourd'hui, j'avais eu un long et (m'avait-il semblé, en tout cas) intéressant échange avec Alexandre Delaigue d'Econoclaste à propos de la question du temps de travail.

Je soutenais, en m'appuyant notamment sur les travaux de Richard Layard, la thèse selon laquelle des mesures (exposées par la suite) visant à empêcher les individus de travailler trop était susceptible d'accroître le bien-être social général.

Alexandre répondait en se demandant si une partie du "loisir"n'était pas employé à un travail domestique (jardinage, bricolage, ménage, etc.) que beaucoup d'individus préféreraient "externaliser" s'ils pouvaient gagner plus en travaillant plus. Il notait aussi qu'il n'était pas forcément optimal de fixer un plafond indentique de temps de travail pour tous les travailleurs, quel que soit leur âge : en empêchant les jeunes de travailler plus quand ils sont jeunes et motivés (et donc d'accumuler un patrimoine), on les prive en effet de la possibilité de réduire leur temps de travail quand ils sont vieillis, usés et fatigués.

Derrière ce débat théorique se profile évidemment le sujet controversé des comparaisons économiques transatlantiques. Je suppose que tout le monde est familier avec la différence de temps de travail entre les salariés américains et européens. Mais il n'est pas inutile de l'illustrer graphiquement, en reprenant un graphique très parlant publié par The Economist :



(voir aussi un graphique d'Antoine Belgodère pour les heures travaillées par habitant - et non plus par employé)

Cette différence dans le nombre d'heures travaillées par an est un des facteurs explicatifs importants de la différence de revenu par habitant entre les Etats-Unis et l'Europe, dans la mesure où la productivité horaire est assez similaire des côtés de l'Atlantique (avec, il est vrai, d'importantes variations entre les pays européens). Une question qui travaille beaucoup les économistes est de savoir d'où provient cette divergence de durée de temps de travail : jusqu'au débuts des années 1970, les Européens travaillaient autant, et même souvent plus, que les Américains. Comment expliquer la divergence ultérieure?

Olivier Blanchard avait lancé le débat (pdf) en défendant la thèse culturelle (thèse reprise par exemple par Jeremy Rifkin dans un très inégal ouvrage récent) : la différence de temps de travail s'explique par une préférence européenne pour le loisir ou, à l'inverse, par une préférence américaine pour le revenu. Il n'y a donc pas lieu de s'autoflageller outre mesure à propos des différences de PIB/h entre l'Europe et les Etats-Unis : les Européens préfèrent plus de loisir et moins de revenu, et un économiste ne saurait leur reprocher ce choix.

A cela, Edward Prescott, le dernier co-lauréat du Prix Nobel d'économie, avait répliqué (pdf) en mettant en avant les différences de fiscalité sur le travail : les Européens travaillent moins parce que le travail n'est pas "rentable" à partir d'un certain seuil. Selon Prescott, donc, les salariés en Europe souhaiteraient "travailler plus pour gagner plus", mais une fiscalité absurdement élevée les en empêche.

Un partout, la balle au centre? Plus maintenant. Parce qu'Alberto Alesina, Edward Glaeser et Bruce Sacerdote se sont penchés eux aussi sur la question, dans un discussion paper d'avril 2005 (pdf) pour le Harvard Institute of Economic Research. Ils y affirment que la thèse de Blanchard est douteuse (pourquoi les préférences culturelles auraient-elles divergé aussi brusquement?), que les calculs économétriques de Prescott ne valent pas beaucoup plus que tripette et mettent en avant une troisième explication. The Economist, qui consacre cette semaine son Economic Focus à l'étude, résume :
Rather than blaming culture or taxes, Messrs Alesina, Glaeser and Sacerdote instead credit trade unions. The strength of organised labour peaked in Europe in the 1970s, about the time that work hours started falling. After the first oil shock of 1973, the authors write, Germany's unions marched to the slogan “work less, work all”, and the same mantra, in different languages, was recited across the continent. In France, the unions eventually won an agreement in 1981 to cut the working week to 39 hours. The government then took up their battle, culminating in the national 35-hour week implemented in 2000. Indeed, their cause has gone continent-wide. The European Union's working-time directive, first issued in 1993 and subject to fierce debate again this month in the European Parliament, insists that workers toil no more than 48 hours each week on average.
Si le facteur culturel est écarté, la question suivante est de savoir si l'équilibre temps de travail élévé/ salaire élevé est préférable à l'équilibre temps de travail réduit / salaire réduit. Evidemment, en terme de PIB/h, la première solution est préférable. Mais le PIB ne fait pas (seul) le bonheur et les économistes essayent aussi de raisonner en termes de satisfaction/utilité/bien-être (welfare). A cet égard, les auteurs de l'étude suggérent que les réglementations européennes pourraient être bénéfiques. The Economist, encore :
Such regulations might solve a co-ordination problem, they suggest. If Europeans complement each other at work and rest, they may prefer to work shorter hours and fewer weeks provided others do the same. If so, the authors write, “national policies that enforce higher levels of relaxation can, at least in theory, increase welfare.” Perhaps Americans would also like to work less, if their family, friends, or bosses worked less also. But in a competitive economy there is no way to co-ordinate their decisions. The individual American can act with others, but not too far ahead of them.
On sent le chroniqueur de The Economist assez réticent à l'idée de développer cet aspect de l'étude. Car l'article se termine évidemment sur le rappel du chômage européen, "preuve" que la baisse du temps de travail en Europe est allée trop loin. Une telle conclusion est non seulement très contestable mais elle oublie aussi opportunément l'un des grands intérêts de l'étude : un début de tentative de réponse à la question du lien entre baisse du temps du travail (et baisse correspondante du salaire, évidemment) et satisfaction des individus. Tentative qui passe pour une bonne vieille régression des familles (mes italiques) :
In Table 15 we use data from Eurobarometer on country members of the European Union. The first regression shows a negative relationship between hours worked across countries and life satisfaction. This shows the same negative effect as seen in the country data. Of course, reverse causality might still be at work. To address this possibility, in regression (2), we instrument for hours worked using collective bargaining agreements. In this regression, we continue to find a negative relationship between hours worked and life satisfaction across countries. In the third regression, we repeat this procedure for a panel of countries and find a similar negative relationship even with country and year fixed effects.
Ces résultats sont à prendre, comme toujours, avec prudence. Surtout que, comme le rappelle l'étude, on peut se demander si les Européens ont pleinement conscience des conséquences géopolitiques du décrochage du PIB européen (on peut néanmoins leur répondre que l'UE compense un niveau inférieur de PIB/h par une extension du nombre de ses habitants via l'élargissement.) Les auteurs concluent d'ailleurs en laissant la question complètement ouverte :
A very hard question to answer is whether labor unions and labor regulation introduce distortions that reduce welfare or whether they are a way of coordinating on a more desirable equilibrium with fewer hours worked. Since answering this question is difficult and the question is heavily politically charged, we won’t be surprised if the debate will continue for a long time with heated tones.
Certes. Mais leurs propres résultats apportent un argument de poids aux défenseurs du tant décrié "modèle social européen".

19 mai 2005

Shorter Financial Times editorial 

(Because sometimes it's just too hard to resist.)

What the Queen should have said

  • My governement will faithfully serve its corporate masters.
Le mystère du LOSC enfin élucidé! 

La surprise :



L'explication :
Red coloration is a sexually selected, testosterone-dependent signal of male quality in a variety of animals and in some non-human species a male's dominance can be experimentally increased by attaching artificial red stimuli. Here we show that a similar effect can influence the outcome of physical contests in humans — across a range of sports, we find that wearing red is consistently associated with a higher probability of winning. These results indicate not only that sexual selection may have influenced the evolution of human response to colours, but also that the colour of sportswear needs to be taken into account to ensure a level playing field in sport.
L'étude n'est pas disponible gratuitement sur le site de Nature, mais la BBC propose un résumé.

18 mai 2005

John Bates Clark en VF 

Vu que ne j'achète plus, comme avant, Le Monde tous les lundis pour bénéficier du (finalement pas si bon que ça) supplément Economie, j'ai failli louper cette information, que relaye SM sur le blog d'Econoclaste :
Le Prix 2005 du meilleur jeune économiste, décerné par le Cercle des économistes et Le Monde a été remis ex aequo à Esther Duflo et Elyès Jouini.
Les deux lauréats viennent rejoindre une jolie brochette de jeunes (moins de 40 ans) scientifiques lugubres couronnés depuis la création du prix il y a 5 ans :
  • 2003 : Pierre-Cyrille Hautcoeur (histoire économique, plus particulièrement histoire des marchés financiers), dont le site personnel est au moins -sinon plus- drôle et décalé que celui, fameux, de Xavier Sala-i-Martin. Qui a dit que les économistes étaient forcément lugubres?
Esther Duflo est spécialiste d'économie du développement (pour une présentation détaillée de ses travaux, voir un article -pdf- que lui avait consacré la revue du FMI, Finance & Development, en septembre 2003), Elyès Jouini de finance. Le champ couvert par les différents lauréats est donc assez vaste.

A noter que 3 des 4 économistes (Piketty, Martin, Duflo) qui tiennent l'excellente chronique "Economiques" de Libération ont reçu le prix, le quatrième (Geoffard) ayant été nominé en 2004. Et que la page du Cercle des économistes sur le prix est d'un je-m'en-foutisme insigne (trois noms de lauréats sont mal orthographiés, une année manque, et le site n'est pas à jour). Eh, les gars, c'est pas comme ça qu'on va réussir à concurrencer la médaille John Bates Clark...

Question subsidiaire pour mes lecteurs plus informés que moi : qui voyez-vous comme lauréat à l'avenir? J'ai tendance à penser qu'il serait étonnant qu'Emmanuel Saez (aucun lien) ne le soit pas un jour, surtout qu'il a encore le temps. Qui d'autre?

17 mai 2005

Où je désamorce une bombe à retardement 

L'un des problèmes du Monde est que les "éditorialiste associés" - les Daniel Cohen, Jean-Paul Fitoussi, Jean-Paul Casanova ou Jérôme Jaffré- sont le plus souvent bien meilleurs que les chroniqueurs réguliers (à part Daniel Vernet et, une fois sur trois, Eric le Boucher). Sûrement, comme le prouve la jurisprudence Krugman, parce qu'il est plus facile d'écrire un long et bon papier une fois par mois qu'une bonne et plus courte chronique chaque semaine ou chaque jour.

Et, de fait, la chronique du jour de Jérôme Jaffré, consacrée aux conséquences du référendum sur la trajectoire chiraquienne, est vraiment bien foutue. Assez jouissive aussi, quand il écrit, après avoir rappelé la trahison de 1981 et la dissolution manquée de 1997 :
Il est vrai que le talent politique de Jacques Chirac est de ne jamais subir les conséquences des risques maximums qu'il prend. Loin de lui être reprochée par l'électorat de droite, la défaite de M. Giscard d'Estaing en 1981 fait aussitôt de lui le chef de l'opposition et lui ouvre les portes de l'hôtel Matignon en 1986. La dissolution perdue de 1997 le maintient chef de la droite et ne l'empêche pas d'être réélu président en 2002.

Mieux, Jacques Chirac réussit à obtenir le concours de ses concurrents trahis ou de ses adversaires malheureux pour l'aider à réparer ses propres erreurs. On se souvient qu'en 1995, dans son duel contre Edouard Balladur, il avait bénéficié de l'aide de MM. Giscard d'Estaing, Barre et Chaban-Delmas, sans doute inquiets de voir le premier ministre d'alors réussir là où eux-mêmes avaient échoué... Après la dissolution perdue, il a bénéficié du soutien de M. Balladur et de ses amis, ce qui l'a aidé à se maintenir en chef de la droite puis à se placer en tête au premier tour de la présidentielle de 2002.

Le moindre des mérites de Jaffré (tout "fat, imbécile et prétentieux" qu'il est) n'est pas d'évoquer aussi en conclusion un important problème constitutionnel qui m'avait beaucoup (trop) occupé en janvier dernier :
Au surplus, une bombe à retardement est laissée aux successeurs avec l'inscription dans la Constitution française de référendums obligatoires pour tout nouvel élargissement.
En fait, ce n'est pas tout à fait vrai et cela va me donner l'occasion de recycler la note que j'avais écrite mais pas publiée la semaine dernière. Comme je le notais en passant en février dernier, il existe une porte de sortie assez ingénieuse et parfaitement légale pour éviter d'organiser un référendum à propos d'adhésions consensuelles (par exemple la Suisse ou la Norvège).

Que dit en effet l'article 88.5 de la Constitution, ajouté par la révision constitutionnelle? Ceci :
Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République.
Rien qui ne vous semble étrange? Je répète, donc :
Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République.
Et oui. L'obligation ne concerne que les projets de loi, déposés par le gouvernement. Et pas du tout les propositions de loi, déposés par les parlementaires. Ce qui laisse ouverte l'examen et l'adoption par le parlement d'une proposition de loi visant à autoriser la ratification d'un traité d'adhésion.

Une telle procédure est-elle orthodoxe? Non, parce que la diplomatie est du ressort de l'exécutif et que c'est en principe toujours lui qui enclenche la procédure d'autorisation de ratification devant le Parlement.

Est-elle légale? Oui : plusieurs propositions de la loi visant à autoriser la ratification du traité de Rome portant création de la Cour pénale internationale avaient été déposées et acceptées par le Président de l'Assemblée nationale en décembre 1998. Comme le rappellait le sénateur Patrice Gélard (une vieille connaissance) dans son rapport à propos du projet de loi constitutionnelle adopté en février dernier, il existe même un cas où l'autorisation de ratification d'un accord international a été accordée par le truchement d'un amendement parlementaire :
Fruit d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Charles de Courson, l'article 5 de la loi n° 2003-698 du 30 juillet 2003 relative à la chasse, a autorisé la ratification de l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie (ensemble trois annexes), ouvert à la signature à La Haye le 15 août 1996.
La prohibition de la ratification des futurs traités d'adhésion à l'UE par référendum n'est donc, pour reprendre une expression qu'affectionnent les juristes, "ni générale, ni absolue". Ni générale, parce qu'elle ne concerne pas, comme on le sait, les adhésions de la Roumanie, de la Bulgarie et la Croatie. Ni absolue parce qu'elle est contournable pour peu que le gouvernement, l'Assemblée nationale, le Sénat et le Président de la République se mettent d'accord pour privilégier la voie parlementaire.

Il fallait le répéter. Sauf, évidemment, à Aignan et à Villiers.

16 mai 2005

The Straw that broke the camel's back 

Trois réactions diplomatiques prises au hasard, à propos des massacres en cours en Ouzbékistan :
1. La France suit avec préoccupation le développement de la situation en Ouzbékistan. Elle réprouve les violences qui ont endeuillé la ville d'Andijan et qui ont fait de très nombreuses victimes, en particulier parmi la population civile.

Il appartient aux autorités de réagir à une telle situation avec le souci d'éviter les victimes et dans le plein respect des droits de l'Homme.

La France exprime ses condoléances aux familles des victimes. Elle invite toutes les parties concernées, les autorités comme les représentants de la société civile, à agir pacifiquement et par le dialogue pour mettre un terme à la crise actuelle et pour mettre en oeuvre les réformes nécessaires.

2. We have had concerns about human rights in Uzbekistan, but we are concerned about the outbreak of violence, particularly by some members of a terrorist organization that were freed from prison. And we urge both the government and the demonstrators to exercise restraint at this time. The people of Uzbekistan want to see a more representative and democratic government, but that should come through peaceful means, not through violence. And that's what our message is.

3. 'I am extremely concerned by reports that Uzbek troops opened fire on demonstrators in Andizhan. I totally condemn these actions and I urge the Uzbek authorities to show restraint in dealing with the situation and look for a way to resolve it peacefully. [...]

'The UK has consistently made clear to the authorities in Uzbekistan that the repression of dissent and discontent is wrong and they urgently need to deal with patent failings in respect of human and civil rights.

'This approach is shared by our partners in the European Union. As we approach the UK's presidency of the EU we will use the collective weight of the EU to put across this argument to the Uzbek authorities to address shortcomings in economic and political governance and inadequacies in the development of democratic institutions.'
Et vous, quelle diplomatie préférez-vous?

15 mai 2005

Presque célèbre 

Et non, vous ne m'entendrez pas sur France Culture à 22h45 ce soir. C'est pas passé loin, pourtant. Mais Christophe a dû me couper au montage. Ce qui privera les millions d'auditeurs de l'ACR des textes de Ceteris Paribus (mal) lus par son auteur et des réflexions d'icelui sur les structures du débat public en France et aux Etats-Unis (c'est con, j'avais réussi à placer Habermas).

Bon, je suis quand même, encore plus anonymement que d'habitude, dans la présentation de l'émission. Et je ne doute pas que ce Métablog (titre qui plaira à Phersu) vaut plus que le détour, ne serait-ce que pour entendre les tirades de Tlön.

14 mai 2005

Trois version d'un "non" nu 

On sait maintenant que l'homme qui a fait un quasi-Full Monty pour le "non" dans l'hémicycle du Sénat avait bien et longuement préparé son coup. Mais une question absolument essentielle demeure : comment les scribes de la Haute assemblée ont-ils retranscrit l'incident?

Les services du Senat -comme ceux de l'Assemblée nationale- préparent trois types de compte-rendu : une version "sommaire", peu détaillée mais disponible rapidement; une "analytique" plus complète et publiée le lendemain de la séance; et une derniere "intégrale", presque comme la nudité de notre ami nonien, qui est disponible 48 heures après les débats et est subséquemment publié au Journal Officiel.

Assez logiquement, le compte rendu sommaire de la séance de jeudi était plutôt chiche en détails :

M. le PRÉSIDENT -

Terminez.

M. le MINISTRE DÉLÉGUÉ -

La dernière ligne droite mène à Cadarache. (Applaudissements)

(Un homme saute de la tribune du public. Les huissiers s'en saisissent et le portent hors de l'hémicycle)

M. le PRÉSIDENT -

La séance se poursuit. (Brouhaha) Silence !

Heureusement, le compte-rendu analytique va un peu plus loin dans les détails :
M. LE PRÉSIDENT. – Terminez !

M. D'AUBERT, ministre délégué. – Nous sommes donc confiants. Je considère, comme le Président de la République et le Premier ministre, que nous sommes dans la dernière ligne droite, qui nous mènera directement à Cadarache. (Applaudissements à droite et au centre.)

(À cet instant un homme saute de la tribune du public, et exhibe les inscriptions qui figurent sur son corps. Les huissiers l'expulsent de l'hémicycle. Surprise et brouhaha prolongés sur tous les bancs.)

M. LE PRÉSIDENT. – La séance continue !

On s'attendait à ce que le compte rendu intégral soit encore plus détaillé, avec la mention obligatoire du string tricolore et la recension exhaustive des inscriptions figurant sur le corps de l'intrus. Grosse déception :
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !

M. François d'Aubert, ministre délégué. Je conclus, monsieur le président, sur une bonne nouvelle : comme le Président de la République et le Premier ministre, je considère que tout indique que cette dernière ligne droite mènera directement à Cadarache ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Bret.

(A cet instant, un homme saute de la tribune du public ; les huissiers s'en saisissent et l'expulsent.- Exclamations de surprise et brouhaha prolongé sur l'ensemble des travées.)

M. le président. La séance se poursuit, mes chers collègues, et nous écoutons M. Robert Bret dans le silence qui convient.

Ah, la pudeur parlementaire... Il faut se rappeler que la fameuse et franchement osée contrepèterie que s'était permise Dominique Strauss-Kahn au Sénat lors de la crise financière asiatique de l'automne 1997 avait été retranscrite ainsi : "Je dois dire que le cas de la Corée me préoccupe".

13 mai 2005

C'est la faute à Colbert! 

Cet article du Monde sur les déboires des "PME innovantes" en France et en Europe me semble assez juste en ce qu'il confirme les faits stylisés (voir les un peu datés graphiques ci-dessous, tirés d'un article de The Economist de mai 2002) : le vrai problème français n'est pas la création d'entreprises mais plutôt les freins au développement des sociétés et les divers biais en faveur des grands groupes bien installés.



En même temps, la conception qui associe à tout problème une solution sous forme d'incitation fiscale -dans un texte qui dénonce par ailleurs leur détournement- m'apparaît franchement contestable. Et le titre de l'article est (involontairement?) symptomatique d'un mal français encore plus profond :
Pourquoi la France est incapable de créer un Microsoft
Si j'étais sarcastique, je dirais que c'est à cause des autorités de la concurrence européenne, qui empêchent les monopoleurs de cannibaliser (pas au sens propre, hein) le marché. Et que je pouffe discrètement en voyant Microsoft érigé en modèle à suivre pour l'innovation.

Plus sérieusement : ce n'est pas à la France de créer un Microsoft. Que l'Etat crée les conditions favorables à la recherche, à l'innovation, aux liens entre les chercheurs et le secteur (horreur néolibérale!), fort bien. Mais les machins style Agence de l'innovation industrielle repose sur l'idée contestable que l'Etat doit se muer en "éleveur de champions". Faut-il être un libéral dogmatique pour trouver cela problématique?

12 mai 2005

Orient et Occident 

Comme je viens de paumer une bonne heure à mitonner une note sur un point que j'avais en fait déjà abordé, je m'autorise une réaction complètement gratuite à une tribune parue ce matin dans Le Figaro. Elle émane d'une double dizaine de députés (de droite) qui estiment, avec quelque raison, que l'adoption de la constitution européenne rendrait plus difficile l'entrée de la Turquie dans l'UE.

Je crois l'avoir dit : je suis favorable à l'adhésion de la Turquie, mais je reconnais que c'est une question difficile, qui touche au coeur du projet du projet européen, en particulier au dilemme approfondissement/élargissement. En conséquence, je respecte ceux qui s'y opposent, dans la mesure où ils emploient des arguments honnêtes. Et l'honnêteté n'est pas vraiment la caractéristique première de cet argument-là :
Comment pourrions-nous alors intégrer dans notre projet politique européen un Etat turc dont le premier ministre actuel a déclaré : «Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats» ?
A quoi j'ai une foutue envie de répondre : comment pourrions-nous accorder foi aux leçons de démocratie d'un groupe de parlementaires dont l'un des membres faisait partie d'un groupe dont le programme appelait à bannir le suffrage universel, et à combattre les "ennemis de l'intérieur", aux rangs desquels les "puissances financières", la franc-maçonnerie et les "métèques"?

Puisque qu'on est sur la Turquie, je suis tombé par hasard (je cherche despérement une page du gouvernement italien où seraient consignées les dépôts des instruments de ratification du TECE) sur ce passage d'un récent article du Financial Times (je grasse) :
“Politically speaking, this would be difficult,” Mr Fini said, alluding to the widespread opposition in France to Turkish EU membership. “But Italy is a supporter of Turkey's accession. “In order to join, Turkey has made radical changes, including in terms of human rights. Turkey is already part of Nato. It's a pillar of stability in its region. It's a major Muslim country. “If, after all the tests and all the changes that Turkey has been asked to face, Europe says No, what would happen? “Would we not be pushing them towards fundamentalism?… “We can't say No just because they are Muslim. The accession of Turkey would be a sign of the full compatibility of Islam with democracy.
Gianfranco Fini? L'ancien membre et leader du parti néo-fasciste MSI? Lui-même. Qui démontre encore une fois qu'il est possible, quoi qu'en pensent les députés de l'UMP, qu'on peut avoir été et ne plus être.

11 mai 2005

Gregory, call your office 

Début août 2004, Howard Dean s'était publiquement interrogé sur la politisation du système d'alerte terroriste américain :
The question is, do I believe this is being fabricated? No, of course I don't believe that. But I do think that there is politics in this, and the question is, how much is politics and how much is a real threat? I have no doubt there's a real threat here, but I also -- this is a long history of orange to yellow, yellow to orange, orange to yellow without a lot of explanation.
Ce qui lui avait attiré cette réplique cinglante de Gregory Djerejian :
[W]hat alarms me is that Howard Dean would openly suggest that the Administration, at least in part, simply is making up the terror threats. That's a damning charge to just let hang like that, isn't it?

Remember, Dean is Kerry's de facto emissary to the left-wing of the Democratic party. He's the guy tasked with reducing the Nader defections, getting the hard-anti-war-in-Iraq crowd on board, generally consolidating Kerry's left flank. So he's got a pretty key role in Kerry's campaign, I'd say. And now, he's telling the nation's most important paper, quite directly, that he believes this Administration, at least in part, is simply making up terror threats.

If (when?) a financial target in NYC gets blown up--someone should remind Howard Dean of his remarks. And also remind everyone that Dean made them on behalf of Kerry.

L'accusation à demi-mots de Dean était effectivement sérieuse. Et l'on pouvait soutenir (ce que faisait Gregory dans une note subséquente) que les informations disponibles ne permettaient pas de conclure avec certitude que les alertes terroristes étaient influencées par des élements politiques. Mais on dispose aujourd'hui d'informations supplémentaires. Et il s'avère que, de façon oh combien suprenante pour qui suit un peu cette administration, Howard Dean avait peut-être raison :
The Bush administration periodically put the USA on high alert for terrorist attacks even though then-Homeland Security chief Tom Ridge argued there was only flimsy evidence to justify raising the threat level, Ridge now says.

Ridge, who resigned Feb. 1, said Tuesday that he often disagreed with administration officials who wanted to elevate the threat level to orange, or "high" risk of terrorist attack, but was overruled.

Notons quand-même, avec Kevin Drum, que Ridge n'affirme pas que les décisions étaient motivées en partie par des considérations politiques. Juste que, étrangement, beaucoup de responsables de l'administration Bush pressaient régulièrement pour un niveau d'alerte plus élevé alors que les équipes du Department of Homeland Security n'en voyaient pas du tout la nécessité au vu des renseignements disponibles.

Il sera intéressant de suivre ce qui va se passer maintenant : est-ce que Tom Ridge va regretter rapidement ses propos et affirmer qu'on l'a mal compris ou qu'il s'est mal exprimé, comme d'autres avant lui? Ou bien rester sur ses positions, comme d'autres ont su aussi le faire?

09 mai 2005

Suicidal tendencies 

Il était beaucoup question, dans les années 1990, et en particulier après 1997, de "la droite la plus bête du monde". Phrase cruelle en général colportée par des hommes politiques de droite eux-mêmes, ce qui montre leur sens aigu du marketing politique et un certain masochisme que les Verts ont depuis longtemps élevé au rang d'art de vivre en commun.

On pouvait quand même se demander pourquoi, puisqu'elle était consciente de ses erreurs, la droite française s'obstinait à être plus idiote que toutes ses homologues étrangères (ce qui n'est pas rien). Je crois qu'on a désormais une réponse convaincante : les électeurs de droite ont les dirigeants qu'ils méritent. C'est ce que semble prouver, en tout cas, un sondage BVA pour Libération :
Les disparités entre les différentes sensibilités politiques sont fortes puisque les sympathisants de gauche sont 56% à demander le départ de Jean-Pierre Raffarin quel que soit le résultat du référendum alors que 64% des sympathisants de la droite parlementaire souhaitent son maintien à la tête du gouvernement.
Il est toujours dangereux de mélanger les résultats de deux sondages différents, mais la combinaison de ce résultat avec celui du dernier baromètre Sofres (qui montrait que 75% des sondés ne font plutôt pas ou pas du tout confiance à Jean-Pierre Raffarin) conduit inévitablement à une conclusion surprenante. Soit les sympathisants de la droite parlementaire ne représentent plus qu'un quart de l'électorat, ce qui semble quand même peu probable. Soit il y a une portion non-négligeable d'électeurs de droite qui ne font plutôt pas ou pas du tout confiance à Raffarin mais souhaitent néanmoins qu'il reste Premier ministre, même dans le cas où le "non" l'emporterait le 29 mai.

Bien sûr, et si l'on décide de passer outre les problèmes méthodologiques, on pourrait mettre cette incohérence sur le compte de juppéistes qui préférent encore Raffarin à une accession de Sarko à Matignon. Ou encore de sarkozystes qui redoutent que la nomination de Villepin rue de Varennes ne l'installe définitivement parmi les prétendants à l'investiture de l'UMP pour 2007. Ou, plus simplement, sur le fait que présumer la rationalité des électeurs est une hypothèse quelque peu hardie, au vu de ce que nous apprend la science politique à ce sujet.

NB : précision que le sondage BVA a été réalisé les 3 et 4 mai dernier, donc avant l'annonce de l'hospitalisation de Raffarin. Le facteur "sympathie spontanée" ne joue donc pas ici.

Add. (11/05) : hum. Mes petits calculs rapides sont, en plus d'être méthodologiquement douteux, numériquement faux. 22% des électeurs font plutôt ou tout à fait confiance à Jean-Pierre Raffarin selon le baromètre TNS-Sofres. Supposons, pour simplifier beaucoup, que ces 22% soient tous des sympathisants de la droite parlementaire. Supposons ensuite, toujours en simplifiant, que ces 22% se retrouvent dans le sondage BVA, sous la forme des 64% qui souhaitent le maintien de Raffarin à Matignon. Ce qui nous placerait une droite parlementaire à 34% (22/0,64), un niveau qui semble déjà plus plausible.
Hillary ra bien qui rira le dernier 

Les primaires démocrates de 2008 sont encore loin, mais il n'est pas trop tôt pour dire que je suis entièrement d'accord avec Matt Yglesias :
On a purely tactical level, I think Senator Clinton is disastrous. As Peter Beinart writes, she's always been a centrist sort. But as Tim Graham makes clear, she'll never get any credit for it from anyone. As with Howard Dean this business of being a lot more moderate than your public image and reputation would suggest is an absolutely terrible situation to be in. We should be looking for the reverse.
Ezra Klein écrivait à peu près la même chose la semaine dernières, à propos du dernier article de Thomas Frank dans la NYRB :
What Frank gets, and what Democrats too often don't, is that we fail by nominating candidates who're manifestations of our worst stereotypes.
Kerry était le stéréotype de l'aristocrate de la côte est :
We nominated, in other words, the perfect aristocrat. Not all aristocrats, after all, are created equal. Some maintain their money and connections without wearing the years spent at cotillion classes on the cufflinks. Kerry wasn't one. And what Franks understands about him is that the frame Kerry tapped into, the heuristics he invoked, destabilized his national security credentials as surely as they invalidated his populism. If the elite liberal, in common imagination, is a relativistic, blame-America-first, out-of-touch perpetuator of a detached upper class, then Kerry, by virtue of having the background and bearing of an elite liberal, was bound by every one of those perceptions. Didn't matter if he had a strong foreign policy and a populist economic agenda, so long as he didn't look the part, neither would be believed.
Et Hilary, malgré tout son (réel) talent politique et ses (louables) efforts pour centriser son image, n'arrivera pas à se défaire de son image de représentante de la gauche bien pensante, ultra-féministe et élitiste de New York, portion de la population qui est, comme chacun le sait, "out of touch" avec la "mainstream America". C'est injuste? Certes. Et les Républicains ne se priveront-ils pas de dépeindre le prochain candidat démocrate, même si c'est un ancien bûcheron de l'Idaho, comme un brûleur de Bible, un confiscateur d'armes à feu et, pire encore, un augmenteur d'impôts? Assurément.

Mais ce n'est pas la peine non plus de tendre le bâton pour se faire battre, en nominant systématiquement le candidat qui colle au plus près au stéréotype du grand méchant libéral construit par la droite américaine. De ce point vue, Hillary Clinton serait l'un des pires choix possibles pour 2008, à peine dépassée par Ted Kennedy et Michael Moore.

06 mai 2005

A night a the (election) races 

Finalement, la nuit s'est mieux terminée qu'elle n'avait commencé : les Lib Dems ont bel et bien progressé en nombre des sièges et dépassé le score du parti libéral de 1929.

Et la majorité travailliste est suffisamment large pour permettre de gouverner, et suffisamment réduite pour envoyer un sérieux avertissement à Tony Blair. Evidemment, j'ai souffert à chaque fois qu'une circonscription basculait du Labour aux Tories, mais on ne peut pas vouloir tout (un demi-désaveu pour Blair) et son contraire (un parti conservateur en baisse en nombre de sièges).


Source : The Guardian

Il semble que l'analyse à la mode soit de dire que les 3 principaux partis ont tous des raisons d'être satisfait et décu à la fois. Tout le monde a perdu, en somme. Sauf, évidemment, que le système électoral britannique offre au parti arrivé en tête un joli cadeau pour faire passer la pilule. Les chiffres cités par le blog du Guardian sont éloquents (je grasse) :

Perhaps the clearest illustration of the underlying logic of the current voting system is in the number of votes it takes to elect each party’s MPs. On last night’s results a Labour MP only needed 26,858 votes to get elected, compared with 44,241 votes for a Tory MP, and a staggering 98,484 for each Liberal Democrat MP.

In other words 353 Labour MPs were elected on 9.48m votes, 196 Conservatives on 8.67m votes and 60 Liberal Democrats with 5.9m votes.

Peut-être est-ce le moment pour le Royaume-Uni de passer à un système mixte à l'allemande?

Comme d'habitude, je m'autorise quelques futiles remarques en vrac sur des choses vues et entendues au cours de cette longue nuit passée à regarder la BBC (mes première élections britanniques en direct) :
  • L'annonce ritualisée des résultats à la britannique, tout les candidats sur un podium, face au public et derrière un "retourning officer" qui annonce les scores de chacun, a une classe indéniable. Les candidats se succèdent ensuite au micro pour des discours qui mêlent remerciements et considérations plus politiques : la déclaration de Reg Keys, le père d'un soldat tué en Irak, qui s'était présenté à Sedgefield face à Tony Blair, était assez déchirante. Le premier ministre se trouvait, comme il se doit, encore sur le podium, essayant de rester impassible, malgré la force des attaques et les dizaines de caméras braquées sur lui.
  • La présence de candidats du Official Monster Raving Loony Party (dont le programme vaut le détour) sur le podium est un plus indéniable. D'abord parce qu'ils portent en général des noms absurdes et des accoutrements ridicules. Et aussi parce que le candidat du OMRLP fait tout pour se faire remarquer sur le podium. Le Financial Times rapporte que RU Serious (sic), le candidat à Erewash, tenait une pancarte où était inscrit "dites non aux pancartes absurdes". Dans la circonscription de Michael Howard, le représentant des Raving Loonies ponctuait les annonces de résultats d'un "yeah" sonore, en se précipitant pour aller féliciter les autres candidats. Je veux la même chose en France!
  • Est-ce seulement une impression ou la proportion d'Indiens et de Pakistanais (plus exactement, de sujets de sa Majesté d'origine indienne ou pakistanaise) parmi les "returning officers" est-elle beaucoup plus élevée que leur poids démographique dans la population britannique?

  • A rebours de toutes les tendances nationales, le Labour a conservé sans problème le siège de Dorset South, qui semblait pourtant très menacé dans la mesure où l'avance du candidat travailliste n'était que de 153 voix en 2001. Il faut dire que le candidat conservateur s'était fait prendre en flagrant délit de photomontage au début de la campagne : une image où il participait à une manifestation contre l'expulsion d'un réfugié avait été retouchée pour mieux correspondre au message anti-immigration des conservateurs. Il ne s'est donc pas relevé de ce scandale, preuve qu'il y a quand même, parfois, une justice.
  • La victoire de George Galloway (qu'il est quand même absurde de qualifier de candidat islamiste, ou de pro-Saddam) dans la circonscription est une mauvaise nouvelle. Son discours après l'annonce des résultats était à son image : populiste, désobligeant et aggressif. Cela dit, je ne pense pas que la méthode Paxman soit la meilleure pour tenter de le contrer. Puisque qu'on est dans la catégorie "dangereux démagogues", Ian Paisley vient de se faire réélir, sans surprise et avec un score en hausse, dans son fief de North Antrim.
  • Il s'est passé des choses intéressantes au Pays de Galles, au-delà des toujours pittoresques annonces des résultats en gaélique : les conservateurs emportent trois sièges dans une région où ils n'avaient aucun MP depuis 1997; une circonscription tenue par le Plaid Cymru (parti nationaliste et socialiste gallois, dont j'ai encore oublié comment on prononçait le nom) bascule de façon complètement inattendue dans le camp des Lib-Dems; et une candidate travailliste parachutée se fait laminer par un indépendant, porte-parole de la révolte populaire contre les décisions d'en haut.
  • Je ne comprends toujours pas pourquoi l'annonce des résultat prend un temps aussi divergent en fonction des circonscriptions : le premier résultat était connu dès avant 23 heures (heure anglaise), et il fallait attendre entre 1 heures et 5 heures du matin pour la grande majorité du reste (et encore plus tard pour une petite minorité). Alors que le volume de bulletins à dépouiller ne varie pas énormément selon les circonscriptions et que la fermeture des bureaux se fait partout à la même heure. Est-ce que la superficie des circonscriptions, et donc le temps nécessaire pour rassembler les bulletins (il me semble que le dépouillement doit se faire dans un lieu unique) est le seul facteur qui entre en compte?
NB : François Brutsch revient aussi, de façon plus ordonnée, sur le sens qu'on peut donner aux résultats. Sans doute parce que je suis plus en phase avec les "chattering classes" qui lisent le Guardian et votent Lib Dems, je trouve assez peu convaincante sa remarque sur le côté non-populiste de la campagne de Michael Howard. Au contraire il me semble que, incapables de proposer une véritable alternative économique au blairisme, les conservateurs ont quasiment tout misé sur l'immigration et l'insécurité, en utilisant des slogans douteux ("Are you thinking what we're thinking?"), des spots publicitaires où le parallèle entre immigration et invasion était plus que subliminal et des tactiques électorales franchement méprisables (cf le coup des photos falsifiées ci-dessus). Le fait que Chirac ait à son palmarès des dérapages encore moins contrôlés n'excuse rien.

05 mai 2005

Election time 

Pour ceux qui veulent suivre les résultats britanniques en live, et qui n'ont pas une télé avec BBC World sous la main, C-SPAN 2 retransmet le signal de la BBC, sur le câble américain et sur Internet. Précédemment, la chaîne parlementaire américaine a repassé l'édition spéciale de Question Time, la grande émission politique de la BBC : la semaine dernière, les 3 candidats (Kennedy, Howard, Blair) étaient interrogés à la suite pendant 30 minutes par un journaliste politique et un public très pugnace.

La déférence des journalistes français vis-à-vis des hommes politiques est bien connue. Tout comme la rudesse avec laquelle un journaliste britannique peut traiter un Premier ministre. Mais le contraste entre l'intervention de Chirac sur TF1 et celles des candidats britanniques sur la BBC reste absolument stupéfiant : le candidat est assis sur un tabouret en face du public, les questions de l'audience sont irrévérencieuses mais argumentées, précises, basées sur des faits et des citations clairement identifiées. Et les candidats sont forcés de se sortir les tripes pour tenter de retourner l'audience.

Non seulement l'émission est bien meilleure (parce qu'elle permet des questions importantes et dérangeantes) que la quasi-totalité des émissions politiques françaises, mais les hommes politiques interrogés apparaissent eux aussi bien meilleurs (parce qu'ils sont poussés dans leurs retranchement) que la quasi-totalité des hommes politiques français. Je ne pense pas que ce soit une coïncidence.

Add. (23H04) : d'après les estimations BBC, majorité de 66 sièges pour le Labour (37%), grosse progression pour les Tories (+40 sièges, 33%), Lib-Dems coincés au niveau de 2001 (22%, environ 55 sièges).

... tout les représentants des partis disent qu'il faut attendre les résultats définitifs et ne pas trop croire les estimations, mais John Prescott faisait clairement la gueule (en même temps, il est connu pour son côté "grincheux') et le représentant conservateur avait du mal à cacher son sourire.
Football pour les puristes 

Pas grand chose à dire pour l'instant sur la grande soirée électorale de nos amis Grand-Bretons. A part "Go Lib-Dems" et "Down with the Tories", comme d'habitude. Et en plus tout le monde est parti en congé, si j'en crois mes statistiques d'audience.

Ce qui veut dire qu'il est plus que temps de... parler football! Et en particulier du match d'hier soir qui était un pur régal, nonobstant l'absence absolue de justice immanente dans l'élimination du PSV. Je trouve d'ailleurs que L'Equipe est un peu injuste en ne mettant que 5 étoiles (sur 6) à la rencontre. Parce que, des matchs de cette qualité technique et tactique-là, on n'en voit pas tous les jours.

Ce qui m'a donné l'envie de faire une liste futile (et assez peu originale, d'ailleurs) : celle des beaux matchs de foot. Je ne parle pas ici des matchs inoubliables à cause de l'enjeu ou du résultat. Donc pas, par exemple, de la finale de la Coupe du monde 1998 qui -est-il permis de le dire?- n'était pas une rencontre grandiose, sauf à adorer voir toutes les 3 minutes une faute grossière d'un défenseur brésilien ou à s'extasier devant le bétonnage défensif de l'équipe de France façon Jacquet. Pas non plus de la finale de l'Euro 2000, difficilement dépassable en termes d'intensité dramatique, mais qui avait été un match assez moyen avant cette fameuse 94e minute. Et toujours pas de l'incroyable France-Angleterre de l'Euro 2004 ou du légendaire Manchester-Bayern de 1999.

Non : il s'agit de lister des matchs qui sont simplement beaux à voir, indépendamment des équipes et des circonstances. Le genre de rencontre qu'on peut revoir plusieurs fois avec toujours le même plaisir, et la même incrédulité devant le génie de certains gestes et de certaines phases de jeu. Le nombre de but et l'incertitude du résultat aident au plaisir, c'est évident, mais il ne font pas tout. La fluidité du jeu, les gestes techniques, l'engagement physique, la créativité tactique comptent au moins autant.

Abritairement, j'ai décidé de restreindre l'échantillon aux matchs internationaux à enjeux : soit coupes d'Europe (LDC et UEFA), Coupes du monde et Championnats d'Europe des Nations (on ne dit pas, jamais, "coupes d'Europe" pour les équipes nationales). Et à ne pas remonter avant 1998, parce que tout le monde sait que le football n'existait pas vraiment avant juin 1998.

Ces règles posées, voilà ma liste très provisoire (restreinte par le fait que je ne vois pas tous les "grands" matchs, loin de là) de matchs vraiment somptueux :
  • Angleterre-Argentine (2-2, Coupe du monde 1998, 1/8e de finale)
  • Liverpool-Alaves (5-4, Coupe de l'UEFA 2000-2001, finale)
  • Monaco-Real Madrid (3-1, Ligue des Champions 2003-2004, 1/4 de finale retour)
  • République Tchèque-Pays Bas (3-2, Euro 2004, 1er tour)
  • Chelsea-Barcelone (4-2, Ligue des Champions 2004-2005, 1/8e de finale retour)
  • PSV Eindhoven-Milan AC (3-1, Ligue des Champions 2004-2005, 1/2 finale retour)
Il me semble que Juventus-Real (3-1, LDC 2002-2003) devrait aussi y être. Idem pour Brésil-Danemark (3-2, Coupe du Monde 1998, quart de finale). Et il doit bien y avoir des matchs à garder de l'Euro 2000 (Espagne-Yougoslavie?), voire, mais c'est moins sûr, de la Coupe du monde 2002 (Brésil-Costa Rica?). De toute façon, je suis sûr que j'en ai manqué plein d'autres : les commentaires sont là pour ça.

04 mai 2005

Trou poitevin 

Il ne sera pas dit que Raffarin n'aura pas au moins égalé un record lors de son passage à Matignon :
PARIS (AP) - La cote de confiance de Jacques Chirac recule de quatre points en avril et celle de Jean-Pierre Raffarin de cinq, selon un sondage TNS-Sofres paraissant vendredi dans "Le Figaro magazine".

La cote de confiance du président de la République est de 32% (-4), alors que 66% (+4) des personnes interrogées ne font "pas" ou "plutôt pas" confiance au chef de l'Etat pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement.

Le Premier ministre perd lui cinq points, sa cote de confiance s'établissant à 22%. Ils sont 75% (+4) à ne pas lui faire confiance.
Rappelons que la cote de confiance d'Edith Cresson était aussi à 22% à la fin mars 1992. Le 2 avril, elle était démissionnée. On sait déjà que Raff' sera remplacé à Matignon le 30 mai prochain. Il lui reste donc encore une chance de faire mieux lors du baromètre politique du mois de mai. Peut-être même d'enfoncer le plancher des 20%. Et ainsi entrer dans l'histoire au moment où il en sortira.

03 mai 2005

La route est droite mais la Pentecôte est forte 

Comme la polémique sur le lundi de Pentecôte travaillé n'est pas prête de s'éteindre, je rappelle, à toutes fins utiles, que j'avais commis l'année dernière une note concernant les mécanismes macroéconomiques et fiscaux par lesquelles la suppression d'un jour férié permettra d'aider les petits vieux. Je renvoie aussi, comme dans ma note initiale à une très complète analyse faite par Xavier Timbeau pour l'OFCE (pdf).

Au-delà du bien-fondé de la mesure du gouvernement, il y a un développement récent que je trouve, à première vue, assez surprenant. Je peux comprendre, évidemment, que les salariés refusent de travailler un jour de plus sans être rémunérés directement. Ce qui peut sembler absurde, par contre, est l'attitude des entreprises qui ont décidé de fermer leurs usines ou leurs bureaux ce jour-là : vu qu'elles paieront de toute façon une taxe assise sur la masse salariale, elles ont plus qu'intérêt à essayer de neutraliser ce surcoût en profitant de la journée de main d'oeuvre gratuite.

Pourquoi, alors, certaines sociétés semblent prendre des mesures qui vont contre leur intérêt économique et financier? Je vois trois explications possibles (au-delà du cas des entreprises qui imposent une journée de RTT et ne perdent donc rien dans l'affaire) :
  • Certains entreprises estiment que le "cadeau" du lundi de Pentecôte aux salariés est préférable à une insubordination généralisée et une dégradation des relations sociales.
  • Les convictions religieuses de certains dirigeants d'entreprises l'emporte sur les considérations purement financières. Est-ce une bonne façon de gérer une entreprise? La question reste ouverte.
  • Le raisonnement macroéconomique orthodoxe : le problème avec le bouclage macroéconomique de la supression d'un jour férié est que, hormis le cas du secteur "aide aux personnes âgées", l'on augmente l'offre (une journée de production supplémentaire) sans augmenter de manière correspondante la demande intérieure (pas de salaires versés). En simplifiant les hypothèses au maximum (exportations constantes, épargne constante, concurrence pure et parfaite), un surcroît de production aboutit simplement à une baisse des prix des biens et services : les salariés retrouvent leur mise (la journée de repos perdue leur est rendue sous la forme d'un panier de biens et services moins chers) et les entreprises restent perdantes (l'augmentation de la production n'a pas augmenté leurs profits et la taxe sur la masse salariale demeure).
Conclusion surprenante : il est indifférent pour les entreprises, prises dans leur ensemble, de faire travailler ou non leurs salariés le lundi de Pentecôte. Mais cela suppose que leur comportement soit uniforme. Les choses se compliquent si l'on se place dans un schéma type dilemme du prisonnier : dans ce cas, la stratégie dominante est "jour de travail", même si l'option "jour chômé" serait au moins équivalente, au mieux supérieure (à cause de la variable "relations sociales").

L'affaire devient encore plus complexe si l'on considère, comme le fait Xavier Timbeau, que la taxe supplémentaire sur la masse salariale va avoir un impact sur l'emploi : dans ce cas, les entreprises refilent le mistigri aux salariés. A moins que la perspective d'une meilleure prise en charge du risque vieillesse n'incite la population à réduire son épargne, donc à apporter la demande supplémentaire qui manque pour boucler le schéma macroéconomique...

On peut continuer longtemps comme ça : le but est justement de montrer que le changement d'une simple variable (ici, une augmentation de 0,45% du temps annuel de travail) induit des réactions en chaîne sur les autres variables, et que l'effet macroéconomique final est très délicat à estimer.

02 mai 2005

Si loin, si proche 



J'ai vécu, il y a un bout de temps désormais, pendant 8 mois sur ce campus. Que je retrouve, vu du ciel, dans sa géométrie rectiligne, grâce à la vertigineuse fonction satellite de Google Maps. En zoomant encore plus, j'arrive, avec une certaine difficulté, à identifier avec certitude certains bâtiments, quelques avenues tant de fois arpentées. J'essaye, sans toujours y parvenir, de refaire mentalement certains trajets habituels en m'aidant des repères fournis par les rubans de bitumes et les formes aplaties des édifices, dont la hauteur originelle n'est plus perceptible qu'au moyen indirect -et largement inutile- des ombres portées.

La frustration l'emporte, souvent. A cause de l'incapacité à faire s'emboîter l'image exacte, vu du ciel, avec les souvenirs flous, travaillés, déformés de la vie au ras du sol. A cause aussi, justement, de cette impossibilité de reconstruire mentalement, avec une précision acceptable, un environnement qui fut familier. Ne restent que des prises de vues polies par le temps, qui s'évanouissent dès qu'on essaye de retrouver leur netteté originelle. Et l'image cruelle mais évidemment mensongère d'un paradis perdu.